détenus
Question de :
M. Jean-Claude Lefort
Val-de-Marne (10e circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains
M. Jean-Claude Lefort attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'inflation inquiétante des suicides survenus en détention, soit 118 personnes en 2002 contre 104 en 2001, ce qui représente une situation relative aux suicides qui s'avère sept fois plus élevée proportionnellement que dans la vie courante. Il indique que, s'il n'est jamais inutile de proposer la création d'une commission chargée de dresser un état des lieux et de faire des propositions en matière de prévention, de nombreux groupes de travail ont déjà été mis en place sur cette question sans pour autant que cela ait un effet positif en ce domaine. Il souhaiterait donc savoir quelles mesures locales, régionales et nationales compte prendre le Gouvernement avec l'administration pénitentiaire pour remédier à cette question, et ainsi s'assurer que les intentions du Gouvernement ne se limitent pas à la création d'une commission.
Réponse publiée le 7 avril 2003
Le garde des sceaux, ministre de la justice fait connaître à l'honorable parlementaire qu'il porte une grande attention au problème des suicides dans les établissements pénitentiaires. Préalablement, il fait observer que s'il est incontestable que le nombre de suicides est resté à un niveau relativement élevé en 2002 - année où 122 suicides ont été dénombrés -, il n'est toutefois pas exact d'affirmer que la tendance serait haussière. En effet, depuis 1993, ce sont au moins 100 suicides par an qui se sont produits : 125 en 1999, 120 en 2000 et 104 en 2001 ; le point culminant étant de 138 suicides en 1996. De même, en rapportant le nombre de suicides à l'effectif moyen des détenus, le taux de suicide observé en 2002 est conforme à la tendance observée depuis 1992 : 23,7 pour 10 000 détenus en 2000, 21,6 en 2001 et 22,8 en 2002. De surcroît, si on rapporte le nombre de suicides à celui des entrants en prison, le résultat obtenu est le plus bas enregistré depuis 1996 (16,6 pour 10 000) : 17,5 en 2000, 15,5 en 2001 et 15 pour 10 000 en 2002. Le taux de suicide dans les prisons françaises doit encore être comparé à celui enregistré dans la population générale en France, lequel est l'un des plus élevé d'Europe et constitue la première cause de mortalité entre 25 et 34 ans ; la direction générale de la santé estime à 11 000 le nombre de suicides survenant chaque année, en France (soit 19 cas pour 100 000 habitants). Si, comme dans d'autres pays occidentaux, les suicides sont plus nombreux en prison, il est important de noter que la France se classe dans la moyenne des pays européens. Au-delà de ces constats, force est de souligner que l'efficacité des réponses apportées dans le cadre de la politique de prévention du suicide en prison ne saurait se mesurer à l'aune de la seule statistique du nombre de suicides, ces données chiffrées ne rendant aucunement compte des passages à l'acte suicidaire qui ont pu être évités, grâce au travail accompli par l'ensemble des acteurs en milieu carcéral et notamment à l'intervention des personnels des services pénitentiaires. En outre, ces données statistiques ne sauraient refléter une prétendue dégradation des conditions de détention ou encore constituer une mesure objective du mal-être en prison, notamment en raison de la dimension éminemment individuelle des actes suicidaires. A cet égard, différentes études conduites tant en France qu'à l'étranger ont permis de démontrer que, par essence, la population carcérale est très vulnérable - les détenus cumulant, pour la plupart, l'ensemble des facteurs à risque de suicide connus. Une étude récente sur les arrivants en prison examinés par les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) montre que 55 % d'entre eux présentent des troubles de la santé mentale. Le ministère de la Justice a engagé une politique de prévention des suicides en détention amorcée par une première circulaire prise le 15 février 1967. Sur la base de nombreux rapports de réflexion et d'étude, à la suite d'un programme expérimental lancé en 1997, une nouvelle circulaire du 29 mai 1998 a ciblé en direction de l'ensemble des établissements, les axes fondamentaux de la prévention du suicide. Récemment, ce texte a été complété à l'issue de nouvelles réflexions engagées et de nouvelles actions développées, notamment en relation avec « La Stratégie nationale d'actions face au suicide pour 2000-2005 » lancée par le ministère de la santé. Ainsi, le 26 avril 2002, une circulaire interministérielle, complétant celle du 29 mai 1998, a été signée par les ministres de la justice et de la santé. Une commission centrale de suivi des actes suicidaires en milieu carcéral composée de façon pluridisciplinaire, de magistrats, de fonctionnaires de la direction de l'administration pénitentiaire et du ministère de la santé a été installée en novembre 2002 ; elle est notamment chargée de veiller au recensement effectif de tous les décès par suicide en détention, de contrôler la bonne application des dispositions édictées en matière de prévention du suicide et de rechercher de nouveaux axes d'amélioration. Quoique aucune corrélation n'ait pu être établie entre les conditions d'incarcération et le taux de suicide, il convient de rappeler que l'augmentation de la capacité des établissements pénitentiaires et l'amélioration des conditions de détention sont des axes majeurs de la politique du Gouvernement, et ont été, à ce titre, inscrits dans le rapport annexé à la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. Le programme de construction d'établissements pénitentiaires engagé permettra de créer 11 000 places, dont 7 000 consacrées à l'augmentation de la capacité du parc et 4 000 en remplacement de places vétustes. La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a, en outre, apporté plusieurs améliorations au dispositif de prise en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques - lesquels présentent de ce fait un risque suicidaire. Enfin, à l'effet d'évaluer le dispositif existant en matière de prévention des suicides en détention et, s'il en est besoin, de le parfaire, le garde des sceaux et le ministre de la santé ont conjointement confié, le 23 janvier 2003, une mission à monsieur le professeur Jean-Louis Terra. Ce spécialiste reconnu devra remettre son rapport et ses propositions avant le 15 septembre 2003.
Auteur : M. Jean-Claude Lefort
Type de question : Question écrite
Rubrique : Système pénitentiaire
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Dates :
Question publiée le 3 février 2003
Réponse publiée le 7 avril 2003