Question orale n° 559 :
distribution et assainissement

12e Législature

Question de : Mme Jacqueline Fraysse
Hauts-de-Seine (4e circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains

Mme Jacqueline Fraysse attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable sur les pratiques financières de la société Veolia Environnement - Générale des eaux. En effet, plus de 8 000 communes françaises ont passé un contrat d'affermage avec cette firme, ou une de ses nombreuses filiales, pour la distribution et l'assainissement de l'eau, Dans le cadre de ces contrats, les collectivités versent ce que l'on appelle, en termes comptables, des « provisions pour renouvellement des immobilisations ». Avec cet argent, les entreprises concessionnaires sont normalement tenues d'assurer l'entretien des réseaux d'eau. Or, depuis 1996, CGE-Vivendi Environnement a transféré ces provisions vers une société de réassurance irlandaise. Lors de son audition par la commission des finances, le 26 septembre 2002, le directeur financier de Vivendi affirmait que ce transfert portait sur un montant de un milliard d'euros. Il s'est voulu rassurant. Pourtant, le seul fait d'avoir transféré cet argent à une société financière est choquant. La législation est claire : les provisions pour renouvellement doivent être utilisées pour l'entretien des réseaux. Le système obscur inventé par la CGE-Vivendi à partir de 1996 aboutit au placement financier de cet argent, avec les risques que cela comporte. Plusieurs de mes collègues communistes, verts et moi-même avons d'ailleurs déposé une proposition de résolution afin que notre assemblée enquête sur ces agissements. Mais, au-delà, il apparaît nécessaire de légiférer afin que ce système soit mis hors la loi. Car il présente un grave danger, celui de ne pas voir les travaux d'entretien nécessaires se réaliser. Elle est d'ailleurs consciente d'un tel risque, puisque dans un document de synthèse datant du 16 décembre dernier, elle propose d'inclure un programme prévisionnel des travaux dans le contrat de délégation de service public. Même si cette dernière proposition prend en compte le problème qui se pose à nous, elle ne saurait suffire car elle ne va pas assez loin, En effet, la durée légale d'une délégation de service public dans le domaine de l'eau varie de douze à trente ans. Il faut donc trouver un système permettant un éventuel remboursement des sommes correspondantes avant le terme du contrat. Un tel système pourrait figurer dans le contrat, en adéquation avec le programme prévisionnel des travaux. Elle lui demande si elle est prête à instaurer une telle mesure législative.

