Question orale n° 1108 :
textile et habillement

12e Législature

Question de : M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste

M. Jean-Marc Ayrault interroge M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale sur les derniers chiffres du chômage qui viennent de franchir la barre des 10 % : ce triste record illustre, s'il était besoin de le rappeler, la nécessité de lutter contre ce fléau national. Aujourd'hui encore, en Loire-Atlantique, 28 salariées femmes du groupe Chantelle apprennent que leur usine doit être délocalisée vers un site proche de Lorient. Ces femmes, à l'approche de la retraite pour la plupart, sont dans l'entreprise depuis plus de 30 ans, avec une forte qualification dans leur métier mais sans jamais avoir reçu de formation spécifique. Cette annonce nous renvoie 10 ans après le long et dur conflit de Chantelle à Saint-Herblain, qui a vu en 1994 le licenciement de 162 personnes (des femmes pour la quasi-totalité), la fermeture du site, et son transfert à Couëron. La direction revient sur ses engagements pris alors, à savoir le maintien d'une unité de 38 personnes à Couëron et refuse aujourd'hui d'étudier les solutions alternatives avancées par les salariés et les syndicalistes. Aujourd'hui elles ne sont plus que 28 et le projet de délocalisation signifie, pour elles, un licenciement sans appel. Une telle décision, confirmée par la direction du groupe, ne peut s'expliquer par un contexte défavorable pour l'entreprise Chantelle, qui voit ses bénéfices en constante augmentation. L'enjeu qui est posé est celui de la défense du bassin d'emploi industriel en Basse Loire. Contre cette logique financière, au nom des salariées, il lui demande quelles initiatives son gouvernement a pris et entend prendre pour faire respecter les engagements et les accords pris en 1994 par la direction du groupe Chantelle, pour sauver ces emplois sur un site reconnu comme un des plus compétitifs.

