Question orale n° 333 :
politique de l'éducation

12e Législature

Question de : M. François Rochebloine
Loire (3e circonscription) - Union pour la Démocratie Française

M. François Rochebloine attire l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur le respect de la laïcité au sein des établissements scolaires. A l'occasion de plusieurs incidents survenus ces derniers mois, mettant en cause des élèves portant des signes distinctifs d'appartenance religieuse de manière ostentatoire, des chefs d'établissements, des enseignants et des parents d'élèves ont pu faire part de leurs vives inquiétudes. Il semblerait, en effet, que la législation en vigueur ne permette pas d'apporter les réponses rapides et adaptées qu'exigent certaines situations. Ayant relevé la volonté affichée par le Gouvernement de donner plus de force au concept de laïcité, il lui demande de bien vouloir lui préciser ses intentions en ce domaine.

Réponse en séance, et publiée le 21 mai 2003

RESPECT DE LA LAÏCITÉ
DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour exposer sa question, n° 333, relative au respect de la laïcité dans les établissements scolaires.
M. François Rochebloine. Monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, le 29 avril dernier, dans cet hémicycle, en réponse à une question sur le respect de la laïcité dans le secteur de l'éducation nationale, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, déclarait : « La laïcité, c'est la liberté de conscience et l'égalité entre toutes les religions. »
Il ajoutait : « Un débat sur l'école, espace premier de la République, est engagé. Nous devons veiller à ce que les valeurs républicaines y soient préservées et qu'il n'y ait pas de signes ostentatoires de communautarismes. A l'issue de ce débat, lorsque nous réviserons la loi de 1989, la question se posera de la protection de l'école contre les dérives communautaristes. »
C'est à la faveur de quelques affaires heureusement isolées, mais très largement médiatisées, souvent liées au port d'un foulard ou d'un voile islamique, par des jeunes filles scolarisées dans des établissements publics, entendant exprimer leurs convictions religieuses, qu'a resurgi en France une question que l'on aurait pu croire réglée, notamment après la publication de la circulaire ministérielle du 20 septembre 1994.
Cette circulaire, rappelons-le, préconisait l'insertion dans le règlement intérieur des établissements, d'un article interdisant notamment - permettez-moi de n'en citer que des extraits - « le port de signes ostentatoires qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination (...), les attitudes provocatrices (...), les comportements susceptibles de constituer des pressions sur d'autres élèves ».
Cette réponse, qui se voulait nuancée et équilibrée, s'est très vite avérée, avec le recul, fort délicate à mettre en oeuvre, surtout dans des situations de blocage, quand toutes les tentatives de médiation échouent.
Depuis 1994, on assiste régulièrement à des incidents mettant en lumière, d'une part, l'impuissance dans laquelle peuvent se trouver les chefs d'établissements et les enseignants confrontés à de telles situations sur le terrain et, d'autre part, l'extrême sensibilité de l'opinion publique sur le sujet.
Ayant été alerté à mon tour, il y a quelques jours, dans ma circonscription, par un principal de collège et par plusieurs enseignants, inquiets de voir se multiplier les cas de port du voile en classe et les cas d'absentéisme systématique qui en résultent aux cours d'éducation physique et sportive, je crois nécessaire de soulever le problème.
Alors, oui ou non, faut-il, monsieur le ministre, légiférer sur le port du voile ? Cette question, je n'en doute pas, doit vous être très régulièrement posée. Mais reconnaissons que cela n'est pas surprenant. N'y a-t-il pas ici matière à interrogation ?
De même, le port du voile est-il admissible au sein de l'école de la République ? Comme vous, sans doute, je ne le pense pas. Les Françaises et les Français sont attachés aux principes de neutralité de l'école, de laïcité et d'égalité.
Si je puis partager le souci d'apaisement qui anime le Gouvernement sur un sujet aussi délicat, je crois indispensable d'apporter un soutien aux équipes éducatives qui, dans le contexte actuel, n'ont pas toujours les moyens de gérer de telles situations.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je fais partie de ceux qui demandent une clarification des textes, ne serait-ce que pour éviter tous risques de dérapages et de crises. Il en va de notre responsabilité d'élus de la nation : nous devons trancher cette importante question pour le devenir de notre société démocratique, de cette République d'autant plus généreuse et compréhensive qu'elle se sait forte et cohérente, appuyée sur des valeurs largement partagées.
Depuis l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989, et les circulaires ministérielles de 1989 et 1994, le corps enseignant, les parents d'élèves et une majorité de nos concitoyens ont le sentiment d'une véritable démission de l'Etat avec l'abandon du principe de laïcité scolaire.
Certains affirment pourtant que l'arsenal législatif en vigueur est largement suffisant, estimant que la loi ne saurait tout régler, en particulier lorsque l'on se trouve face à des problèmes de société.
Reconnaissez, monsieur le ministre, que le socle jurisprudentiel évolutif et contradictoire que l'on connaît n'est pas de nature à faciliter l'indispensable dialogue qu'il faut développer avec celles et ceux qui ignorent les principes de la République. Nous savons bien que c'est d'abord sur le terrain que les problèmes se règlent, pour peu que les textes à appliquer soient suffisamment lisibles pour l'être dans de bonnes conditions et que les responsables aient suffisamment de marges de manoeuvre pour agir.
