contrôle
Question de :
M. Alain Bocquet
Nord (20e circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains
M. Alain Bocquet interroge M. le ministre délégué à l'industrie Le 17 janvier dernier, il a défendu devant la commission des finances de l'Assemblée nationale un rapport tendant à la création d'une commission d'enquête sur la place et le rôle des fonds d'investissement dans l'économie. Nombre d'exemples témoignent de la nocivité pour l'économie française, les entreprises et l'emploi, de l'intervention de fonds de « capital investissement », qui participent aux fusions-acquisitions en recourant à l'endettement pour financer à moindre coût leurs prises de participations par effet de levier (LBO). De grands groupes, comme TDF, CEGELEC, EUROPCAR, ont eu à subir ces attaques, qui frappent aussi les PME de l'industrie. C'est notamment le cas dans le Nord - Pas-de-Calais, à l'exemple de l'entreprise Sublistatic, mise en redressement judiciaire puis en liquidation au terme de trois opérations de leverage buy out ayant conduit à sa mise à mort, mais ayant permis, notamment en 1992, à ses prédateurs de multiplier leur mise par 8,5. Plus de 220 salariés et leurs familles viennent d'être brutalement jetés à la rue par des actionnaires pilleurs de la richesse d'un tissu industriel en déroute. Il lui demande quelles dispositions d'urgence le Gouvernement va-t-il prendre et faire relayer par les représentants de l'État en région et par les directions décentralisées du ministère du travail pour enrayer ces mécanismes destructeurs, et quels prolongements il entend apporter à l'exigence d'une refondation des droits des salariés dans l'entreprise et, notamment, de leur droit de regard sur la gestion.
Réponse en séance, et publiée le 14 février 2007
CONSEQUENCES DU ROLE
DES FONDS D'INVESTISSEMENT
DANS L'ECONOMIE DU NORD-PAS-DE-CALAIS
M. Alain Bocquet. Madame la ministre déléguée au commerce extérieur, j'ai défendu le 17 janvier, en commission des finances, une proposition visant à créer une commission d'enquête sur le rôle des fonds d'investissement dans l'économie. Cette démarche est plus qu'urgente, en effet, face aux ravages que causent ces pilleurs d'industries et d'emplois que sont les fonds de pension opérant par LBO - leverage buy out - pour s'accaparer les richesses d'entreprises qu'ils contribuent à saigner à blanc.
Cette initiative du groupe des député-e-s communistes et républicains a produit de premiers résultats avec la décision d'auditionner rapidement syndicalistes, économistes et analystes financiers. Mais je regrette que votre majorité ait refusé de suivre jusqu'au bout notre proposition d'action immédiate, dont l'actualité sociale confirme la nécessité.
C'est, par exemple, l'entreprise toulousaine Freescale, spécialisée dans les semi-conducteurs. Par un système de LBO et une transaction de 17,6 milliards de dollars, quatre fonds financiers américains, dont un lié à la famille Bush, ont fait main basse sur cette entreprise. " Telles des sauterelles, ils sautent sur les champs productifs et dévorent tout sur leur passage ", dénoncent les syndicats de l'entreprise qui redoutent la fin de la filière européenne des semi-conducteurs.
Depuis 2002, soit dans le seul cadre de cette législature, des groupes comme TDF, Cegelec, Europcar, les surgelés Picard, les Pages Jaunes ont tous été cibles de LBO.
Cette réalité intolérable vaut aussi pour l'industrie du Nord-Pas-de-Calais et ses PME, comme Sublistatic, société de Hénin-Beaumont, leader mondial du papier transfert pour les tissus d'ameublement ou vestimentaires. Cette société viable, et vieille de trente ans, réalisait 85 % de son chiffre à l'export. Aujourd'hui, ses 223 salariés - ils étaient plus de 300 à l'origine - sont jetés à la rue, victimes de trois opérations de LBO qui, de 1992 à 2006, ont conduit au redressement judiciaire puis à une liquidation-couperet prononcée par le tribunal de Béthune.
Les actionnaires peu scrupuleux ont même fait main basse sur les fonds du comité d'entreprise, et les salariés actionnaires n'ont jamais été réunis en assemblée générale. Mais les prédateurs responsables de ce désastre, eux, ont empoché jusqu'à huit fois et demie leur mise, comme en 1992, par exemple !
Le ministre de l'emploi a dénoncé ici même, le 17 janvier dernier, les dégâts causés par ceux qui n'assument pas leurs responsabilités. Mais dénoncer ne suffit pas : lorsque des bassins d'emploi sont mis en coupe réglée par un capitalisme financier porté au paroxysme, il faut agir. L'État doit avoir la force d'imposer un minimum de règles et d'éthique pour le respect du monde du travail. C'est loin d'être le cas !