Réponse en séance, et publiée le 21 janvier 2004

PRATIQUES FINANCIÈRES DE LA SOCIÉTÉ
VEOLIA ENVIRONNEMENT

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour exposer sa question, n° 559, relative aux pratiques financières de la société Veolia Environnement.
Mme Jacqueline Fraysse. Je tiens àattirer l'attention du Gouvernement sur les pratiques financières de la société Veolia Environnement - Générale des eaux. En effet, plus de 8 000 communes françaises ont passé un contrat d'affermage avec cette firme, ou l'une de ses nombreuses filiales, pour la distribution et l'assainissement de l'eau. Dans le cadre de ces contrats, les collectivités versent ce que l'on appelle, en termes comptables, des « provisions pour renouvellement des immobilisations ». Avec cet argent, les entreprises concessionnaires sont normalement tenues d'assurer l'entretien des réseaux d'eau.
Or, depuis 1996, CGE-Vivendi Environnement a transféré ces provisions vers une société de réassurance irlandaise. Lors de son audition par la commission des finances, le 26 septembre 2002, M. Espinasse, directeur financier de Vivendi, affirmait que ce transfert portait sur un montant de un milliard d'euros. Il s'est voulu rassurant, mais ce montant est certainement beaucoup plus élevé. En tout état de cause, le seul fait d'avoir transféré cet argent public à une société financière est choquant. La législation est claire : les provisions pour renouvellement doivent être utilisées pour l'entretien des réseaux.
Le système obscur inventé par CGE-Vivendi à partir de 1996 aboutit au placement financier de cet argent, avec tous les risques que cela comporte. Plusieurs de mes collègues communistes, Verts, et moi-même avons d'ailleurs déposé une proposition de résolution afin que notre assemblée enquête sur ces agissements qui ne nous paraissent pas corrects puisqu'il s'agit d'argent public. Mais, au-delà, il apparaît nécessaire de légiférer afin que ce système soit mis hors la loi, car il présente un grave danger, celui d'empêcher la réalisation des nécessaires travaux d'entretien. Le ministère de l'environnement est d'ailleurs conscient d'un tel risque puisque, dans un document de synthèse datant du 16 décembre dernier, il propose d'inclure un programme prévisionnel des travaux dans le contrat de délégation de service public et il conclut en précisant : « Pour les travaux qui ne seraient pas réalisés au terme du contrat, les sommes correspondantes seront reversées à la collectivité selon des modalités définies dans le contrat. »
Cette proposition va dans le bon sens, mais elle ne saurait suffire car elle ne va pas assez loin. En effet, la durée légale d'une délégation de service public dans le domaine de l'eau varie de douze à trente ans. Il faut donc trouver un système permettant un éventuel remboursement des sommes correspondantes avant le terme du contrat. Mme Bachelot y est-elle prête, dans le cadre de la réforme à venir ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat au développement durable.
Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable. Madame la députée, comme vous le soulignez, la question du financement des travaux de renouvellement des réseaux préoccupe nombre d'élus locaux. Elle a retenu l'attention du ministère de l'écologie et du développement durable dans la mesure où la préservation d'un patrimoine performant est une condition impérative d'obtention du bon état de l'eau et des milieux aquatiques.
Le premier équipement du territoire en réseau d'eau potable et d'assainissement s'achève. Au cours des prochaines années, les montants des travaux de rénovation ou de renouvellement des réseaux seront de plus en plus importants. La réalisation de programmes réguliers de renouvellement et le suivi des dotations mobilisées à cette fin constituent des éléments clefs de la maîtrise du prix de l'eau et de la qualité du service rendu à l'usager.
Vous faites part de votre inquiétude sur des contrats en cours, pour des périodes pouvant atteindre plus d'une décennie, pour lesquels un système de garantie assurancielle a été substitué au dispositif traditionnel de provisions. Ce nouveau dispositif n'exonère le délégataire ni de ses devoirs ni de ses responsabilités jusqu'au terme du contrat.
Si les élus estimaient que le délégataire risque de ne pas remplir ses obligations de maintien de la qualité des ouvrages qui lui ont été temporairement remis, il appartiendrait aux collectivités concernées d'exercer leur devoir de gouvernance en réalisant un bilan de l'état de leur patrimoine et une expertise des comptes du délégataire. Si nécessaire, la collectivité pourra alors engager la renégociation du contrat afin d'y intégrer la réalisation d'un programme de travaux de remise à niveau des ouvrages. A cette fin, les collectivités concernées peuvent s'assurer de l'appui de sociétés d'expertises ou des services de l'Etat.
C'est au niveau local que peuvent s'apprécier au mieux les situations, les enjeux et les aménagements contractuels nécessaires. Les consultations qui seront prochainement engagées avec les associations d'élus permettront de préciser les dispositions législatives indispensables pour mieux maîtriser l'évolution du prix de l'eau tout en garantissant, sur le long terme, la qualité du service.
Au delà de ces dispositions, la gestion décentralisée des services et la liberté contractuelle des collectivités locales constituent à mon sens des principes d'organisation qui permettent de répondre aux préoccupations que vous exprimez et qu'il convient en conséquence de réaffirmer et de sauvegarder.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. J'ai bien entendu les éléments de réponse que vous avez donnés, madame la secrétaire d'Etat, concernant les possibilités juridiques de contrôle des délégataires. Certes, des dispositions réglementaires peuvent aujourd'hui être appliquées, mais fore est de constater que cet « arsenal réglementaire » ne suffit pas puisque l'on assiste à des dérives. Il est donc indispensable que la « liberté contractuelle » que vous avez évoquée soit plus strictement encadrée par la loi. Le législateur doit prendre ses responsabilités pour empêcher certains de spéculer avec de l'argent public, pour prévoir des sanctions en cas de transgression de règles établies clairement par la loi. C'est très important, car il s'agit du prix de l'eau, de la qualité de celle-ci, autrement dit de la santé de nos concitoyens et de leur sécurité dans la mesure où les canalisations sont en cause.
Les communes concernées sont au nombre de 8 000 et elles ont à entretenir 800 000 kilomètres de canalisations, dont 50 % ont plus de trente ans et 30 % plus de cinquante ans. Or, la durée moyenne de vie de ces canalisations est de trente ans. De surcroît, plusieurs rapports des cours régionales des comptes montrent que de nombreuses communes ont vu s'enfuir leurs provisions alors que leur réseau aurait dû être rénové.
A l'heure qu'il est, nous ne savons pas où sont passées les sommes qui étaient prévues pour les provisions et les travaux qui n'ont pas été réalisés par les collectivités. Il faut donc préciser dans la loi les règles qui ne pourront pas être transgressées. J'ajoute que, compte tenu de la situation financière de CGE-Vivendi Environnement, on ne peut que s'inquiéter s'agissant des sommes qui ont été détournées de leur destination première. Les communes pourront-elles les récupérer ? Ces sommes pourront-elles être utilisées pour les travaux indispensables ? Nous ne le savons pas à l'heure qu'il est. Je réitère donc ma demande de voir la loi encadrer davantage ces pratiques.
Le groupe des député-e-s communistes et républicains fera des propositions non pas pour porter atteinte à la liberté contractuelle, à laquelle nous tenons aussi, mais pour encadrer les pratiques contractuelles. Je souhaite que nous soyons entendus. Ces propositions devraient d'ailleurs être soutenues par de nombreux collègues, car les élus se préoccupent du maintien de la qualité des réseaux et de l'eau pour assurer une sécurité maximale à nos concitoyens.
M. le président.

Données clés

Auteur : Mme Jacqueline Fraysse

Type de question : Question orale

Rubrique : Eau

Ministère interrogé : écologie

Ministère répondant : écologie

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 janvier 2004

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