Question au Gouvernement n° 1166 :
procédure pénale

12e Législature

Question de : M. Roger-Gérard Schwartzenberg
Val-de-Marne (3e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 12 février 2004

PROJET DE LOI PERBEN

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le garde des sceaux, toutes les organisations d'avocats et de magistrats dénoncent votre projet de loi, qui est une revanche sur la loi relative à la présomption d'innocence, votée à l'unanimité dans cet hémicycle en 2000. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous instaurez des procédures d'exception, en principe réservées à la grande criminalité. Mais si elles sont utilisées à tort, irrégulièrement, pour des délits ordinaires commis en bande organisée, notion du reste très floue, elles ne seront pas frappées de nullité. Or ces procédures renforcent considérablement les pouvoirs de la police et du parquet et restreignent fortement les libertés individuelles et les droits de la défense. Elles autorisent des gardes à vue de quatre jours et quatre nuits, les perquisitions de nuit et l'installation de micros et de caméras au domicile des suspects.
Etendues à la délinquance ordinaire, ces mesures seraient disproportionnées et contraires à la Convention européenne des droits de l'homme, à laquelle notre Constitution reconnaît une autorité supérieure aux lois nationales.
La procédure du plaider-coupable est contraire à la Constitution. En fait, elle autorise le parquet à prononcer lui-même une peine d'emprisonnement, peine qui sera simplement homologuée par un juge du siège, sans passer par l'audience publique et contradictoire qui permet l'exercice réel des droits de la défense.
Confier le pouvoir de juger aux procureurs est contraire au principe fondamental de séparation entre les autorités chargées de la poursuite et les autorités de jugement, rappelé par le Conseil constitutionnel dès le 5 février 1995.
C'est aussi une mesure contraire à la séparation des pouvoirs. En effet, à la différence des magistrats du siège, qui sont indépendants, les procureurs sont placés sous l'autorité hiérarchique, désormais renforcée, du ministre de la justice. Cela revient donc à conférer la fonction de juger à des représentants du pouvoir exécutif.
Si votre texte est adopté, nous saisirons immédiatement le Conseil constitutionnel pour qu'il le censure. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le garde des sceaux, écoutez la voix des avocats, des magistrats, de tous ceux qui veulent à la fois la sécurité et la liberté (Mêmes mouvements) et retirez ce projet inconstitutionnel dans lequel la France des droits de l'homme ne peut aucunement se reconnaître ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je comprends que vous soyez hostile à un projet de loi déposé par notre gouvernement et approuvé par la majorité de l'Assemblée. Mais pourquoi utilisez-vous, comme d'autres, des arguments faux ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous dites qu'il n'y a pas de définition précise du concept de « criminalité organisée ». C'est faux ! La criminalité organisée, comme je l'ai dit hier, correspond à une liste précise de crimes et de délits, accomplis en bande organisée, ce qui relève d'une définition stricte qui figure dans le code pénal depuis longtemps.
Vous dites que ces procédures pourront s'appliquer à la délinquance ordinaire. C'est faux ! Vous qui êtes un juriste attentif, vous avez dû noter que chaque recours à un moyen exceptionnel d'enquête est placé sous le contrôle du juge du siège. Pourquoi voudriez-vous que ce magistrat commette systématiquement des irrégularités par rapport à la loi ? Il n'y a aucune raison à cela.
Vous dites aussi que le garde des sceaux pourra intervenir dans la procédure de jugement. C'est faux ! Et vous le savez très bien.
M. Lucien Degauchy. De toute façon, il a tout faux !
M. le garde des sceaux. Vous dites encore que le plaider-coupable n'est qu'une négociation sans audience et que c'est le procureur qui fixe la peine. C'est faux !
Vous dites enfin qu'il n'y a pas de débat contradictoire. Là encore, c'est faux ! L'avocat est obligatoirement présent pendant la discussion et devant le juge. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. François Hollande. Et le procès ?
M. le garde des sceaux. Encore une fois, je comprends que vous soyez hostile à certaines orientations du Gouvernement. Pour ce qui me concerne, et sous l'autorité du Premier ministre, je vise deux objectifs :
D'une part, donner à la justice française les moyens de lutter efficacement contre cette criminalité organisée de plus en plus dangereuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous démontrez que ce n'est pas ce que vous voulez. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
D'autre part, faire en sorte que les Françaises et les Français puissent avoir accès à la justice dans des conditions décentes. Nous devons mettre un terme à cette caricature de justice que sont les procédures correctionnelles telles qu'elles se déroulent aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle le plaider-coupable constitue une humanisation et une amélioration de l'accès à la justice. Vous le savez bien d'ailleurs.
Pour finir, je poserai une question, monsieur Schwartzenberg. Lors des trois lectures du texte devant votre assemblée, je dois dire que je vous ai peu vu sur ces bancs. (Huées sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Martine David. C'est minable !
M. Albert Facon. Délateur !
M. le garde des sceaux. Pourquoi lorsque le texte issu de la commission mixte paritaire est venu en débat, mesdames, messieurs du groupe socialiste, n'étiez-vous que trois en séance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Données clés

Auteur : M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Droit pénal

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 février 2004

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