Question au Gouvernement n° 915 :
sans-papiers

11e Législature

Question de : M. Pierre Lequiller
Yvelines (4e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 18 novembre 1998

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.
M. Pierre Lequiller. Monsieur le Premier ministre, une fois de plus, le problème des sans-papiers défraie la chronique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
L'annonce par le gouvernement italien de la régularisation de 38 000 clandestins...
M. Jean-Louis Debré. Appelez Voynet !
M. Pierre Lequiller. ... a provoqué le déferlement de milliers de sans-papiers. Les autorités italiennes en ont déjà expulsé un millier.
Ce phénomène risque de se reproduire et prouve bien qu'il est urgent de mettre en place une véritable politique européenne en matière d'immigration. Il serait souhaitable que le Gouvernement français en prenne l'initiative, mais également qu'il adopte enfin une position claire sur le sujet.
M. Dominique Bussereau. Eh oui !
M. Pierre Lequiller. Or tel n'est pas le cas, si j'en juge par la cacophonie gouvernementale à laquelle nous assistons.
En effet, un ministre de votre gouvernement, Mme Voynet, a publiquement remis en question et contesté vos orientations sur le problème de la régularisation des sans-papiers.
M. Yves Fromion et M. Jean Auclair. Eh oui !
M. Jean-Michel Boucheron. Et Pasqua ?
M. Pierre Lequiller. Ses critiques reçoivent visiblement un écho favorable dans les rangs de votre majorité. Sur un sujet aussi grave, les Français sont en droit d'attendre une réponse ferme et claire du Premier ministre.
M. Yves Fromion. Impossible !
M. Pierre Lequiller. Or vous pratiquez l'ambiguïté. D'un côté, vous prétendez tenir un discours de fermeté; de l'autre, vous pratiquez une politique laxiste.
M. Pierre Carassus. Comme Pasqua !
M. Pierre Lequiller. Vous assouplissez toujours davantage les critères de régularisation, de commission Galabert en pacte civil de solidarité, qui permettront une fraude accrue dans le domaine de l'immigration, vous refusez d'expulser les personnes que vous ne voulez pas régulariser,...
M. Yves Fromion. Expulsez Voynet !
M. Pierre Lequiller. ... vous cultivez l'ambiguïté depuis des mois et vous désorientez les Français, les dizaines de milliers de personnes concernées et même votre propre majorité. En fait, sans oser le dire, vous pratiquez une politique de régularisation rampante, inacceptable sur le fond parce que contraire à la loi, inacceptable sur la forme parce que vous trompez les Français. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Monsieur le Premier ministre, quand cesserez-vous ce double langage ? Quand vous déciderez-vous à mettre vos actes en conformité avec vos paroles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, il y a parfois, au sein d'une majorité, l'expression de points de vue divergents. Il semble même que ce soit aussi le cas au sein d'une opposition... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
L'important est que, dans cette situation, l'orientation générale et le sens du discours et de l'action soient clairs. C'est le cas de la politique du Gouvernement, je vous le confirmerai dans un instant. Il peut bien y avoir telle ou telle déclaration, il y a l'action du Gouvernement qui, elle, ne sera pas changée !
M. Jean-Louis Debré. Ca n'a aucune importance, de toute façon !
M. le Premier ministre. Je ne suis pas sûr que des divergences qui apparaissent au sein de l'opposition, émerge un discours aussi clair et aussi cohérent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Les questions de l'immigration sont des questions importantes. Compte tenu des différences de développement entre l'Europe riche et son pourtour méditerranéen, moyen-oriental ou africain, la tentation de mouvements vers l'Europe et vers les autres pays développés est une tendance forte et durable, à laquelle il ne faut pas céder.
Ces questions touchent aussi à une tradition française d'ouverture et d'hospitalité, en faveur d'hommes et de femmes menacés dans leur liberté: c'est le droit d'asile, avec la volonté de répondre positivement aux combattants de la liberté.
Se posent aussi des questions qui concernent notre identité nationale, entendue comme républicaine, ainsi que l'équilibre social de la France, sa capacité à intégrer - et elle doit le faire - non seulement des personnes étrangères mais aussi certains de nos concitoyens français d'origine étrangère. On a là un composé de problèmes considérables, démographiques, identitaires, économiques et sociaux touchant aux droits de l'homme.
En conséquence, vous accepterez que, répondant à votre question, je ne parle pas d'abord de tel ou tel événement ponctuel, eût-il été accompagné de déclarations qui, à mon sens, n'étaient pas nécessaires («Ah !» et applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), mais que je parte du sens même de la politique gouvernementale.
M. Jean-Louis Debré. Quelle pagaille !
M. le Premier ministre. Monsieur Debré, n'utilisez pas ce mot, il pourrait vous revenir au visage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Quand nous sommes arrivés aux responsabilités, nous étions confrontés à un climat de passion et de polémique qui emportait l'ensemble du pays. Nous avons fait le constat des problèmes. Nous avons confié à une personnalité compétente le soin d'établir un rapport, ce qu'il a fait après consultation de toutes les parties prenantes. (Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Nous avons ouvert au Parlement un débat qui a été contradictoire et où chacun a pu s'exprimer. Nous avons, enfin, élaboré un projet de loi équilibré et juste qui, désormais, est la règle pour tous dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Si bien que ce qui était objet de passion et de polémique a disparu (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...
