ligne Lyon Turin
Question de :
M. Dominique Dord
Savoie (1re circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire
M. Dominique Dord appelle l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur le diagnostic du rapport d'audit sur les transports publics. En effet, l'analyse de la centaine de projets d'infrastructures au regard de leur rentabilité socio-économique a permis de poser les questions sur leur faisabilité, notamment sur la liaison ferroviaire Lyon-Turin. Il apparaît que la ligne voyageurs de cette liaison ne relève pas des priorités d'investissements, en revanche les conditions de réalisation de la ligne de fret laisse le champ libre à un certain nombre d'hypothèses. La mission d'audit préconise un phasage dans la réalisation avec, d'ici 2007, l'adaptation au grand gabarit du tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, et l'aménagement des voies d'accès correspondantes, afin de développer le ferroutage parallèlement au lancement de l'autoroute ferroviaire. Selon les conclusions de l'audit, les évolutions de trafic constatées à partir de 2007 détermineront l'éventualité des investissements ultérieurs. Cette préconisation est avancée alors que, dans le même temps, le constat est fait de l'incapacité de fret ferroviaire de gagner des parts de marché par rapport à la route, mais aussi celui de l'accroissement du déficit de Réseau ferré de France. Aussi, il lui demande si, sans vouloir annoncer à tout prix, la réalisation de la liaison Lyon-Turin, il ne s'agit pas plutôt, au nom de la sécurité, de la prise en compte de l'environnement humain et naturel, et de la cohérence de la politique territoriale, de déterminer la faisabilité du Lyon-Turin.
Réponse en séance, et publiée le 26 mars 2003
PERSPECTIVES DE LA LIAISON FERROVIAIRE
LYON-TURIN
M. le président. La parole est à M. Dominique Dord, pour exposer sa question n° 241 relative aux perspectives de la liaison ferroviaire Lyon - Turin.
M. Dominique Dord. Il est actuellement de bon ton, voire de bonne guerre, de critiquer l'audit sur les infrastructures qui vient d'être rendu - et plus encore ses auteurs, d'ailleurs - et d'affirmer que le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. Je considère quant à moi qu'il n'est pas interdit aux politiques de prendre des décisions éclairées par des réalités objectives. Et, en l'occurrence, des dizaines de milliards d'euros sont en jeu !
De ce point de vue, l'audit apporte des éléments intéressants, même s'ils peuvent être douloureux dans certaines régions de France. Tout d'abord, il met pour la première fois en perspective les projets les uns par rapport aux autres, établissant ainsi une espèce de classement eu égard aux capacités de financement de l'Etat, classement que j'attendais depuis longtemps. S'agissant de la liaison Lyon-Turin, qui intéresse plus directement les élus de la région Rhône-Alpes et de l'autre côté des Alpes, l'audit conclut, et ce n'est pas scandaleux, qu'au vu de l'analyse de ses forces et de ses faiblesses le projet, pour la partie voyageurs, n'occupe pas la première place.
Pour le fret, en revanche, et c'est l'essentiel de ma question, le problème est très différent car il n'existe pas de projets concurrents en France. L'audit reste pourtant très réservé sur ce sujet, renvoyant la réalisation de ce projet à l'horizon 2020.
Que nous dit l'audit ? Il donne trois arguments très importants sur lesquels je voudrais revenir.
Premièrement, depuis plus de dix ans, on constate une stagnation du volume du fret à travers les Alpes, tant routier que ferroviaire. Ce chiffre est d'ailleurs fort contesté, vous le savez, puisque les perspectives font plutôt état d'un doublement. Du reste, je m'étonne que, d'une analyse à l'autre, on passe du simple au double.
Deuxièmement, le fret ferroviaire aurait perdu régulièrement, depuis dix ans, des parts de marché, même lorsque le tunnel routier du Mont-Blanc était fermé. Voilà qui est quelque peu étonnant.
Troisièmement, la tarification fret couvrirait à peine 50 % des coûts marginaux. Au fond, chaque changement supplémentaire déséquilibrerait un peu plus les comptes de RFF, ce qui est un comble ! Dans ces conditions, l'audit estime qu'il est urgent d'attendre.
Inutile de vous dire que tout cela ne nous convient pas beaucoup. Contrairement au projet de transport de voyageurs, notre objectif pour le fret est non un gain de temps mais un gain de sécurité, un meilleur respect de l'environnement et une liaison à caractère international.
Très franchement, il est quelque peu anachronique de vouloir faire passer davantage de camions par le tunnel du Fréjus et celui du Mont-Blanc, et de saturer la ligne ferroviaire historique le long du lac du Bourget, dans les villes d'Aix-les-Bains et de Chambéry.
