politique de la ville
Question de :
M. François Asensi
Seine-Saint-Denis (11e circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains
M. François Asensi interroge M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement sur Sevran, l'une des villes les plus démunies du département de la Seine-Saint-Denis. Dépourvue de ressources fiscales, elle accumule des difficultés sociales, urbaines et budgétaires. Le dernier recensement montre que Sevran est aujourd'hui une ville de 50 000 habitants. Cette prise en compte combinée à l'extension à toute la ville du classement ZUS et ZFU lui permettrait d'équilibrer son budget. La municipalité ne peut, pour répondre aux difficultés budgétaires, augmenter la pression fiscale sur une population en grande partie fragilisée. Il lui demande s'il est disposé à faire jouer la solidarité nationale en faveur de Sevran conformément aux propositions que fait la municipalité.
Réponse en séance, et publiée le 29 mars 2006
PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE DE LA VILLE
POUR SEVRAN EN SEINE-SAINT-DENIS
M. François Asensi. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.
Avec 50 000 habitants, Sevran est l'une des dix plus grandes villes du département de la Seine-Saint-Denis mais, dépourvue de ressources fiscales depuis le départ de Kodak en 1995, elle est confrontée à de sérieuses difficultés sociales et budgétaires qu'elle tente de surmonter avec dynamisme.
Ses indicateurs sociaux témoignent des défis qu'elle doit relever. La commune, qui enregistre 1 300 demandes de logement insatisfaites, compte 1 500 allocataires du RMI et 4 500 chômeurs, soit 17 % de sa population active. Son taux de chômage se situe donc à un niveau bien plus élevé que la moyenne nationale et peut atteindre jusqu'à 40 % dans les quartiers populaires.
À l'instar d'autres collectivités et malgré la forte implication de ses élus - notamment de son maire, Stéphane Gatignon -, Sevran a subi de plein fouet les violences de novembre dernier. L'ensemble des dégâts se chiffrent pour la commune à 2,5 millions d'euros. À ce jour, 600 000 euros de dépenses de reconstruction restent non financées et, en cas de nouveaux incidents, le niveau des franchises deviendra prohibitif. En outre, les dépenses de surveillance des équipements publics - 400 000 euros en 2005 - deviennent de plus en plus importantes.
Par ailleurs, Sevran éprouve des difficultés à recruter des cadres territoriaux en raison de la libéralisation du régime indemnitaire. En effet, un cadre territorial y gagne mensuellement environ 500 euros de moins que dans une ville de même dimension. Pour éviter de perdre ses compétences et pouvoir en attirer d'autres, la municipalité doit donc revaloriser son système de primes. Une telle revalorisation pèsera sur ses finances, mais la ville peut-elle renoncer à la qualité de l'administration municipale ? Le budget de fonctionnement, qui intègre le système de primes ainsi que le glissement vieillesse technicité, le GVT, augmente de 5,12 %, soit nettement plus que les dotations de fonctionnement.
Après Clichy-sous-Bois, Sevran dispose, avec 391 euros par habitant, du plus faible potentiel fiscal du département et il lui manque 3 millions d'euros pour équilibrer son budget. Or elle ne peut augmenter la pression fiscale sur une population en grande partie fragilisée : la ville compte déjà 71 % de foyers fiscaux totalement ou partiellement exonérés de la taxe d'habitation, et recourir à la fiscalité pour équilibrer le budget communal conduirait à augmenter de près de 13 % l'impôt local des Sevranais. Est-il raisonnable d'augmenter encore la taxe d'habitation la plus élevée du département ?
Néanmoins, la municipalité ne peut abandonner un programme d'investissement ambitieux. Preuve du travail de son équipe municipale, les subventions, qui étaient de 15 % en 2005, atteignent 33 % en moyenne en 2006. Ainsi, le renouvellement urbain du quartier Rougemont est financé à hauteur de 5 millions d'euros par les finances communales sur un coût estimé à 100 millions. Au-delà, la réhabilitation urbaine de trois quartiers sensibles, représentant au total la moitié de la population, a été lancée. Par ailleurs, la ville a négocié au mieux pour ses finances et l'équilibre naturel du secteur l'aménagement de la friche Kodak. Devait-elle laisser ces terrains à l'abandon ? J'ajoute que l'ensemble des marchés publics ont été rigoureusement épluchés.
Dès lors, la municipalité doit-elle sabrer dans la culture, alors que la fréquentation de son cinéma municipal a doublé en trois ans ? Doit-on ajouter la relégation culturelle à la crise sociale ? Vous admettrez que ce serait inadmissible.
Les dotations de l'État pour 2006, calculées sur le recensement de 2000 et limitées aux quartiers d'habitat social, n'augmentent que de 0,56 % par rapport au budget primitif de 2005. Or le dernier recensement révèle que la population de Sevran a augmenté de 5 % et que la commune compte aujourd'hui 50 000 habitants. Combinée à l'extension à toute la ville du classement ZUS et ZFU, la prise en compte de cette augmentation permettrait à la commune de bénéficier des 3 millions d'euros supplémentaires qui lui font actuellement défaut pour équilibrer son budget.
Compte tenu de la faiblesse de ses ressources par rapport au potentiel fiscal moyen des villes de sa strate démographique, Sevran subit un manque à gagner de 360 euros par habitant, soit plus de 16 millions d'euros pour l'ensemble de la commune. Dès lors, une demande de 3 millions d'euros semble tout à fait raisonnable et modeste et témoigne des efforts consentis par la municipalité au regard des besoins d'une ville de sa taille.