Qu'allez-vous donc faire pour soutenir les ex-salariés de Sublistatic - qui sont présents ce matin dans les tribunes - désormais regroupés en association et décidés à engager des poursuites contre leur dernier actionnaire ? Qu'allez-vous faire pour les salariés de Samsonite menacés du même sort par un prête-nom, Energy Plast, auquel est confié le " sale boulot " ? Leur paie de février n'est même pas assurée ! Qu'allez-vous faire pour donner des droits nouveaux aux salariés et aux élus locaux afin qu'ils puissent intervenir dans la gestion des entreprises et opposer à la course effrénée aux profits financiers des solutions porteuses d'activités et d'emploi ? Allez-vous enfin mettre l'affairisme boursier à la raison pour protéger l'entreprise et l'emploi ? Bref, allez-vous mettre un terme à cette " voyoucratie " de la finance sans scrupule ?
Mme Muguette Jacquaint. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Monsieur le député, permettez-moi d'apporter une réponse un peu longue et documentée à votre question.
M. Alain Bocquet. Je n'en attends pas moins !
Mme la ministre déléguée au commerce extérieur. Vous comparez les fonds de pension, d'où qu'ils viennent, à des prédateurs, à des sauterelles, faisant référence aux plaies d'Égypte. Tout cela appelle de ma part une réponse précise.
M. Alain Bocquet. Je vous remercie.
Mme la ministre déléguée au commerce extérieur. Les conséquences sociales des liquidations judiciaires de PME telles que Sublistatic préoccupent réellement le Gouvernement. Vous avez mentionné la réaction de mon collègue Gérard Larcher. Sachez que François Loos, que je remplace ce matin et qui vous prie de bien vouloir l'excuser, partage la même préoccupation, comme l'ensemble du Gouvernement.
Vous me demandez quelles dispositions d'urgence prendra le Gouvernement pour enrayer l'action des leverage buy out, les fameux LBO, que vous qualifiez de " mécanismes destructeurs d'emplois " et de " pilleurs d'entreprises ". Les acteurs des LBO ont pourtant un objectif utile puisqu'ils constituent un mode de financement alternatif de nos entreprises permettant de créer de la valeur.
Je rappelle simplement qu'aujourd'hui 4 852 entreprises sont soutenues par le capital investissement et que 75 % des entreprises ainsi financées comptent moins de 250 salariés. Vous voyez qu'à côté des situations graves que vous évoquez, le mécanisme fonctionne bien pour un grand nombre d'entreprises, au sein desquelles il crée de la valeur et de l'emploi.
Le Gouvernement porte une attention particulière à l'emploi dans les sociétés financées de cette manière, d'autant que ces méthodes sont de plus en plus utilisées : au cours du premier semestre de 2006, 159 nouveaux LBO ont été enregistrés.
Permettez-moi de vous citer quelques chiffres : aujourd'hui, les entreprises financées par le capital investissement comptent 1,5 million d'emplois de collaborateur en France. C'est l'équivalent des effectifs en France de toutes les sociétés du CAC 40 ! Il ne s'agit donc pas d'un épiphénomène, mais d'un secteur qui emploie de très nombreux salariés. Or nous n'avons pas constaté une plus grande fréquence des défaillances des entreprises sous LBO que des autres. Et aucune étude ne permet aujourd'hui de qualifier ce mécanisme de " destructeur ", comparé à d'autres modes de financement. Dans une logique industrielle, certains LBO s'accompagnent même d'opérations de croissance externe.
Vous savez très bien que, si un montage en LBO a pour conséquence de modifier l'actionnariat de l'entreprise, il n'exonère en aucune manière celle-ci du respect des lois et règlements en vigueur, en particulier dans le domaine du droit du travail. Le Gouvernement suit avec une attention particulière le développement des entreprises ayant fait l'objet d'un LBO.
Par ailleurs, conscient de la nécessité d'apporter des financements alternatifs aux entreprises, le Gouvernement a créé OSEO en regroupant l'ANVAR, la BDPME et Sofaris, et doublé ses moyens en deux ans. Il donne ainsi un nouvel élan à la création d'emplois en France et participe à l'émergence des champions nationaux de demain.
Le Gouvernement a créé un deuxième mode alternatif de financement pour faire concurrence aux fonds de pension. C'est ainsi que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a mis en place le dispositif France investissement, auquel la Caisse des dépôts et consignations apportera 2 milliards d'euros, déjà complétés par 400 millions de financement privé, tout cela pour offrir un financement en fonds propres en particulier aux PME innovantes. Ce dispositif, nous l'espérons, favorisera l'émergence de nouvelles équipes de gestion, créant un effet d'entraînement susceptible de pérenniser les PME innovantes et de soutenir leur développement.
Vous m'interrogez également sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour refonder les droits des salariés dans l'entreprise, notamment leur droit de regard sur la gestion.
