mer et littoral
Question de :
M. Henri Emmanuelli
Landes (3e circonscription) - Socialiste
M. Henri Emmanuelli appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le risque de remise en cause de l'efficacité de la politique pénale de lutte contre les pollutions maritimes volontaires que ferait courir le renvoi de ces dossiers devant l'État du pavillon. La France s'est progressivement dotée d'un arsenal répressif important pour lutter contre les pollutions maritimes. Son efficacité serait pourtant menacée si une jurisprudence remettait en cause la compétence des tribunaux français au profit des tribunaux de l'État du pavillon. Dans deux affaires récentes, concernant les navires norvégien Trans Artic et maltais Fast Independance, le parquet a renvoyé les audiences suite à des demandes des autorités maritimes des États du pavillon, qui s'appuyaient sur la convention de Montego Bay. Or, si l'article 228 de cette convention dispose en effet que les poursuites engagées par le parquet peuvent être suspendues dès lors que l'État du pavillon a lui-même engagé des poursuites du chef de la même infraction dans les six mois suivant l'introduction de la première action, l'article 237 précise que « la présente partie n'affecte pas les obligations particulières qui incombe aux États en vertu de conventions et d'accords spécifiques conclus antérieurement en matière de protection et de préservation du milieu marin ». Ainsi, la convention Marpol signée par la France déroge à la convention générale de Montego Bay. En effet, l'article 4, paragraphe 2, de la convention Marpol stipule que « toute violation des dispositions de la présente convention commises dans la juridiction d'une partie à la convention est sanctionnée par la législation de cette partie ». La compétence de la juridiction de l'État côtier n'apparaît donc pas résiduelle mais primordiale par rapport à celle de l'État du pavillon. Telle est d'ailleurs l'interprétation du gouvernement français au travers d'une instruction du Premier ministre en date du 15 juillet 2002 qui dispose que « la répression par les tribunaux français s'applique aux navires étrangers pour les infractions commises dans les eaux sous juridiction française ». Dès lors, l'application de la convention de Montego Bay ne devrait pas pouvoir être utilement invoquée devant les juridictions françaises. Il souhaite donc savoir si cette position du parquet constitue une nouvelle orientation de la politique pénale qui serait de nature à réduire à néant la politique de répression en la matière menée depuis plusieurs années par les juridictions françaises.
Réponse publiée le 29 août 2006
Le garde des sceaux, ministère de la justice, a pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de la question concernant la politique pénale conduite en matière d'infractions de rejets volontaires d'hydrocarbures et le droit national applicable au regard de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, signée le 10 décembre 1982. L'honorable parlementaire évoque en effet deux procédures actuellement pendantes devant le tribunal de grande instance de Brest et il n'appartient pas au garde des sceaux, ministre de la justice, de porter une appréciation sur des décisions frappées d'appel, non encore définitives, ou en délibéré. Il appartient aux juridictions du fond, et à la Cour de cassation, si elle est saisie dans l'avenir d'un pourvoi, de statuer sur l'articulation et l'application des dispositions pertinentes des conventions internationales de Montego Bay et de Marpol, qui régissent la matière des pollutions marines. Il peut être cependant indiqué à l'honorable parlementaire que le Gouvernement est particulièrement attentif à l'évolution de ces dossiers et que la France s'attache à mettre en oeuvre, dans le respect du droit international, un dispositif sérieux et efficace de répression des infractions de pollution marine par les navires, en particulier de pollution par hydrocarbures. C'est ainsi que les juridictions maritimes spécialisées ont été instituées et que la répression de ces infractions a été sensiblement accrue, notamment par des amendes très dissuasives. La France a utilisé avec toute la fermeté requise cet arsenal juridique et tous les moyens offerts par le droit international, et en particulier l'article 220.6 de la convention sur le droit de la mer qui lui permet, en cas de dommages importants, d'ordonner le déroutement et l'immobilisation des navires suspects de rejets illicites. En deux ans, plus de trente déroutements et immobilisations ont pu être ordonnés dans les espaces maritimes sous juridiction française et dix-neuf condamnations à de lourdes peines d'amende ont été prononcées. Cette politique volontariste a constitué un véritable électrochoc pour les États du pavillon en faveur de la protection de l'environnement marin. En effet, la décision de certains États du pavillon d'exciper de leur compétence en application de la convention de Montego Bay ne remet absolument pas en cause l'action de l'État en mer ni la politique pénale conduite en la matière. Il convient en effet de préciser que la France ne serait nullement démunie en cas de demande abusive ou dilatoire émanant d'États peu scrupuleux. Elle dispose en effet, en tant qu'État côtier, du droit de recourir à l'une des deux clauses de sauvegarde prévues par l'article 228 de cette convention. Si la France estime que l'État du pavillon n'a pas suffisamment respecté dans le passé ses obligations en matière de sécurité maritime et de protection du milieu marin et que des infractions sont restées impunies ou si elle fait face à un dommage « grave », la France pourrait refuser de suspendre les poursuites engagées devant ses tribunaux. L'action de la France, pour être efficace et pérenne, s'inscrit dans le cadre international de l'Organisation maritime internationale et communautaire et tend à promouvoir une véritable politique européenne de la mer. À ce titre, la France soutient le paquet Erika III et en particulier la modification de la directive relative au contrôle par l'État du port et le renforcement des dispositions relatives au suivi du trafic, dispositif qui contribuera bien évidemment à un renforcement de la sécurité maritime.
Auteur : M. Henri Emmanuelli
Type de question : Question écrite
Rubrique : Déchets, pollution et nuisances
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Dates :
Question publiée le 20 décembre 2005
Réponse publiée le 29 août 2006