Question écrite n° 3192 :
maladie de Creutzfeldt-Jakob

12e Législature

Question de : M. Jérôme Rivière
Alpes-Maritimes (1re circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. Jérôme Rivière souhaite attirer l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation douloureuse vécue par les familles dont les enfants sont morts de la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour avoir reçu dans les années 80 des injections d'hormones de croissance contaminées. Au-delà de l'aspect humain, ces familles se trouvent confrontées à des problèmes d'ordre juridique. Elles craignent que les lois votées lors de la précédente législature : loi sur les délits non intentionnels (loi Fauchon), loi sur la présomption d'innocence (loi Guigou), loi sur l'aléa thérapeutique (loi Kouchner), loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, ne viennent les débouter de leur demande d'indemnisation. Il lui demande quelles instructions et quels moyens ont été donnés pour accélérer une instruction déjà très longue.

Réponse publiée le 17 mars 2003

Le garde des sceaux, ministre de la justice, entend apporter à l'honorable parlementaire les éléments de réponse suivants. La contamination d'enfants, au cours des années 1980, par la maladie de Creutzfeldt-Jacob suite aux traitements qui leur ont été administrés par injection d'hormones de croissance extractives constitue à la fois un drame humain pour de nombreuses familles et l'un des dossiers majeurs de santé publique dont la justice a eu à connaître ces dernières années. Sur le plan pénal, il convient de rappeler que le dossier d'information judiciaire, ouvert au tribunal de grande instance de Paris le 24 décembre 1991, revêt une dimension nationale et concerne, depuis 1997, l'ensemble des victimes répertoriées par le centre de référence de la maladie. Cette procédure présente un caractère exceptionnel à plusieurs égards. Tout d'abord par l'ampleur des mesures d'instruction ordonnées par le magistrat saisi, destinées à déterminer pour chacune des victimes l'origine précise de la contamination par la maladie de Creutzfeldt-Jacob, son lien de causalité avec le traitement hormonal reçu, la nature et la provenance de l'hormone en cause, et à en évaluer les conséquences. Ensuite, par la complexité intrinsèque du dossier, qui suppose de nombreux actes d'enquête et d'expertise afin de rechercher des responsabilités éventuelles aux divers stades du processus, depuis le prélèvement d'hypophyses, en France et à l'étranger, jusqu'à la distribution et à la prescription des hormones. C'est ainsi qu'à ce jour plusieurs personnes, à différents niveaux, ont été mises en examen sous les qualifications de blessures ou homicides involontaires, voire d'empoisonnement pour certains faits. La particularité de ce dossier tient également aux développements procéduraux auxquels a conduit la procédure initiale, notamment au volet financier et au volet se rapportant à la disparition de certains éléments de preuve. En outre, ce dossier a déjà donné lieu à des débats juridiques et permis, le 17 septembre dernier, à la chambre de l'instruction de Paris de se prononcer sur des requêtes en nullité formulées par les parties et notamment de procéder à l'annulation partielle d'une mise en examen. En conséquence, la durée de ce dossier doit être appréciée au regard de ces différents facteurs, étant précisé qu'un second juge d'instruction est désormais adjoint au magistrat instructeur initial. Enfin, le garde des sceaux tient à faire connaître l'intérêt qu'il porte à la mise en place effective des juridictions spécialisées en matière sanitaire, appelées « pôles de santé publique », qui ont été créées par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. En particulier, les magistrats des deux juridictions désignées comme pôles de compétence, Paris et Marseille, seront prochainement secondés d'assistants spécialisés, fonctionnaires issus des ministères chargés de la santé et de l'agriculture. En effet, il paraît essentiel que la justice pénale, saisie de dossiers complexes relatifs à la sécurité sanitaire ou à la sécurité alimentaire, soit enfin dotée des moyens humains, matériels et techniques pour mener à bien ces procédures. Sur le plan civil, les préjudices subis par les familles d'enfants victimes ne peuvent être indemnisés sur le fondement de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui prévoit un dispositif d'indemnisation au profit des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes et d'infections nosocomiales consécutifs à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins, mais qui n'est applicable qu'aux dommages survenus postérieurement au 5 septembre 2001. Il en est de même pour la loi du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, insérée dans le code civil aux articles 1386-1 à 1386-18, dont les dispositions ne concernent que les produits mis en circulation après le 21 mai 1998, date d'entrée en vigueur de la loi. Toutefois, la directive européenne n° 85-374 du 25 juillet 1985 qui est à l'origine de cette réforme législative aurait dû être transposée par les Etats membres dans leur ordre juridique interne au plus tard le 7 août 1988. C'est pourquoi la jurisprudence, soutenue en cela par la Cour de cassation, a pu faire une application directe des dispositions claires et précises de la directive au profit de personnes transfusées ou ayant reçu des injections d'hormone de croissance, conformément au principe de primauté du droit communautaire sur le droit interne. C'est ainsi que, le 9 juillet 2002, le tribunal de grande instance de Montpellier a reconnu le bien-fondé de l'action successorale et de l'action en indemnisation de leur préjudice personnel intentée par les ayants droits d'une enfant décédée de la maladie de Creutzfeldt-Jacob suite à des injections d'hormones de croissance reçues en 1985, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, lequel, interprété à la lumière de la directive communautaire, permet de rechercher pendant trente ans la responsabilité contractuelle du producteur, du fournisseur ou du distributeur d'une spécialité pharmaceutique en raison d'un manquement à une obligation de sécurité-résultat. Il convient enfin de relever que la loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale, qui a apporté plusieurs correctifs à la loi du 4 mars 2002, a introduit dans le code de la santé publique un alinéa supplémentaire à l'article L. 1142-22 aux termes duquel « les obligations de l'association France-Hypophyse [aujourd'hui dissoute et liquidée] nées de son rôle dans l'organisation du traitement des patients par l'hormone de croissance extractive entre 1973 et 1988 sont transférées à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ». Ainsi les victimes et leur famille auront la possibilité d'être effectivement indemnisées, qu'elles choisissent une procédure transactionnelle ou contentieuse pour parvenir à la réparation de leur préjudice.

Données clés

Auteur : M. Jérôme Rivière

Type de question : Question écrite

Rubrique : Santé

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Dates :
Question publiée le 23 septembre 2002
Réponse publiée le 17 mars 2003

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