Je vous rappelle qu'un certain nombre de dispositions existent déjà dans notre droit, notamment dans la loi sur la participation. Il convient de les utiliser.
En matière d'offres publiques, le droit français prévoit déjà une large consultation des salariés, qui a été renforcée par la transposition de la directive relative aux offres publiques d'acquisition du 31 mars 2006. L'article L. 432-1 du code du travail dispose ainsi que, dès qu'une offre publique est annoncée, le comité d'entreprise de la société cible doit être immédiatement réuni pour être informé.
M. Alain Bocquet. Ce n'est pas toujours le cas !
Mme la ministre déléguée au commerce extérieur. Il peut alors décider d'auditionner le chef de l'entreprise auteur de l'offre. Si ce dernier refuse cette audition, il peut être privé des droits de vote qu'il sera amené à acquérir dans la société cible. Comme vous le voyez, c'est une sanction lourde.
La transposition de la directive OPA a en outre renforcé l'information des salariés, en prévoyant que c'est non seulement le comité d'entreprise de la société cible, mais aussi celui de la société auteur de l'offre qui doivent être réunis dès que l'offre a été annoncée.
La loi de mars 2006 a également inscrit dans le code du travail que, pendant son audition, le chef de l'entreprise auteur de l'offre doit présenter au comité d'entreprise de la société cible " sa politique industrielle et financière, ses plans stratégiques pour la société visée et les répercussions de la mise en oeuvre de l'offre sur l'ensemble des intérêts, l'emploi, les sites d'activité et la localisation des centres de décision de ladite société ".
La participation des salariés à la gestion de l'entreprise est une question que le Gouvernement estime tellement importante qu'il en a fait un axe majeur de la loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social, texte que j'ai eu l'honneur de vous présenter. Son article 30 énonce que, dans les entreprises disposant d'un accord de participation, d'un accord d'intéressement ou d'un plan d'épargne salariale, lorsque le comité d'entreprise n'en est pas signataire, l'employeur doit le consulter avant la prorogation ou le renouvellement de ces accords et de ce plan, ainsi que sur la situation de l'actionnariat salarié et sur la participation des salariés à la gestion de l'entreprise. Il instaure également une possibilité de rachat de l'entreprise par ses salariés au travers de véhicules d'épargne conçus à cette fin.
Ce long développement sur les droits dont disposent les salariés - qu'ils soient dans une situation d'offre publique d'achat ou de LBO - est destiné à vous montrer que le Gouvernement est attentif aux situations graves que vous évoquez, mais aussi à la participation des salariés à la gestion de leur entreprise, très récemment inscrite dans le code du travail. Car c'est bien par leur participation au capital et à la gestion de leur entreprise que les salariés pourront exercer et un droit de regard et un droit de consultation.
M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.
M. Alain Bocquet. Madame la ministre, vous me répondez en me citant la loi mais, dans le cas de Sublistatic, par exemple, la loi a été prise à contre-pied, c'est le moins qu'on puisse dire. Ma question est donc la suivante : que fait l'État, concrètement, lorsque des actionnaires peu scrupuleux ne respectent pas la loi,...
Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !
M. Alain Bocquet. ...jettent des salariés à la rue après trois LBO, mettent la main sur la caisse du comité d'entreprise après avoir transformé les salariés en actionnaires sans que ceux-ci aient le moindre droit de regard sur le fonctionnement de l'entreprise, et s'en vont, fortune faite ?
Tous les cas ne sont certes pas comparables mais, d'une façon générale, les financiers des LBO ne sont pas des philanthropes ! Selon la presse économique, en 2006, qui a été une belle année en Europe pour les LBO, ces financiers se sont reversé 8,3 milliards d'euros de dividendes, tirés des sociétés dont ils étaient actionnaires - ce qui représente, en une année, 17 % de plus que les deux années précédentes. Le LBO suppose un remboursement en trois ans, mais les actionnaires se remboursent toujours mieux et plus vite : en 2006, il leur a fallu vingt mois en moyenne pour retrouver 72 % de leur mise, alors qu'il leur en fallait auparavant vingt-trois pour en récupérer 64 %.
Dans mon département du Nord-Pas-de-Calais, des entreprises comme Stora-Enso, Sublistatic, Energy Plast, Faurecia et bien d'autres encore témoignent de la perversité et de la nocivité de ces fonds avides de profits financiers à court terme, qui se moquent complètement de la vie des salariés, de la situation des bassins d'emploi et des élus que nous sommes ! Nous demandons donc au Gouvernement de faire respecter la loi et d'être plus exigeant, voire d'ester en justice contre ces " patrons voyous " qui n'ont qu'une idée en tête : faire fortune - leur fortune, pas celle des salariés !
Auteur : M. Alain Bocquet
Type de question : Question orale
Rubrique : Entreprises
Ministère interrogé : industrie
Ministère répondant : industrie
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 13 février 2007