tribunaux
Question de :
M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 4 février 2004
DÉCISION DU TRIBUNAL DE NANTERRE
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, nous sommes tous ici des républicains et, à ce titre, nous sommes attachés à la loi, à son respect, à son application. De même, nous sommes tous ici des démocrates et, à ce titre, attachés au principe sacré de la séparation des pouvoirs.
Pour ces deux raisons, majeures et impérieuses, le jugement rendu vendredi dernier par le tribunal de Nanterre, conforme à la législation en vigueur adoptée par le Parlement à l'unanimité en 1995, ne saurait souffrir, notamment de la part du Gouvernement, aucun commentaire de nature à remettre en cause ces deux principes sacrés que sont l'égalité de tous devant la loi et l'indépendance de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Mme Elisabeth Guigou. Très bien !
M. Francis Delattre. Pas vous !
M. Richard Mallié. Emmanuelli !
M. Jean-Marc Ayrault. Si vous êtes en désaccord avec ces propos, allez-y, criez-le encore plus fort ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Richard Mallié. Souvenez-vous : Henri Emmanuelli, en 1996 !
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, comment pouvez-vous justifier les déclarations de plusieurs membres de votre gouvernement - les vôtres également - qui, depuis quelques jours, semblent remettre en cause le respect de ces principes ? (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Pierre Micaux. Scandaleux !
M. Richard Mallié. Quel culot !
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, ma question est très simple : quelles assurances pouvez-vous donner à la représentation nationale quant à la sérénité nécessaire au bon fonctionnement de la justice dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes tous ici des républicains et nous partageons tous, en effet, l'idée républicaine selon laquelle personne n'est au-dessus de la loi. Néanmoins je ne voudrais pas que les propos qui ont été tenus soient caricaturés.
Je tiens donc à préciser le sens des mots qui ont été employés à propos du jugement du tribunal de Nanterre.
Concernant le chef du Gouvernement, sachez qu'il n'a pas souhaité et ne souhaite pas jeter le discrédit sur la justice et sur ses décisions. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Bernard Roman. Il ne manquerait plus que cela !
M. Jean-Marc Ayrault. C'est bien le moins !
M. le Premier ministre. Je respecte l'indépendance de la justice ; je respecte donc ses décisions. (« Heureusement ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
J'ai employé le mot « surprise », dont le dictionnaire dit qu'il reflète l'état d'une personne. Ce n'est ni une opinion ni un jugement. (Rires sur les bancs du groupe socialiste), encore moins un jugement sur un jugement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Je me souviens que, en d'autres temps, certains parlaient de décision inique, de propos et de jugements partiaux, ou encore de décision controversée en droit et injuste dans ses effets. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Christophe Cambadélis. Ils n'étaient pas membres du Gouvernement !
M. le Premier ministre. Récemment, je le répète, j'ai parlé de surprise, ce qui traduit l'état d'une personne. Ce n'est ni une opinion ni un jugement.
Je vous rappelle aussi que l'appel est suspensif et que, par définition, le jugement du tribunal n'est pas définitif. C'est le bon sens. Je me suis contenté de rappeler les règles de notre droit. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Augustin Bonrepaux. Qu'est-ce que cela veut dire « un jugement provisoire » ?
M. le Premier ministre. Enfin, je veux souligner que le service du pays peut prendre mille formes. Nombreux sont les Françaises et les Français qui servent aujourd'hui leur pays. L'idée du service de la France ne préjuge pas du statut du serviteur.
M. François Hollande. Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. le Premier ministre. Ma déclaration de chef du Gouvernement était donc à la fois sincère et responsable.
M. Yves Fromion. Très bien !
M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas très clair !
M. le Premier ministre. J'y suis fidèle, en réaffirmant ici sereinement, paisiblement, mon amitié pour Alain Juppé (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), une amitié qui n'est pas incompatible avec le respect de l'indépendance de la justice.
M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas convaincant !
M. le Premier ministre. Pour terminer, je vous rappelle cette phrase de Todorov : « Donner des leçons de morale n'a jamais été une preuve de vertu. » (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Auteur : M. Jean-Marc Ayrault
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 février 2004