Question au Gouvernement n° 2390 :
programmes

12e Législature

Question de : M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 15 décembre 2005

ARTICLE 4 DE LA LOI
DU 23 FÉVRIER 2005

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, l'article 4 de la loi du 23 février 2005, (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), reconnaissant le rôle positif de la colonisation (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), divise profondément la communauté nationale (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Richard Mallié. Votre insistance est scandaleuse !
M. Jean-Marc Ayrault. À plusieurs reprises, en particulier lors de l'examen de la proposition de loi du groupe socialiste, il y a deux semaines, nous vous avons demandé l'abrogation de cet article,
M. Francis Delattre. Non !
M. Jean-Marc Ayrault. .
..pour régler des comptes politiques (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ni pour rejouer les affrontements de la décolonisation, mais pour corriger ensemble une erreur qui a blessé nombre de nos compatriotes. Deux de vos ministres ont d'ailleurs exprimé la même demande. (Exclamations sur certains bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Richard Mallié. Arrêtez de jeter de l'huile sur le feu !
M. Jean-Marc Ayrault. Ni vous ni votre majorité n'avez saisi la main que nous vous avons tendue. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Une main assassine !
M. Jean-Marc Ayrault. Pire : des déclarations insensées, émanant du groupe UMP, ont attisé les passions. Un des députés de votre majorité s'est ainsi abaissé à déclarer que sans la colonisation, ni M. Begag ni M. Bertrand ne seraient ministres de la République. (" Honteux ! " sur les bancs du groupe socialiste.) Jusqu'où ira-t-on dans l'indignité ? Il est d'ailleurs choquant que ni vous ni le président de l'UMP n'ayez jugé bon de réagir à de tels propos.
Il est plus que temps, monsieur le Premier ministre, de mettre un terme à cette dérive. Il est temps de consolider une conscience nationale aux racines multiples. C'est notre richesse, notre fierté d'être Français. Et je récuse toute idée de repentance. L'histoire de notre nation comprend des pages glorieuses qu'il faut savoir célébrer, mais aussi des pages plus sombres qu'il faut savoir reconnaître. Ce que nous voulons, c'est construire une mémoire partagée dans laquelle chaque enfant de la République pourra se reconnaître.
Alors, c'est vrai, arrêtons de confondre l'histoire et la mémoire.
M. Richard Mallié. Et vous, arrêtez d'envenimer les choses !
M. Jean-Marc Ayrault. L'histoire appartient aux historiens, la mémoire appartient à la nation.
La mission qui a été confiée au président de l'Assemblée nationale peut, à cet égard, jouer un rôle utile mais elle sera - et je l'ai déjà dit - une mission impossible tant que subsistera ce germe de division.
Monsieur le Premier ministre, ce que je vous demande est simple : videz l'abcès !
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. L'abcès, c'est vous !
M. Jean-Marc Ayrault. Vous pouvez prendre l'initiative d'abroger cet article, et même le faire par décret. Alors nous pourrons, ensemble, travailler à rassembler la nation autour d'une mémoire apaisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes une grande nation, qui a connu des épreuves et la grandeur. Il y a, dans notre histoire, des combats exemplaires, l'affirmation d'idéaux qui font notre fierté : les grands principes de 1789, la loi de 1905 sur la laïcité, ...
M. Jean-Pierre Brard. La Résistance !
M. le Premier ministre. ...l'égalité des chances, dont j'ai décidé qu'elle serait la grande cause nationale pour l'année 2006.
M. Jean-Pierre Brard et M. Maxime Gremetz. Et la Résistance ?
M. le Premier ministre. Voilà des valeurs que nous devons porter haut et défendre.
Je le dis ici solennellement, monsieur le président Ayrault : cette histoire, il ne faut pas seulement la commémorer, il faut la faire vivre au quotidien, il nous faut la partager tous ensemble, il faut en tirer les leçons, avec humilité et enthousiasme.
M. François Hollande. Et après ?
M. le Premier ministre. Mais soyons attentifs à chacun, à toutes les mémoires ; aux souffrances qui sont encore vivantes, aux mémoires qui ne sont pas suffisamment reconnues, aux identités blessées. La République doit leur faire toute leur place.
M. Jean Glavany. Même dans la loi ?
M. le Premier ministre. La France est riche de l'outre-mer, qui affirme notre présence et notre rayonnement sur tous les continents ; elle est riche de ses enfants issus de l'immigration, qui nous apportent leur confiance et leur espoir.
M. Jean-Christophe Cambadélis. Dites-le à M. Sarkozy !
M. le Premier ministre. Nous sommes tous citoyens, égaux en droits et en devoirs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), ...
M. Albert Facon. Même la " racaille " ?
M. le Premier ministre. ...fils et fille de la République.
M. Maxime Gremetz. Supprimez l'article 4 !
M. le Premier ministre. Ensemble, nous devons nous retrouver pour faire face aux défis d'aujourd'hui. (" Abrogez ! " sur les bancs du groupe socialiste.)
D'abord, nous devons affirmer une règle : ce n'est pas au Parlement de faire l'histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste, sur de nombreux bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il n'y a pas, en France, d'histoire officielle. (" Absolument ! " sur les bancs du groupe socialiste.) Il y a seulement le travail des historiens. (" Abrogez ! " sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est pourquoi le Président de la République a proposé au président de l'Assemblée nationale...
M. Jean Glavany. C'est ici que l'on vote !
M. le Premier ministre. ...de constituer une mission pluraliste pour évaluer l'action législative dans les domaines de la mémoire et de l'histoire.
Mme Huguette Bello. Abrogez !
M. le Premier ministre. Cette mission devra s'entourer d'historiens, et rendra ses conclusions dans les trois mois. Le Président de la République a également demandé...
M. Jean Glavany. Ce n'est pas lui qui fait et défait la loi !
M. le Premier ministre. ...que soit créée dans les meilleurs délais la fondation sur la mémoire prévue par l'article 3 de la loi de février 2005.
M. Jean-Christophe Cambadélis. Abrogez !
M. le Premier ministre. Monsieur le président Ayrault, vous m'avez interpellé.
M. Jean Glavany. Dignement !
M. le Premier ministre. Je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté dans votre esprit sur ma réponse : il est normal que nous nous posions des questions sur notre identité commune, mais, oui, je suis fier d'être français. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Jacques Desallangre et plusieurs députés du groupe socialiste. Nous aussi ! Répondez à la question !
M. le Premier ministre. J'assume toute l'histoire de France. Oui, j'ai l'honneur, et tout mon gouvernement avec moi, de servir nos compatriotes et de relever les défis de l'avenir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Maxime Gremetz. Ça, on peut en discuter !
M. le Premier ministre. Tous ensemble, sur ces bancs, nous pouvons dire fraternellement, debout, la tête haute : vive la République, vive la France ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. Et la réponse ?
M. le président. Nous en venons à une question du groupe de l'Union pour la démocratie française. (" Abrogez ! Abrogez ! " sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, un peu de dignité !
M. Jean Glavany. Qui s'est montré indigne ?

Données clés

Auteur : M. Jean-Marc Ayrault

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Enseignement

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 décembre 2005

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