Sevran, qui refuse de rentrer dans un cycle de renoncements croissants et veut conserver sa capacité de se projeter dans l'avenir, en appelle donc à la solidarité nationale. Des milliers de Sevranais soutiennent cette démarche par voie de pétition. Pour empêcher que ne se creuse la fracture territoriale qui bafoue l'égalité républicaine, le Gouvernement est-il disposé à réexaminer les bases de calcul de la dotation de l'État à Sevran, conformément aux propositions de la municipalité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le député, le constat que vous faites à propos de Sevran rejoint celui qui a conduit Jean-Louis Borloo et le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin à mettre en oeuvre la rénovation urbaine et à réformer la dotation de solidarité urbaine dans le cadre du plan de cohésion sociale. Cette réforme vise en effet précisément à aider les communes telles que Sevran, dont les charges socio-urbaines sont si importantes et les ressources si insuffisantes qu'elles commencent l'année dans une situation financière extrêmement difficile. C'est notamment le cas de Sevran à laquelle, ainsi que vous l'avez souligné, il manque 3 millions d'euros.
La réforme de la dotation de solidarité urbaine permettra de doubler son volume en cinq ans. À l'échelle du département de Seine Saint-Denis, elle concerne 34 communes, qui ont vu ainsi leur dotation augmenter en 2005. Cela représente 9,76 millions d'euros supplémentaires. En ce qui concerne Sevran, qui - et ce n'est pas surprenant - sera l'une des principales villes bénéficiaires de cette réforme, la DSU 2005 représente 3,38 millions d'euros, soit une progression de 25 % par rapport à 2004. Elle devrait gagner environ 4 millions d'euros supplémentaires d'ici à 2008. Suivant une progression estimée à 150 % entre 2004 et 2009, Sevran bénéficierait ainsi d'environ 6,8 millions d'euros en 2009 contre 2,7 millions d'euros en 2004. L'effort est donc important.
D'autres dispositifs prennent en compte la situation particulière de la commune de Sevran. La création, en 2004, d'une zone franche urbaine a ainsi pour objectif de favoriser l'installation d'activités économiques indispensables dans une ville dont les bases fiscales sont particulièrement faibles. Au reste, 155 entreprises y sont déjà installées.
Ce développement économique ne peut qu'être conforté par la rénovation urbaine en cours dans les quartiers Beaudottes et Rougemont, qui fait l'objet d'un dossier auprès de l'Agence nationale de rénovation urbaine. Sur un montant total de 76,6 millions d'euros, la participation de l'Agence est évaluée à 37 %, alors que la ville n'est sollicitée qu'à hauteur de 4,3 millions d'euros, soit 6 %. L'ANRU prend en effet en compte la capacité financière des communes, au vu d'une analyse précise de leur situation, pour déterminer son niveau d'intervention pour les opérations relevant de leur maîtrise d'ouvrage.
Enfin, l'augmentation très sensible, cette année, du Fonds d'intervention pour la ville, avec une priorité accordée au département de Seine Saint-Denis, ainsi que le doublement du nombre des postes d'adultes-relais, doivent permettre de mieux aider les associations, mais aussi les communes, à conduire leurs actions de proximité en faveur des populations en difficulté. À cet égard, je suis bien évidemment d'accord avec vous sur la nécessité d'un accompagnement social et culturel de la population de ces quartiers.
Par ailleurs, j'ai proposé au comité interministériel des villes, qui s'est réuni le 9 mars dernier, que dans l'attribution de ces moyens, l'État prenne mieux en compte la diversité des situations locales et cible davantage son accompagnement sur les communes qui, comme Sevran, sont confrontées à de lourdes difficultés socio-urbaines. Il est en effet impératif que, vis-à-vis de ces communes, l'État fasse pleinement jouer la solidarité nationale. C'est ainsi que nous agissons concrètement pour les quartiers en difficulté, afin que l'égalité des chances puisse y devenir une réalité.
M. le président. La parole est à M. François Asensi.
M. François Asensi. Merci pour votre réponse, madame la ministre. Permettez-moi d'ajouter un commentaire général.
Je ne nie pas les efforts consentis par le Gouvernement, notamment par M. Borloo, en faveur des quartiers en difficulté, mais ils ne sont pas à la hauteur des besoins. Je suis choqué depuis de très nombreuses années par la cécité des pouvoirs publics à ce sujet. C'est pourtant dans ces quartiers, en particulier en Seine-Saint-Denis, que se joue l'avenir de la société française, non seulement parce que la violence sociale y reste latente après les événements de novembre dernier, mais aussi parce que ces territoires recèlent une richesse et une diversité humaines incroyables. Or leur créativité est aujourd'hui stérilisée. Ces villes préfigurent la société française de demain, diverse, multiethnique, fraternelle.
Je veux saisir l'occasion qui m'est offerte pour saluer le maire de Saint-Denis et son conseil municipal, qui ont donné la parole aux habitants, pour que ceux-ci se prononcent en faveur du vote des étrangers aux élections locales. Aujourd'hui est une journée de manifestations mais, au-delà du retrait du CPE, la jeunesse souhaite que la société repose sur d'autres bases que le libéralisme et que des changements très importants aient lieu.
Pour revenir aux quartiers en difficulté, les gouvernements, quels qu'ils soient, ne prennent pas la mesure de ce qu'ils représentent. Les solutions qui doivent leur être apportées seront bénéfiques pour l'ensemble de la société française.
Auteur : M. François Asensi
Type de question : Question orale
Rubrique : Aménagement du territoire
Ministère interrogé : emploi, cohésion sociale et logement
Ministère répondant : emploi, cohésion sociale et logement
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 mars 2006