Question orale n° 1612 :
sécurité

12e Législature

Question de : Mme Jacqueline Fraysse
Hauts-de-Seine (4e circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains

Mme Jacqueline Fraysse souhaite attirer l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur la législation encadrant la formation le statut, les conditions d'agrément et d'exercice des agents de la sécurité et du renseignement privé. Elle observe que cette réglementation est soit lacunaire (statut et formation) ; soit inobservée, en raison de l'insuffisance du contrôle de son application (agrément et exercice). Sur la base de ce constat, elle lui demande de procéder à un état des lieux permettant à la représentation nationale de prendre les dispositions nécessaires à « l'assainissement » de ce secteur d'activité en forte expansion.

Réponse en séance, et publiée le 10 mai 2006

REGLEMENTATION APPLICABLE AUX AGENTS DE LA SECURITE ET DU RENSEIGNEMENT PRIVE

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour exposer sa question, n° 1612, relative à la réglementation applicable aux agents de la sécurité et du renseignement privé.
Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire, la sécurité privée sous toutes ses formes - protection des biens et des personnes, investigation et recherche, gardiennage et surveillance - est une activité en expansion constante. A tel point que les sociétés de sécurité privée sont devenues coproductrices de sécurité publique. Nombre d'institutions, de mairies et d'assemblées élues sous-traitent à des sociétés privées la garde de sites sensibles, par exemple celle de la base de transmission d'Orléans, dont le siège est à Bordeaux.
Il y aurait beaucoup à dire sur l'opportunité de continuer à encourager ce phénomène de privatisation de la sécurité, qui est une réalité non seulement hexagonale, mais encore internationale - en Irak, 15 000 à 20 000 civils en armes protègent actuellement installations et convois.
Cependant, ma question portera essentiellement sur la formation, le statut, les conditions d'agrément et d'exercice des agents exerçant les métiers de la sécurité et du renseignement privé.
De nombreux témoignages de professionnels, collectés ces derniers mois, me permettent d'affirmer que la législation actuelle est soit lacunaire, soit inobservée en raison de l'insuffisant contrôle de son application.
Tout d'abord, s'agissant de la formation et du statut, à l'exception du gardiennage d'immeuble - diplômes ERP et IGH 1, 2 ou 3 - ou de la sécurité incendie - diplômes EPI et ESI -, aucune obligation de formation et de titre n'existe. L'apprentissage sur le tas demeure la règle. Certes, les grands acteurs du secteur tels que Securitas, numéro 1 mondial de la protection des biens et des personnes, ont créé leurs propres organismes de formation, mais il semble qu'une telle démarche procède davantage de la volonté de donner la certification le plus rapidement possible que du souci de fournir un corpus de connaissances solides.
Sans diplôme requis et en l'absence de standard en termes de programmes et de contenu, les centres de formation indépendants se développent. N'importe qui, quelles que soient ses intentions, peut accéder aux écoles de formation privées pour garde du corps. II suffit de payer les droits demandés pour être formé aux techniques d'attaque et de défense.
Ce " flou " est source de dérives. Aussi conviendrait-il de mener une réflexion sur les standards en matière de statut des centres d'apprentissage et de programme de formation, les critères et modalités de sélection à l'entrée, le profil et les compétences des formateurs.
Pourquoi ne pas envisager la promotion d'un statut unifié des agents de la sécurité et du renseignement privé, qui, tout en ménageant la spécificité des métiers, permettrait leur reconnaissance au moyen de la délivrance d'une carte professionnelle ?
Parallèlement, il ne sera pas possible de faire l'impasse sur la pénibilité des conditions de travail de ces salariés, le manque de reconnaissance sociale et la faiblesse de la rémunération qui n'incitent pas les agents à persévérer dans ce secteur - le turnover y est important - et à se professionnaliser.
La représentation nationale est très en retard sur cette question dont le groupement professionnel des agents privés de recherche, dans un esprit de responsabilité que je tiens à saluer, s'est déjà saisi via la mise en place, notamment, d'un code de déontologie.
Quant aux conditions d'agrément et d'exercice, elles posent également problème. La loi sur la sécurité intérieure propose un cadre satisfaisant : sociétés et agents doivent recevoir un agrément des autorités publiques. Cet agrément n'est accordé qu'après enquête de moralité et vérification du casier judiciaire.
Cependant, dans la pratique, zèle et laxisme se côtoient. Zèle, car l'on utilise à des fins administratives les fichiers de la police judiciaire - Stic - ou de la gendarmerie - Judex. En effet, y figurer peut suffire pour se voir refuser ou retirer l'agrément. La CNIL considère, dans son rapport d'activité 2005, que ces fichiers jouent le rôle de " casier judiciaire parallèle, sans les garanties rigoureuses prévues par le code de procédure pénale pour le casier judicaire national. " S'appuyer sur de simples inscriptions, suite à l'existence de procédures en cours ou de faits non constatés par la justice, constitue une atteinte grave à la présomption d'innocence.
Par ailleurs, la mise à jour des fiches en cas de relaxe, d'acquittement, de non-lieu ou de classement sans suite pour insuffisance de charge n'étant pas automatique, plusieurs mois peuvent s'écouler entre l'inscription au Stic ou au Judex et la délivrance d'un nouvel agrément.
Ainsi, pour un agent exerçant en free lance et enchaînant les contrats de courte durée, ce qui n'est pas rare dans ce milieu, l'instabilité professionnelle est maximale. Le retrait de l'agrément, outre la perte de revenu qui en découle, met en cause l'ensemble du capital professionnel acquis.
