cours d'assises
Question de :
Mme Frédérique Bredin
Seine-Maritime (9e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 15 octobre 1997
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Bredin.
Mme Frédérique Bredin. Madame le garde des sceaux, Maurice Papon, secrétaire général de la Gironde entre 1942 et 1944, est accusé de crime contre l'humanité pour avoir permis ou organisé la déportation de 1 560 juifs vers Drancy, antichambre des camps de la mort de l'Allemagne nazie. 1 560 juifs ! Des hommes et des femmes, des bien portants et des malades, car il n'y avait pas de visite médicale avant l'envoi en déportation, des vieux, des très vieux, des jeunes et des enfants, beaucoup d'enfants !
Après le procès du SS Klaus Barbie, après celui du milicien Paul Touvier, c'est le premier procès d'un haut fonctionnaire de Vichty et, à travers lui, celui de l'une des pages les plus sombres, les plus opaques de notre histoire, de notre administration et de notre justice.
Vendredi dernier, la décision de la Cour d'assises de remettre en liberté Maurice Papon a semé l'étonnement et le désarroi.
Cet arrêt a été ressenti comme une insulte par les victimes, et voir Maurice Papon banqueter dans les châteaux-hôtels de la région bordelaise a sonné comme une provocation.
Pour les victimes, pour les enfants des victimes, seule la justice peut sinon réparer, du moins reconnaître les faits, et donc nommer l'horreur.
Mais quelle image donne-t-on de notre justice ? Existerait-il une caste d'intouchables, dont ferait partie un haut fonctionnaire de Vichy, décoré après la guerre, nommé ministre par Valéry Giscard-d'Estaing et Raymond Barre ? (Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Hervé de Charette. C'est vraiment bas !
M. Pierre Lellouche. C'est odieux ! C'est de la politique politicienne !
M. Thierry Mariani. Provocation !
Mme Frédérique Bredin. Faut-il rappeler tous les cas récents d'affaires criminelles où la mise en liberté a précisément été refusée au détenu au motif, ou au prétexte, d'un trouble à l'ordre public ?
Face à cette étonnante décision, pourriez-vous, madame le garde des sceaux, nous expliquer votre démarche, à la fois judiciaire et symbolique, qui s'est traduite par la décision du parquet général de former un pourvoi en cassation contre la remise en liberté de Maurice Papon ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jean-Paul Charié. Vous êtes malhonnête !
M. Pierre Mazeaud. Et la francisque de Mitterrand ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, je comprends l'étonnement et la surprise devant la décision de mise en liberté de M. Papon, dès lors que d'autres solutions étaient envisageables, qui auraient été de nature à garantir la surveillance de son état de santé.
M. Jean-Paul Charié. Et l'indépendance de la justice ?
Mme le garde des sceaux. Je comprends également l'émotion, la grande émotion éprouvée par les victimes et par leurs familles, ainsi que par plusieurs responsables politiques sur tous les bancs de cette assemblée (Applaudissements sur divers bancs) à la vue des images montrant M. Papon libre, dans un restaurant luxueux.
Sur la décision prise par le président de la cour d'assises de le mettre en liberté, comme sur celle du procureur général de Bordeaux d'introduire un recours contre cette décision, je n'ai pas l'intention de porter une appréciation car les décisions de ces magistrats ont été prises en toute indépendance et en toute liberté.
M. Franck Borotra. Très bien !
Mme le garde des sceaux. Je crois cependant qu'il faut souligner devant la représentation nationale qu'il reste à juger M. Papon sur les terribles accusations qui l'ont mené devant ses juges, que ce sera la tâche de la cour d'assises de Bordeaux dans les prochaines semaines et que nous devons rester convaincus qu'au bout d'un chemin qui a, en effet, été trop long, justice sera enfin rendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Auteur : Mme Frédérique Bredin
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 octobre 1997