M. le président. Monsieur Dord, merci de poser votre question.
M. Dominique Dord. Le Gouvernement ne doit-il pas reprendre l'initiative sur ce sujet, non pour se lancer dans un projet hasardeux dont la rentabilité est incertaine, mais pour créer les conditions de son efficacité, c'est-à-dire approuver un nouveau projet de fret ferroviaire Lyon-Turin, à condition, bien sûr, qu'il s'intègre dans une politique de transport de marchandises cohérente, qui dissuade d'utiliser la route et incite à utiliser le chemin de fer, ce qui ne semble malheureusement pas le cas aujourd'hui ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur Dord, je vous remercie de votre analyse très fine et objective de l'audit. Il est vrai que le trafic en direction de l'Italie ne progresse pas de la même manière que le trafic transpyrénéen, comme je le disais tout à l'heure en répondant à la question présentée par M. Habib, sans doute parce que nos voisins italiens ont organisé d'autres portes de sortie, les Suisses et les Autrichiens réalisant d'immenses travaux sur leur réseau ferroviaire. Dans le tunnel du Mont-Blanc, l'alternat est maintenant terminé, mais le trafic qui reprend n'a pas l'ampleur prévue.
Vous avez donc raison de dire que l'on peut être dubitatif quant à certaines prévisions dont la valeur scientifique n'est pas évidente. Je crois comme vous qu'il faut « mettre le paquet » sur le fret, ce qui, naturellement, ne remet nullement en cause l'intérêt d'une vraie liaison ferroviaire rapide entre la région Rhône-Alpes et l'Italie.
Les installations existantes, dans la vallée de la Maurienne, font actuellement l'objet, comme vous le savez, de travaux importants de mise au gabarit du tunnel historique, pour permettre le développement du ferroutage. Les résultats ne sont cependant pas très bons, parce que les chemins de fer italiens sont toujours des partenaires un peu difficiles pour les chemins de fer français. Chaque jour, dans la région de Chambéry, on compte jusqu'à une dizaine de trains « calés » - comme on dit dans le langage ferroviaire -, c'est-à-dire longuement arrêtés, sans raisons économiques ou techniques, tout simplement parce qu'il n'y a pas de locomotive italienne pour les acheminer, ou que le passage n'est pas possible de l'autre côté de la frontière.
Il faut avant toute chose que la liaison actuelle fonctionne mieux. Une étape intéressante à cet égard, sera celle de la mise en service de l'autoroute ferroviaire qui transportera les camions, à partir d'Aiton, sur des wagons Modalohr construits par un industriel strasbourgeois. Il est indispensable que ce dispositif marche bien. S'il ne fonctionnait pas, tous les grands projets de franchissement ferroviaire alpin et tous les projets auxquels vous êtes attaché seraient remis en cause.
Nous devons avoir une politique d'ensemble en ce qui concerne la traversée des Alpes, en accordant en effet la priorité au fret, en nous attachant à faire fonctionner les liaisons existantes et en donnant les moyens du succès à cette autoroute ferroviaire dont le Président de la République a évoqué l'intérêt à de multiples reprises. Il faudra ensuite, naturellement, replacer l'ensemble dans une perspective générale.
Sans doute, monsieur Dord, vous exprimerez-vous lors du débat qui aura lieu sur ce sujet, le 13 mai, à l'Assemblée nationale. Nous disposerons alors d'un certain nombre d'éléments relatifs à l'audit que vous avez cité. D'abord, le travail intéressant des sénateurs Haenel et Gerbaud qui montre bien les forces et les faiblesses du fret ferroviaire. Nous devrons aussi nous intéresser, pour ce qui concerne le trafic entre la France et l'Italie, à la solution alternative que représente le cabotage maritime. Enfin, nous profiterons du travail de la DATAR, qui nous permettra certainement une mise en perspective du trafic futur entre la France et l'Italie, dans une optique d'aménagement du territoire européen.
Je partage tout à fait votre impatience de traiter comme il convient le problème du fret entre la France et l'Italie, et nous allons essayer de procéder d'une manière à la fois déterminée et réaliste, dans l'esprit qui sous-tendait votre question.
M. Michel Hunault. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Dominique Dord.
M. Dominique Dord. Monsieur le secrétaire d'Etat, je regrette que votre réponse s'inscrive dans la logique qui prévalait jusqu'ici, en proposant en fait de saturer la ligne existante, voire de renforcer le gabarit des tunnels et de saturer les tunnels routiers. Tout cela ne me paraît pas la bonne manière, mais nous aurons en effet l'occasion d'en reparler à l'occasion du débat qui aura lieu dans cette enceinte au mois de mai.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Je veux vous rassurer monsieur Dord ; je préfére au mot : « saturation » l'expression : « bonne utilisation », et je pense que nous pouvons respecter les délais s'agissant des travaux fondamentaux.
Je veux en effet rappeler de manière très solennelle que le nouveau gouvernement a respecté le calendrier prévu pour la liaison Lyon-Turin - les descenderies ont été financées et les financements sont prévus dans le projet de loi de finances actuel - et qu'il n'a donc pris aucun retard par rapport au grand projet de franchissement des massifs tel qu'il a été préparé par le gouvernement précédent.
Auteur : M. Dominique Dord
Type de question : Question orale
Rubrique : Transports ferroviaires
Ministère interrogé : équipement, transports et logement
Ministère répondant : équipement, transports et logement
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 24 mars 2003