Question écrite n° 14611 :
Cour de cassation

12e Législature

Question de : M. Claude Goasguen
Paris (14e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. Claude Goasguen appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation des avocats généraux à la Cour de cassation, dont le rôle, pourtant pluriséculaire, a été mis en cause par une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, cette dernière a jugé que la participation des avocats généraux au délibéré ne s'accordait pas avec les exigences d'un procès équitable, dans la mesure où le rapport, la note et le projet d'arrêt n'étaient communiqués qu'à l'avocat général et non aux parties. Prenant acte de cette jurisprudence, les magistrats du siège du bureau de la Cour de cassation ont décidé le 18 juin 2001 de remettre en cause la pratique antérieure en supprimant la transmission des documents préparatoire, aux avocats généraux et en ne leur permettant plus d'assister au délibéré. Pourtant, le parquet général près la Cour de cassation n'a pas pour mission de poursuivre et d'obtenir la condamnation de l'auteur d'une infraction, mais de défendre, au cours du débat juridique propre à la Cour de cassation, le respect de la loi. S'il n'est pas une partie au procès comme devant les juridictions du fond, il participe à la mission de défense de l'intérêt public confiée aux parquets, dans le sens où la loi, à la bonne application de laquelle il veille, est l'expression de la volonté générale. Face à une importante remise en cause de l'existence du parquet général près la Cour de cassation, il lui demande s'il entend, à travers notamment la modification des textes réglementaires et législatifs en vigueur, clarifier le statut de ces avocats généraux, afin de pérenniser une pratique essentielle pour la qualité de notre jurisprudence tout en respectant la Convention européenne des droits de l'homme.

Réponse publiée le 2 juin 2003

Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire qu'il partage son souci de rendre le fonctionnement du parquet général de la Cour de cassation compatible avec les exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, tout en affirmant la spécificité de la fonction d'avocat général à la Cour de cassation. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme a, dans une décision du 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane-Kaïd c/France, estimé que la non-communication du rapport du conseiller-rapporteur ainsi que du projet d'arrêt aux conseils des requérants créait un déséquilibre entre les parties et l'avocat général, à qui ces documents avaient été intégralement communiqués, qui ne s'accordait pas avec les exigences du procès équitable. Elle a donc conclu à la violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Et ce d'autant, indiquait la Cour, que l'avocat général n'est pas membre de la formation de jugement, mais qu'il a pour mission de veiller à ce que la loi soit correctement appliquée lorsqu'elle est claire, et correctement interprétée lorsqu'elle est ambiguë. Il « conseille » les juges quant à la solution à adopter dans chaque espèce et, avec l'autorité que lui confèrent ses fonctions, peut influencer leur décision dans un sens soit favorable, soit contraire à la thèse des demandeurs (paragraphe 105). La Cour a confirmé sa position dans une nouvelle affaire Slimane-Kaïd c/France le 25 janvier 2000 (paragraphe 25). Dans une affaire Kress c/France, la Cour a jugé le 7 juin 2001 que la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré constituait une violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention. Elle considère en effet que l'assistance purement technique apportée par celui-ci à ses collègues au cours du délibéré est à mettre en balance avec l'intérêt supérieur du justiciable qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa présence, exercer une certaine influence sur l'issue du délibéré. La Cour se trouve confortée dans cette approche par le fait qu'à la Cour de justice des Communautés européennes, l'avocat général, dont l'institution s'est étroitement inspirée de celle du commissaire du Gouvernement, n'assiste pas aux délibérés en vertu de l'article 27 du règlement de la CJCE (paragraphes 85-86). La Cour, dans une décision Theraube c/France du 10 octobre 2002, n'a pas vu de raison de parvenir à une conclusion distincte de celle de l'arrêt Kress et a conclu à la violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention du fait de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement des juridictions administratives. La Cour n'a pas été sensible aux arguments présentés par le Gouvernement selon lesquels le commissaire du Gouvernement appartient à la juridiction devant laquelle il conclut ; il appartient à la formation de jugement, si l'on désigne par cette expression l'ensemble des juges qui concourent à la formation collégiale de la décision juridictionnelle, même s'il est de règle qu'il ne prend pas part au vote à la fin du délibéré, il est un juge indépendant car il n'est ni le représentant du Gouvernement ni celui d'une partie ni encore celui de l'opinion des autres membres de la formation de jugement. Elle a au contraire affirmé qu'en interdisant au commissaire du Gouvernement de voter au nom de la règle du secret du délibéré, le droit interne affaiblissait la thèse du Gouvernement selon laquelle le commissaire du Gouvernement est un véritable juge, car un juge ne saurait, sauf à se déporter, s'abstenir de voter. Et elle a ajouté qu'il serait difficile d'admettre qu'une partie des juges puisse exprimer publiquement leur opinion et l'autre seulement dans le secret du délibéré (arrêt Kress précité, paragraphe 79). La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme implique donc une redéfinition du statut de l'avocat général. Le garde des sceaux, ministre de la justice indique à l'honorable parlementaire que les services de la chancellerie y travaillent actuellement et qu'il ne manquera pas, le moment venu, de faire connaître le résultat de ces réflexions.

Données clés

Auteur : M. Claude Goasguen

Type de question : Question écrite

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Dates :
Question publiée le 24 mars 2003
Réponse publiée le 2 juin 2003

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