pays en voie de développement
Question de :
M. Jacques Brunhes
Hauts-de-Seine (1re circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains
M. Jacques Brunhes attire l'attention de M. le Premier ministre sur l'accord concernant l'accès des pays en développement (PED) aux médicaments génériques intervenu le 30 août dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce. Cet accord entérine un compromis qui est loin d'être à la hauteur des enjeux que représente ce dossier eu égard à la gravité des problèmes de santé publique qui touchent les PED. En effet, s'il permet des dérogations aux règles de la propriété intellectuelle afin que certains PED puissent fabriquer et exporter à bas prix dans les pays sans capacité de production des traitements protégés par un brevet, sa mise en application est soumise à des conditions extrêmement contraignantes et restrictives. Ainsi, le pays souhaitant importer des médicaments génériques ne pourra le faire que dans des « circonstances exceptionnelles », doit fournir la preuve qu'il fait face à une situation de crise sanitaire, qu'il ne dispose pas de capacités de production propres, soumettre à l'OMC la dénomination et la quantité des médicaments qu'il souhaite importer, mettre en place un dispositif administratif et douanier très sophistiqué de nature à prévenir toute réexportation vers les marchés occidentaux des médicaments génériques importés... quant au pays fournisseur, il doit souscrire une licence dite obligatoire, limiter son recours à celle-ci aux types de médicaments et aux quantités souhaitées par le pays demandeur, transmettre ces informations à tous les États membres de l'OMC, ne pas utiliser cet accord « comme un instrument de politique industrielle ou commerciale »... Ces modalités, complexes, lourdes, longues, difficiles à mettre en oeuvre, très éloignées de l'esprit de la déclaration de Doha sur les brevets et la santé publique, limitent singulièrement la portée de l'accord qui n'apportera qu'une solution partielle et limitée aux problèmes sanitaires des PED. Bon nombre d'ONG, actives sur le terrain, craignent que cet accord ne soit qu'un faux semblant, que de millions de personnes continuent de mourir du VIH/sida, de la tuberculose, du paludisme et d'autres épidémies faute de la disponibilité réelle de médicaments dont ils ont besoin. Elles dénoncent les pressions qui ont été exercées sur les gouvernements des PED pour qu'ils acceptent ce compromis peu satisfaisant et la concession ainsi faite aux grands groupes pharmaceutiques du Nord. Dans ce contexte, il lui demande de bien vouloir prendre les initiatives appropriées, aux niveaux national, européen et international pour pallier l'insuffisance de l'accord et oeuvrer pour son amélioration. - Question transmise à M. le ministre délégué au commerce extérieur.
Réponse publiée le 20 janvier 2004
La question de l'accès aux médicaments dans les pays en développement et du recours aux licences obligatoires par les pays ne disposant pas de capacités de fabrication suffisantes dans le secteur pharmaceutique constitue une des priorités de la France dans le cadre des négociations commerciales multilatérales. Différentes tables rondes ont été organisées au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie sur ce sujet, associant administrations concernées, professionnels, représentants de l'industrie pharmaceutique et organisations non gouvernementales. En 2001, à Doha, la conférence ministérielle de l'organisation mondiale du commerce (OMC) est parvenue à un consensus sur une déclaration commune portant sur l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) et la santé publique. Elle affirme que l'accord devrait être interprété d'une manière qui appuie le droit des gouvernements de protéger la santé publique. La déclaration précise certaines des formes de flexibilité ménagées, en particulier l'octroi de licences obligatoires et les importations parallèles. Avec cette déclaration restait en suspens le problème du recours aux licences obligatoires par les pays ne disposant pas de capacités de fabrication suffisantes, la territorialité du droit du brevet ne permettant l'exercice de la licence obligatoire qu'au bénéfice de producteurs nationaux. L'article 6 de la Déclaration de Doha prévoit la mise en place de flexibilité à l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce, permettant à des pays en développement ne disposant pas de capacités de fabrication suffisantes d'accéder plus facilement aux médicaments. La négociation de ces flexibilités devait s'achever avant la fin de l'année 2002. Les principales divergences opposaient les Etats-Unis, qui souhaitaient restreindre au maximum ces flexibilités afin de protéger leur industrie