Monsieur le ministre, il n'est pas question dans mon esprit de grossir le problème, mais j'insiste aussi sur le fait qu'il convient de prendre la mesure du risque d'effacement de l'Etat sur le sujet, le risque d'affaissement des valeurs collectives qui ont fait la force de notre creuset républicain et qui nous paraissent aujourd'hui menacées.
Pour toutes ces raisons, une clarification s'impose. Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir préciser les intentions du Gouvernement en ce domaine.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire.
M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le député, je partage votre souci de faire prévaloir le principe de la laïcité de l'enseignement public. C'est bien le moins que nous puissions affirmer. C'est pourquoi nous sommes sans faiblesse à l'égard des incidents qui troublent l'ordre public au sein des établissements et perturbent le déroulement des enseignements.
Où en sommes-nous ? D'abord, évidemment, la République protège la liberté de conscience. C'est la raison pour laquelle le port d'insignes religieux pour les élèves des écoles publiques ne saurait faire l'objet d'une interdiction générale - c'est d'ailleurs l'avis du Conseil d'Etat, vous le savez -, mais cette pratique doit respecter la liberté de conscience des autres élèves et des membres de la communauté éducative.
M. François Rochebloine. Absolument !
M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Elle ne peut pas faire obstacle, en particulier, à la bonne marche du service public. Dans le même temps, la conception que nous nous faisons de la nation, de ce qui unit la nation, suppose un espace public qui transcende les particularismes - d'où notre ferme condamnation du communautarisme, quelles que soient ses formes.
Le Premier ministre a rappelé dans cette enceinte même, il y a quinze jours, sa ferme opposition aux dérives communautaristes. Il a précisé que le législateur, si nécessaire, interviendra pour donner les moyens aux responsables de faire prévaloir la laïcité sur le terrain. Le débat que nous ouvrons devrait aboutir l'année prochaine à une grande loi d'orientation, qui contiendra aussi le rappel de nos valeurs. C'est dans le cadre de cette réflexion que nous trouverons le dispositif législatif adapté que vous souhaitez.
Cependant, je vous rappelle qu'il existe aussi d'ores et déjà un arsenal juridique pour lutter contre les atteintes au principe de laïcité et à l'ordre public. Ainsi, lorsqu'un insigne religieux est porté de manière ostentatoire - c'est la formule du Conseil d'Etat -, non seulement il peut mais il doit être interdit. De même, lorsque les motivations identitaires ou communautaires aboutissent à refuser certains cours, à contester certains enseignements, à récuser, même, des enseignants au nom de leur sexe ou de leur appartenance religieuse supposée, il existe un dispositif de sanctions qui peut aller jusqu'à l'exclusion, voire jusqu'à des poursuites judiciaires lorsqu'il y a constitution d'un délit.
A cet égard, je vous rappelle que la toute récente loi du 3 février 2003 vient d'aggraver les sanctions à l'encontre des actes racistes ou antisémites.
Il s'agit ensuite de volonté : depuis de trop nombreuses années, je le dis sans esprit de polémique, nous avons trop laissé les équipes éducatives, et en particulier les chefs d'établissement, isolés dans l'exercice de ces responsabilités, en nous reposant sur leur initiative ou sur des entremises diverses.
Dans le cadre des dix mesures que Luc Ferry et moi-même avons annoncées le 27 février dernier, il a été décidé de créer un correspondant par académie chargé de ces problèmes, et en lien constant avec les établissements. Ont été également institués vingt médiateurs chargés d'assister les établissements en cas de difficultés liées à des incidents de ce type. Les cellules de vie scolaire, les corps d'inspection, nos services juridiques sont également mobilisés. Ainsi, sans attendre une nouvelle loi - que j'appelle de mes voeux -, en mobilisant l'ensemble de nos ressources, nous sommes déjà en mesure d'apporter un soutien réel aux acteurs de terrain, afin qu'ils puissent remplir parfaitement cette difficile mission qu'est la mise en oeuvre des principes de laïcité à l'école.
M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.
M. François Rochebloine. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions. Toutefois, la situation sur le terrain ne me semble pas tout à fait conforme à vos propos. Pour ma part, j'ai constaté que principaux et proviseurs se trouvent souvent seuls pour faire face à ces difficultés. Il faut que les textes soient clairs, afin que ces responsables d'établissement ne soient plus livrés à eux-mêmes et que les mêmes règles s'appliquent dans tous les établissements. Cela leur faciliterait bien les choses. Mais ce n'est malheureusement pas le cas actuellement.
Cela dit, monsieur le ministre, j'ai bien conscience que le sujet n'est pas facile à traiter, et je vous remercie des réponses que vous m'avez apportées.

Données clés

Auteur : M. François Rochebloine

Type de question : Question orale

Rubrique : Enseignement

Ministère interrogé : jeunesse et éducation nationale

Ministère répondant : jeunesse et éducation nationale

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 mai 2003

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