Réponse en séance, et publiée le 9 mars 2005

AVENIR DES SALARIES DU GROUPE CHANTELLE
EN LOIRE-ATLANTIQUE

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour exposer sa question, n° 1108, relative à l'avenir des salariés du groupe Chantelle en Loire-Atlantique.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le ministre délégué aux relations du travail, tout le monde a en tête les derniers chiffres du chômage, qui viennent de franchir la barre des 10 %. Ce triste record illustre, s'il en était besoin, la nécessité de lutter contre ce fléau national et de remettre en place - car tel n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui - des politiques publiques de l'emploi efficaces.
Dans mon département de Loire-Atlantique, vingt-huit salariées du groupe Chantelle ont appris il y a quelques semaines que leur usine allait être " délocalisée ", non pas à l'étranger, mais vers un site proche, celui de Lanester, à côté de Lorient. Ces femmes sont toutes âgées de plus de cinquante ans et ont en moyenne plus de trente ans de carrière dans le groupe. Elles ont perfectionné la maîtrise de leur métier et de leur savoir au fil du temps. Cette décision couperet représente pour elles un véritable drame. Si elle était maintenue, leur avenir s'annoncerait bien sombre.
Chacun se souvient du très grave conflit social que l'usine Chantelle de Saint-Herblain a connu en 1994, lorsque cent soixante-deux personnes, essentiellement des femmes, ont été licenciées en raison de la fermeture du site, tandis qu'une trentaine d'autres étaient transférées vers la commune riveraine de Couëron. Le plan social comportait cependant un engagement important : le maintien de cette trentaine de salariées sur la commune de Couëron. C'était le seul moyen de remédier aux problèmes d'emploi et d'insertion de ces femmes.
L'engagement moral pris à l'époque est donc aujourd'hui remis en cause.
Les délégués du personnel et le syndicat CGT de l'entreprise ont demandé qu'un cabinet spécialisé procède à une évaluation de la situation économique de l'entreprise. L'étude, réalisée par le cabinet Secafi Alpha, confirme que le site de Couëron est économiquement viable et que le transfert à Lanester de ce qui reste de l'activité procède d'une décision globale, stratégique, étayée par des considérations relatives à l'activité du secteur industriel du textile et non par des motivations liées à la qualité du travail ou à la productivité dans l'usine de Couëron.
Je rappelle que l'ancienneté moyenne de ces vingt-huit salariées est de trente ans et que vingt-deux d'entre elles ont plus de cinquante-deux ans.
Avec le maire de Couëron, M. Jean-Pierre Fougerat, qui est également mon suppléant, j'ai demandé au directeur de revoir cette décision. Il n'y a ni obligation ni urgence à l'exécuter, dans la mesure où elle ne met pas en péril les équilibres économiques et financiers du groupe. Nous ne parlons pas là de statistiques, mais d'emploi et de femmes qui méritent un autre traitement qu'une décision prise pour des raisons financières ou d'organisation et de management, et ce dans un bassin d'emploi industriel, celui de la basse Loire, qui mérite lui aussi d'être défendu.
Vous ayant déjà saisi de cette question, je m'adresse à vous ce matin, monsieur le ministre, pour savoir ce que vous avez déjà entrepris et ce que vous entendez faire pour obtenir le report de cette décision et la mise à l'étude d'une autre solution. Nous ne pouvons donner le sentiment que l'on ne peut rien faire face à de telles situations. Les responsables politiques n'ont pas la prétention de tout régler et d'administrer l'économie - ce serait une aberration -, mais il serait inacceptable de faire preuve d'indifférence ou d'impuissance.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.
M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur le président Ayrault, vous avez appelé mon attention sur la décision du groupe textile Chantelle de transférer l'activité de son site de Couëron vers celui de Lanester, où il dispose d'une usine qui emploie aujourd'hui deux cent quinze salariés. S'agissant des vingt-huit femmes dont vous avez parlé, je connais leur engagement pour l'entreprise, mais je sais aussi combien est faible la reconnaissance apportée à leur qualification : comme souvent, elles tirent leurs grandes compétences de trente ans d'expérience mais ne se sont pas vu offrir de formation. D'où l'importance du droit individuel à la formation tout au long de la vie institué par la loi du 4 mai 2004.
Il est exact que le groupe Chantelle s'était engagé en 1994, en compensation de la fermeture d'un site, à conserver une partie de l'activité. Toutefois, en dix ans, la situation du textile-habillement s'est considérablement dégradée dans l'ensemble des pays développés. La suppression des quotas d'importation de textiles au 1er janvier 2005 conduit le groupe à vouloir rationaliser l'ensemble de son outil de production français et à regrouper les activités du site de Couëron - le contrôle et le retour client, notamment - sur celui de Lanester.
Les services déconcentrés et les services centraux du ministère suivent ce dossier avec attention. Conformément aux dispositions du code du travail, les réunions préliminaires au plan de sauvegarde de l'emploi, destinées à l'information et à la consultation du personnel sur le projet de transfert, se sont tenues entre la mi-novembre 2004 et la fin du mois de février 2005. La direction du groupe Chantelle a proposé, en début de procédure, avec l'accord avec les représentants des salariés, de mener des entretiens avec chacune des salariées concernées pour identifier des solutions individuelles et réaliser une " cartographie " permettant l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi qui prenne en compte chaque profil. Ce plan, toujours à l'étude, pourrait prévoir des mesures particulières pour les neuf salariées de plus de cinquante-cinq ans. Le ministère envisage un certain nombre de mesures spécifiques de soutien et mon cabinet fera de nouveau le point avec la direction de l'entreprise dans quelques jours.
J'ai bien noté, monsieur Ayrault, que vous souhaitiez que la direction revienne sur sa décision, et je ne manquerai pas de lui en faire part à cette occasion. Le Gouvernement, vous le savez, porte une attention particulière au secteur de l'industrie textile-habillement. L'État, les collectivités locales et les partenaires sociaux ont engagé ces dernières années plusieurs mesures pour aider à la reconversion les bassins d'emploi plus particulièrement concernés par les mutations des industries de ce secteur. Nous étudions actuellement, en liaison avec les départements, un certain nombre de dispositifs, en particulier pour le textile vosgien, très durement touché et en faveur duquel nous essayons d'apporter des réponses globales.
Au total, le plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas bouclé et nous restons attentifs aux réalités tant économiques que sociales et aux demandes des salariées. Je vous tiendrai personnellement informé du point que nous ferons avec la direction de l'entreprise dans quelques jours.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Je vous remercie, monsieur le ministre, de me tenir informé des initiatives que vous prendrez. Nous serons très attentifs aux suites qui leur seront données.
En ce 8 mars, journée internationale de la femme, il convient de rappeler les données du conflit de 1994.
L'entreprise délocalisée tournait bien. Son implantation était ancienne. La délocalisation n'en avait été que plus douloureuse pour les salariées et leurs familles, et elle avait suscité une très forte mobilisation. Ce conflit reste profondément ancré dans les mémoires. J'ai indiqué au président du groupe Chantelle que l'on ravivait là une plaie douloureuse. Au vu de l'audit réalisé, il n'y a aucune urgence à prendre une telle décision : la situation économique et financière globale du groupe ne le nécessite pas. Il y a consensus sur le diagnostic, au moins pour le court terme, et l'on ne saurait invoquer la fin de l'accord Multifibres pour justifier une telle décision.
Cela soulève d'ailleurs une question de fond : M. Borloo évoque souvent la nécessité de trouver des solutions pour assurer une sécurité aux travailleurs, mais, pour l'instant, les solutions n'ont pas été trouvées. Mon groupe est favorable à la mise en place d'une sécurité sociale du travail tout au long de la vie, assortie bien entendu d'une formation permanente : le droit qui a été négocié avec les organisations syndicales doit encore être étendu.
Dans le cas qui nous occupe, où il n'y a pas d'urgence et où l'économie générale du groupe n'est pas en péril, il faut traiter au préalable la question de l'emploi de ces femmes et non, comme le fait la direction, commencer dès à présent les entretiens individuels avant de passer à la suite de la procédure : c'est entrer là dans une spirale de désespérance. Ces salariées, qui ont acquis sur le tas une qualification très spécialisée, regrettent de ne pas avoir bénéficié de la formation permanente que l'entreprise aurait très bien pu leur offrir, même avant les progrès récents en la matière. Si on leur dit demain d'aller travailler à Lanester, la plupart n'iront pas et connaîtront de très graves difficultés.
Ce constat, dressé par les salariées elles-mêmes, est admis par la direction de l'entreprise qui m'a indiqué hier ne pas imaginer que plus d'une ou deux personnes seront candidates pour aller à Lanester.
Je trouve choquant que, dans un contexte aussi particulier, avant de prendre des décisions d'ordre financier, on n'ait pas réglé en priorité la question sociale.

Données clés

Auteur : M. Jean-Marc Ayrault

Type de question : Question orale

Rubrique : Industrie

Ministère interrogé : emploi

Ministère répondant : emploi

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 mars 2005

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