Question au Gouvernement n° 460 :
Iraq

12e Législature

Question de : M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 19 mars 2003

IRAK

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, l'ultimatum de M. Bush à l'Irak a fermé la voie d'une issue pacifique à la crise. Combien d'hommes, de femmes, d'enfants vont payer de leur vie cet aveuglement face à leurs souffrances ? Je veux d'abord exprimer la solidarité des socialistes de l'Assemblée nationale à l'égard du peuple irakien, qui subit le double joug de la guerre et de la dictature. Je souhaite également saluer le geste noble de M. Robin Cook, qui démissionne pour ne pas cautionner cette aventure guerrière. Enfin, je salue également la marche de toutes celles et de tous ceux qui, par millions, ont dit non au recours à la force, y compris aux Etats-Unis d'Amérique.
Car le président américain prend la responsabilité de déclencher une guerre hors-la-loi,..
M. Maxime Gremetz. Voyou !
M. Jean-Marc Ayrault. ... c'est-à-dire contre l'avis de la seule instance habilitée à en décider : le Conseil de sécurité de l'ONU. Un coup terrible est porté à la grande idée qui guide la communauté internationale depuis cinquante ans, celle d'une sécurité collective fondée sur des règles de droit partagées par tous. Cette guerre, que M. Bush croit gagner en trois jours, porte en elle une onde de choc tragique pour le monde : crise avec le monde arabe et musulman, une nouvelle fois soumis à la loi de la guerre, au risque de provoquer un choc des civilisations que nous refusons ; crise de l'ONU, réduite au rôle de chambre d'enregistrement impuissante et délégitimée ; crise de l'OTAN, le bras armé de l'Amérique, où les alliés n'ont d'autre choix que de se soumettre ou de se démettre ; crise de l'Europe, dont certains dirigeants, sourds à l'appel de leurs peuples, ont préféré jouer les supplétifs d'une mauvaise cause ; crise, enfin, avec notre propre pays, l'ami loyal et historique que le gouvernement américain ose menacer de représailles. Le président Bush doit savoir que c'est toute notre nation qui est meurtrie par cette campagne injuste et malvenue. Le refus de cette guerre, mes chers collègues, n'est pas l'expression personnelle d'un homme, fût-elle celle du Président de la République. Elle est la voix du peuple français dans son écrasante majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

