Question écrite n° 60636 :
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12e Législature

Question de : M. François Cornut-Gentille
Haute-Marne (2e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. François Cornut-Gentille attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le respect de la présomption d'innocence. À l'initiative de sociétés de production audiovisuelle, des fictions télévisées ou cinématographiques portant sur des affaires judiciaires non encore définitivement jugées font l'objet de diffusion grand public. Ces fictions donnent lieu à une libre interprétation des faits et des responsabilités des différentes personnes concernées. Par leur diffusion avant la clôture de la procédure judiciaire, elles sont susceptibles d'interférer dans le bon exercice de la justice et de porter de graves atteintes soit au secret de l'instruction, soit à la présomption d'innocence. Alors que les projets de telles fictions se multiplient, il lui demande de préciser les intentions du Gouvernement pour encadrer juridiquement la production et la diffusion des fictions portant sur des affaires judiciaires non encore définitivement jugées, afin de protéger le secret de l'instruction et la présomption d'innocence.

Réponse publiée le 11 avril 2006

Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait savoir à l'honorable parlementaire que l'actuel dispositif législatif comporte de nombreuses dispositions tendant à assurer un équilibre entre deux séries de principes, la liberté d'expression et notamment celle des auteurs de fictions télévisées ou cinématographiques, d'une part et, la présomption d'innocence et le secret de l'instruction, d'autre part. La liberté d'expression, par exemple de l'auteur d'une fiction télévisée ou cinématographique, est protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et définie comme « la liberté d'opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ». Cependant, aux termes du deuxième paragraphe du même article « des formalités, conditions, restrictions ou sanctions », nécessairement prévues par la loi peuvent exister et constituer « des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ». Or, la réalisation et la diffusion de fictions télévisées ou cinématographiques peuvent, comme le souligne l'honorable parlementaire, porter atteinte au secret de l'instruction ou à la présomption d'innocence, lorsqu'elles portent sur des affaires judiciaires en cours. Ainsi, en premier lieu, l'article 11 du code de procédure pénale pose le principe du secret de l'enquête et de l'instruction et participe de ces restrictions nécessaires visant, notamment, à empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. Le secret de l'enquête et de l'instruction tend, en particulier, à préserver leur efficacité, mais aussi à protéger la réputation des personnes mises en cause et dure du début de l'enquête ou de l'instruction jusqu'à la clôture de celle-ci. Ne sont soumises au secret de l'enquête et de l'instruction que les personnes qui apportent leur concours à la procédure et qui dépendent de l'autorité publique ou qui, agissant à la demande de cette dernière, participent à l'enquête ou à l'instruction (magistrats, greffiers, officiers et agents de police judiciaire, experts...). Il en résulte que la personne mise en examen, la partie civile, la victime, les témoins, les avocats, les journalistes et auteurs de fictions télévisées ou cinématographiques ne sont pas soumis au respect du secret posé par l'article 11 du code de procédure pénale. En revanche, les journalistes ou les auteurs de fictions peuvent être poursuivis pour recel de violation du secret professionnel, c'est-à-dire pour avoir utilisé ou transmis des informations en sachant qu'elles provenaient d'un délit, en l'espèce la violation du secret de l'enquête ou de l'instruction. En second lieu, la présomption d'innocence, garantie procédurale fondamentale, consacrée par l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 9-1, alinéa 1, du code civil selon lequel « chacun a droit au respect de la présomption d'innocence », est solennellement rappelée par l'article préliminaire du code de procédure pénale dont le paragraphe 3 dispose que « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ». La protection de la présomption d'innocence est assurée par différents textes. Tout d'abord, si l'article 9-1, alinéa 1, du code civil n'interdit pas a priori de rendre compte des affaires judiciaires ou instructions en cours, son alinéa 2 permet à toute personne qui serait présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une information judiciaire, avant toute condamnation, d'obtenir, même en référé, la réparation du préjudice subi et de demander au juge de prescrire des mesures telles qu'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à sa présomption d'innocence. La jurisprudence considère qu'il y a atteinte à la présomption d'innocence dès lors que la culpabilité de la personne est présentée comme certaine (2e chambre civile de la Cour de cassation - 20 juin 2002). En outre, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime, en son article 29, la diffamation définie comme étant une allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne. La présentation d'une personne comme étant coupable ou condamnée avant toute décision judiciaire est constitutive d'une diffamation punie d'une amende de 12 000 euros. De plus, l'article 35 quater de la loi du 29 juillet 1881 réprime d'une amende de 15 000 euros le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, la reproduction des circonstances d'un crime ou d'un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d'une victime et qu'elle est réalisée sans son accord. Enfin, sur le fondement de l'article 11, alinéa 3, du code de procédure pénale, le procureur de la République peut intervenir et diffuser des éléments objectifs de la procédure, et ce afin de mettre fin à un trouble à l'ordre public ou d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes pouvant résulter, par exemple, de la violation de la présomption d'innocence.

Données clés

Auteur : M. François Cornut-Gentille

Type de question : Question écrite

Rubrique : Audiovisuel et communication

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Dates :
Question publiée le 15 mars 2005
Réponse publiée le 11 avril 2006

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