M. le président. Un peu de silence !
M. le Premier ministre. ... même si certains tentent, à propos d'événements ponctuels, dont je dirai un mot, de relancer ce climat de débat et de passion. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Michel Hunault. Dominique Voynet !
M. le Premier ministre. Le Gouvernement a décidé de procéder à la régularisation sur critères d'un certain nombre d'hommes et de femmes dépourvus de titres de séjour. Il s'est fondé sur deux grandes idées simples et essentielles: d'une part, le droit à vivre en famille, conformément aux conventions internationales et européennes et, d'autre part, la reconnaissance de la capacité de certains d'entre eux à s'intégrer véritablement dans notre pays, et leur volonté de le faire. Voilà ce qui a guidé notre politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Nous avons donc régularisé sur critères, en partant de ceux qui avaient d'ailleurs été élaborés par les médiateurs à l'occasion de conflits que vous n'avez pas su maîtriser.
M. Michel Hunault. Vous ne les maîtrisez guère mieux !
M. le Premier ministre. Sur cette base, nous avons sans doute régularisé entre 70 000 et 80 000 personnes.
Un certain nombre de ces hommes et de ces femmes ne répondent pas à ces critères et ne seront pas régularisés.
M. Jean-Louis Debré. Mais ils sont toujours là !
M. le Premier ministre. Je ne vois d'ailleurs pas comment, intellectuellement, on peut dire d'abord qu'il faut régulariser sur critères, puis qu'il faut régulariser tout le monde sans critères ! Telle n'est pas ma position. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jean-Louis Debré. Demandez à Mme Voynet !
M. le Premier ministre. Reprenant l'exemple de M. Lequiller, je conviens qu'il y a une extrême sensibilité aux effets d'annonce des gouvernements. Ce qui vient de se passer à Modane doit effectivement nous éclairer.
Lorsque des hommes et des femmes, sur lesquels je ne porte aucun jugement, que je ne condamne pas et dont je comprends souvent la détresse, voient, ou croient voir une porte s'ouvrir - qui, soudain, se refermera puisque les Italiens disent: seulement 38 000, avec des quotas par nationalité - ils se précipitent !
Désormais, les questions d'immigration, notamment clandestine, préoccupent tous les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Europe. Nous en avons parlé au sommet de Pörtschach. Nous avons même décidé que, sous présidence finlandaise, les problèmes de sécurité et d'immigration seraient traités dans un sommet particulier.
M. Jean-Louis Debré. On en a parlé avant que vous n'arriviez !
M. le Premier ministre. L'attitude qui consisterait à faire passer le message qu'en France tout immigré arrivé en situation irrégulière pourrait être régularisé ferait un appel d'air formidable. Ce serait donc une attitude totalement irresponsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - «Voynet, démission !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Il y a des problèmes, nous les traitons, à Limeil-Brévannes, à Bordeaux ou à Avignon. Nous examinons les questions qui sont posées, nous les traitons humainement.
Lorsque, dans quelques cas, des personnes immigrées pouvaient bénéficier de la circulaire et de la loi, nous avons accordé des permis de séjour. L'idée, formulée à Limeil-Brévannes, qu'on devrait accorder un permis de séjour à des hommes ou à des femmes entrés sur notre territoire après 1996, voire après la signature de la circulaire de 1997, est absurde ! («Bravo» sur plusieurs bancs du groupe du Rasssemblement pour la République.) De même que n'a pas de sens l'idée qu'il suffirait de régulariser les 60 000 personnes qui restent alors qu'elles ont vocation à rentrer chez elles pour solder le problème. Car nous savons tous que, souvent, par les mêmes, nous serait posés la question de la régularisation des nouveaux sans-papiers qui seraient entrés après cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Quand se pose le problème de l'atteinte à l'intégrité physique et des séquelles de grèves de la faim, nous le traitons avec humanité car il interpelle le Gouvernement. C'est pourquoi nous avons procédé par le dialogue et en nous appuyant sur l'autorité médicale indépendante, à des évacuations, quand c'était nécessaire. Et nous le ferons encore.
Cependant, puisque cet argument est parfois utilisé, je voudrais affirmer ici très clairement que je trouve irresponsable l'attitude de ceux qui, dans une situation dramatique, poussent des hommes et des femmes à utiliser la grève de la faim comme moyen ultime. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Un député du groupe du Rassemblement pour la République. Comme le fait Voynet !
M. le Premier ministre. Il ne faut jamais jouer avec la peau des autres par procuration !
Le Gouvernement, lui, assumera ses responsabilités devant les problèmes de santé et d'intégrité. Sa position, approuvée par l'Assemblée nationale et le Sénat après un vaste débat, ne sera pas modifiée. («Bravo !» sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Elle est équilibrée et responsable; elle est comprise et soutenue par l'opinion, ce qui, en démocratie, est tout de même le fondement des décisions. Voilà pourquoi elle sera maintenue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe communiste, sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Données clés

Auteur : M. Pierre Lequiller

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Étrangers

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 18 novembre 1998

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