pharmaceutique, et les pays en développement, plaidant pour leur part en faveur d'une application large du mandat de Doha. Les travaux du conseil des ADPIC ont permis de restreindre progressivement le désaccord au problème du champ d'application des flexibilités et des « maladies visées ». Un dernier texte de compromis a été proposé par la présidence du conseil des ADPIC le 16 décembre 2002, qui semblait être le plus proche possible du point d'équilibre entre les différentes positions : dispositif reprenant le libellé de la déclaration de Doha sur le champ des maladies (problèmes de santé publique qui touchent de nombreux pays en développement et pays les moins avancés, en particulier ceux qui résultent du VIH/sida, de la tuberculose, du paludisme et d'autres épidémies), ne discriminant pas parmi les pays exportateurs et désignant les pays importateurs comme tous les pays les moins avancés et les autres pays en développement établissant (eux-mêmes) leur absence ou leur insuffisance de capacité de production. Néanmoins, lors du conseil des ADPIC du 20 décembre 2002, les États-Unis ont rejeté ce texte, indiquant, face à certaines déclarations de pays en développement se prononçant pour un très large champ de problèmes de santé publique, qu'ils ne pouvaient se satisfaire de l'ambiguïté non limitative du texte sur ce point. Grâce notamment aux efforts de l'Europe et tout particulièrement de la France, les travaux du conseil des ADPIC ont permis d'aboutir le 30 août 2003 à un consensus sur les modalités de mise en oeuvre du paragraphe 6 de la déclaration de Doha. Après avoir envisagé de limiter le champ des maladies, les États-Unis ont finalement accepté de modifier leur approche et fait le choix de la limitation des pays bénéficiaires. Ils ont principalement recherché des déclarations d'auto-exclusion de la part de certains pays en développement et des éléments de confort sur l'identification et la non-réexportation des produits. La réouverture des discussions sur le contenu du texte du 16 décembre est apparue délicate, les pays en développement continuant de la récuser et chacun s'accordant à penser qu'il s'agit du meilleur dénominateur commun. A l'issue de travaux intensifs, menés principalement entre cinq pays (États-Unis, Afrique du Sud, Brésil, Inde, Kenya), le consensus s'est fait le 30 août à Genève sur l'adoption du texte du 16 décembre, assorti d'une déclaration du Président. Cette déclaration constate la reconnaissance par les membres de la nécessité d'utiliser le mécanisme de bonne foi afin de protéger la santé publique et non à des fins de développement industriel, constate que les membres reconnaissent que l'objectif de la décision pourrait être annihilé en cas de détournement de marché et s'engagent à prendre toutes les mesures raisonnables pour éviter ce processus, encourage les membres à tirer parti des « bonnes pratiques » mises en oeuvre par les laboratoires pour éviter les détournements de flux, invite, dans le cadre des notifications prévues, à fournir l'information ayant permis d'établir l'absence ou l'insuffisance de capacité de production, constate que 23 pays (les 15 membres de l'Union européenne, Australie, Canada, Japon, Islande, Nouvelle-Zélande, Norvège, Suisse, États-Unis) s'excluent d'emblée du système, que les dix futurs adhérents à l'Union s'en excluent sauf en cas d'urgence nationale, leur exclusion deviendra systématique lors de leur adhésion à l'Union, et que onze autres membres (Corée, Israël, Hongkong, Mexique, Singapour, Taipei, Turquie, Émirats arabes unis, Koweït, Macao et Qatar) ont fait des déclarations orales ou écrites d'opting-out sous la même réserve de l'urgence nationale. Cette décision constitue une amélioration importante de l'accès aux médicaments pour les pays en développement ne disposant pas de capacités de fabrication suffisantes. Cette avancée était attendue depuis de nombreuses années par les populations de ces pays, particulièrement touchées par les grandes pandémies. La détermination et le volontarisme du gouvernement français depuis l'été 2002 ont beaucoup compté dans le déblocage de ce dossier. La mise en oeuvre de cette décision implique maintenant, d'une part, que l'accord ADPIC soit amendé pour en intégrer le contenu juridique, d'autre part, que les membres de l'organisation mondiale du commerce, et en particulier la France et l'Union européenne, examinent l'opportunité de modifier leur dispositif interne. La représentation nationale sera bien sûr associée à ces travaux.
Auteur : M. Jacques Brunhes
Type de question : Question écrite
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : commerce extérieur
Dates :
Question publiée le 29 septembre 2003
Réponse publiée le 20 janvier 2004