C'est pourquoi, monsieur le président, monsieur le Premier ministre, je demande que le Parlement soit informé et consulté à tout instant. Ne nous résignons pas à l'inéluctable, restons les militants d'un ordre international fondé sur le droit et le respect des peuples à disposer d'eux-mêmes.
M. Yves Fromion. Heureusement que vous êtes là !
M. Jean-Marc Ayrault. Aujourd'hui, la France est écoutée du monde.
M. Yves Fromion. Grâce à vous ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. Monsieur Fromion, un peu de tenue !
M. Jean-Marc Ayrault. Qu'elle utilise cette force. Depuis le mois de septembre, notre position est claire : nous nous sommes opposés à cette guerre, jusqu'à utiliser le droit de veto, avions-nous alors dit. Nous nous réjouissons que ce soit la position de la France. Justement, cette force-là, qui est écoutée du monde, nous souhaitons que la France l'utilise pour restaurer les pouvoirs de l'ONU et forcer la voie d'une conférence de paix au Proche et au Moyen-Orient. Nous souhaitons que la France retrouve l'ambition de construire une Europe qui soit maîtresse de son destin, capable de parler d'une même voix. Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt pour ces rendez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Permettez-moi, monsieur le président, de vous remercier d'avoir, par cette nouvelle forme de présentation des questions, permis l'expression de l'unité nationale derrière les positions de la France, celles du Président et de notre diplomatie.
La guerre n'est pas déclarée et, jusqu'au bout, nous nous battrons pour la paix, pour les principes et les convictions qui ont guidé la démarche de la France dans ces terribles circonstances. Nous avons entendu l'ultimatum de quarante-huit heures qui a été adressé par le Président des Etats-Unis. Malgré cela, nous continuons à défendre les principes et à affirmer les convictions qui sont celles de la France. C'est le message qu'a formulé, il y a quelques heures, M. le Président de la République, c'est le message de la France, mais c'est aussi, aujourd'hui, celui d'une majorité de nations dans le monde.
C'est d'abord le message de la légalité internationale. Nous voyons combien notre monde a besoin de règles internationales, et qu'elles soient respectées.
L'ONU, qui a été construite, ne l'oublions pas, pour faire en sorte que les générations futures soient préservées du « fléau de la guerre », selon les mots de sa charte constitutionnelle, doit rester le lieu du droit international, et le Conseil de sécurité la seule instance à pouvoir autoriser l'emploi de la force. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
M. Emile Zuccarelli. Très bien !
M. le Premier ministre. C'est pourquoi nous sommes très engagés dans la défense de l'Organisation des Nations unies et du Conseil de sécurité. Nous voulons dire très clairement au monde que, pour la France, il ne peut y avoir d'engagement unilatéral de la force sans risque de fragiliser ce lieu de paix, ce lieu de droit qu'est l'Organisation des Nations unies. C'est un engagement en faveur du droit, en faveur de la légalité internationale.
Deuxième grand principe, deuxième grande conviction, nous pensons que, à l'occasion de cette crise, l'Organisation des Nations unies a trouvé une forme pertinente de lutte contre le terrorisme et contre la prolifération : la démarche des inspections. Nous regrettons profondément qu'elle ne puisse aller à son terme, car elle produit des résultats. Elle a ainsi conduit le dictateur de l'Irak, pour lequel nous n'éprouvons aucune sympathie, à détruire plus de 70 missiles Al-Samoud. Nous avons vu que cette démarche des inspections est la démarche alternative à celle de la guerre : elle produit des résultats. C'est pourquoi la France a proposé, et continue de proposer, que l'on donne du temps aux inspections pour permettre ce désarmement de l'Irak, qui est l'objectif commun. La voie des inspections, redisons-le, est une alternative à la guerre. C'est là un principe, une conviction, que la France a développés et pour lesquels elle a, vous le savez, nourri de nombreuses propositions.
Enfin, je voudrais dire combien il nous paraît dangereux aujourd'hui d'engager la force de manière unilatérale pour trouver, aux yeux des Américains, une réponse au 11 septembre. Pour nous, cette guerre n'est pas la bonne réponse à ces attentats, à l'occasion desquels nous avons partagé la révolte et partagé la solidarité. Mais la guerre qu'il faut aujourd'hui mener, c'est celle contre le terrorisme et la prolifération. Cette bataille-là exige l'unité de la communauté internationale, et elle exige que le Conseil de sécurité soit le lieu du droit. Car, autrement, comment empêcherons-nous que, dans le monde entier, un certain nombre de représentants de causes diverses se sentent, dans la position d'agressés, le droit d'engager des démarches terroristes et de menacer leur monde, le monde, notre monde, d'autant que le terrorisme est aujourd'hui, nous le savons, beaucoup plus dangereux, dans la mesure où les armes sont beaucoup plus accessibles et où il peut avoir une efficacité terrifiante avec des équipes beaucoup plus réduites.
Dans notre lutte contre le terrorisme, nous avons besoin de l'union de tous les peuples et de l'ONU pour vraiment faire en sorte que, partout dans le monde, on mesure les effets de la prolifération. C'est pour cela que, si nous disons clairement que nous n'avons aucune sympathie pour le régime irakien, aucune sympathie pour ce dictateur et que nous voulons la suppression des armes de destruction massive qui sont en Irak, nous pensons que la voie choisie de manière unilatérale n'est pas la voie appropriée à cet objectif de la communauté internationale. La preuve en est que, pour leur démarche, les Etats-Unis n'ont pas réuni une majorité.
Nous voulons continuer dans cette direction qui nous paraît très importante. Je réaffirme ici ce que le Président de la République a dit haut et fort : nous restons les alliés des Etats-Unis. Ce n'est pas parce que nous ne voulons participer à cette guerre que nous sommes en guerre contre les Etats-Unis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Nous avons aujourd'hui des désaccords importants, mais l'amitié que nous portons au peuple américain, la gratitude qui est la nôtre pour le sang versé par les Américains...
M. Alain Marsaud. Très bien !
M. le Premier ministre. ... nous autorisent à cette franchise, à cette sincérité qui nous permet de leur dire que cette guerre n'est pas la réponse appropriée à la situation de trouble que connaît le monde. C'est cette amitié qui nous permet de dire aux Américains qu'il faut une alternative à la guerre. Nous le dirons jusqu'à la dernière heure, parce que c'est notre conviction, parce que ce sont nos principes.
Messieurs Bocquet, Douste-Blazy, Ayrault et Folliot, j'ai entendu vos inquiétudes, j'ai entendu le message fort que les uns et les autres partagent au nom de la nation française. J'ai entendu vos inquiétudes pour l'Organisation des Nations unies. Sachez que nous nous battrons pour faire en sorte que si la guerre, hélas ! se fait sans les Nations unies, voire contre elles, la paix, elle, se construise au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous mettrons toute notre énergie pour faire en sorte que ni l'OTAN ni la construction européenne ne soient fragilisées par cette crise mondiale. Vous m'avez interrogé sur les démarches qui avaient été les nôtres et qui seront les nôtres. Nous avons veillé - et j'ai personnellement veillé - à rester en contact permanent avec l'ensemble des Premiers ministres de l'Union européenne, afin de leur faire part de nos divergences sur la situation internationale, mais tout en insistant sur notre volonté de défendre avec conviction notre projet européen. J'espère, et je crois aujourd'hui possible, qu'en ce qui concerne la Convention pour l'avenir de l'Europe, par exemple, un mouvement de rapprochement s'engagera entre la proposition franco-allemande et la proposition hispano-britannique. Nous avons mené des contacts pendant toute cette période pour faire en sorte qu'en aucune façon ni l'Espagne ni le Royaume-Uni n'apparaissent comme des adversaires de la France, malgré nos désaccords sur cette crise. Nous veillons évidemment à ce que la construction européenne puisse trouver dans ces difficultés des forces nouvelles pour assumer son avenir. Mais, nous le savons, ni l'histoire ni la géographie n'ont rendu l'Europe naturelle : c'est la capacité de surmonter les diversités, la capacité de surmonter les difficultés qui ont permis à l'Europe d'affirmer son avenir. C'est dans cette voie que nous nous engagerons, les jours prochains, au Conseil européen.
Notre engagement pour la paix est d'une extrême fermeté. Notre engagement pour l'Europe est d'une égale extrême fermeté. Je tiens à vous dire clairement aujourd'hui que, si la France est déterminée à parler franchement à ses alliés, elle est tout aussi déterminée à ne pas se tromper d'adversaire. La France n'est pas du jour au lendemain devenue militante du pacifisme. La France est militante, comme elle l'a toujours été, des droits de l'humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Marc Ayrault

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 mars 2003

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