Ces abus sont d'autant plus choquants qu'ils contrastent avec le laxisme conduisant au fait que des sociétés agréées n'hésitent pas à recruter des agents, y compris pour des sites sensibles, avant même d'avoir reçu réponse de la préfecture sur le casier judiciaire.
Ce manque de rigueur - pour ne pas parler d'irresponsabilité - est lié au hiatus entre la volonté des sociétés de répondre aux besoins de leurs clients dans les meilleurs délais et la lenteur des autorités publiques à se prononcer sur la délivrance de l'agrément - elles mettent plusieurs mois dans certains cas. Il est de la responsabilité de l'État de surmonter ces dysfonctionnements, sinon la loi demeurera partiellement, voire totalement, inappliquée. Sans compter le fait que le travail dissimulé, bien que difficilement quantifiable, est une réalité incontournable. Les pratiques critiquables des grandes sociétés multinationales ne sont que la partie émergée de l'iceberg, ce qui n'a rien de rassurant.
Le flou et les lacunes que je viens de recenser rapidement suffisent, me semble-t-il, à pointer l'existence de risques préoccupants en termes de sécurité publique. Les conditions sont réunies pour des dérapages, comme en témoigne le drame récent qui s'est produit à Garchizy.
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Fraysse !
Mme Jacqueline Fraysse. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire et urgent qu'un état des lieux soit rapidement réalisé en liaison avec la représentation nationale afin que les parlementaires puissent se saisir de ces questions en vue de rationaliser et d'assainir la situation de ce secteur d'activité.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire.
M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Madame Fraysse, je vais essayer d'être plus synthétique que vous ne l'avez été. Je partage vos préoccupations, mais je trouve paradoxal que vous nous demandiez d'être à la fois plus rigoureux et plus laxistes.
Mme Jacqueline Fraysse. Je n'ai rien demandé de tel !
M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire. Dans le but de moraliser et de professionnaliser les activités privées de sécurité, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure - je suis bien placé pour en parler puisque j'en étais le rapporteur - a renforcé la loi du 12 juillet 1983 - nous avons donc attendu vingt ans ! - en soumettant les dirigeants et les salariés de ce type d'entreprises à des conditions plus strictes pour obtenir la délivrance d'une autorisation d'exercice, d'un agrément ou d'une habilitation préalable à l'embauche.
Mme Jacqueline Fraysse. Je l'ai dit, monsieur le ministre !
M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire. C'est ainsi que le préfet est habilité à consulter, outre le bulletin n° 2 du casier judiciaire, les différents fichiers de données personnelles gérés par les services de police et de gendarmerie avant de délivrer les agréments et habilitations. Vous estimez que cela n'est pas normal. Je considère, quant à moi, que c'est la plus élémentaire des rigueurs exigées par la loi que le Parlement a votée. D'ailleurs, vous aviez participé au débat et personne, à l'époque, ne s'en était étonné. Chacun avait même estimé que tout cela était parfaitement légitime pour garantir l'exercice de ces professions.
Au 31 décembre 2003, 6 767 autorisations d'exercice, 8 907 agréments et 129 728 habilitations étaient délivrés. Le prochain recensement triennal est en cours.
Pour ce qui concerne la condition d'aptitude professionnelle posée par le législateur, sa mise en oeuvre était conditionnée par des décrets d'application. Deux décrets du 6 septembre 2005 précisent ainsi que pour exercer une activité privée de sécurité, les dirigeants et salariés doivent avoir obtenu un titre de formation relatif à la profession envisagée, enregistré au Répertoire national des certifications professionnelles. Ces mêmes décrets détaillent les contenus de formation dont doivent attester les certifications.
Toutefois, les articles 101 et 106 de la loi de 2003 prévoient une période transitoire de deux ans à compter de la publication du décret relatif à l'aptitude professionnelle pour permettre, d'une part, à l'offre de formation de se constituer, et, d'autre part, à l'ensemble des dirigeants et des salariés d'acquérir un titre de formation. Cette période transitoire arrivera à échéance le 10 septembre 2007.
D'une manière générale, le contrôle de l'application de la loi est assuré par les services de la police et de la gendarmerie nationales qui peuvent accéder aux locaux des entreprises.
Comme vous pouvez le constater, madame la députée, la réglementation applicable est donc bien complète et ne saurait être qualifiée de lacunaire. Il est vrai cependant qu'elle souffre de quelques difficultés d'application auxquelles nous nous efforçons de remédier. Ces difficultés concernent notamment la procédure de déclaration préalable à tout contrat de travail, qui engendre des délais de traitement excessifs dans les préfectures et qui nécessite une simplification. Celle-ci pourrait par exemple prendre la forme d'une carte professionnelle pour les agents de sécurité.
Une autre difficulté concerne la mise en place des formations professionnelles obligatoires pour l'exercice des activités privées de sécurité et qui pourrait nécessiter le report de quelques mois du différé d'application de la condition d'aptitude préalable à l'embauche, prévu par les décrets du 6 septembre 2005 et qui expire le 10 septembre 2006.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Je regrette, monsieur le ministre, que vous me disiez que je plaide à la fois pour le laxisme et la rationalisation. J'ai simplement noté que, dans certains cas, le contrôle prévu par la loi n'était pas exercé en raison de lenteurs. Quant à l'utilisation excessive des fichiers de la police et de la gendarmerie, ce n'est pas moi qui en parle, c'est la CNIL !

Données clés

Auteur : Mme Jacqueline Fraysse

Type de question : Question orale

Rubrique : Services

Ministère interrogé : intérieur et aménagement du territoire

Ministère répondant : intérieur et aménagement du territoire

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 mai 2006

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