procédures
Question de :
Mme Geneviève Colot
Essonne (3e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire
Mme Geneviève Colot souhaite interroger M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les délais et les conditions de traitement des affaires de pédophilie. En effet, les délais sont importants, et une affaire qui s'est déroulée à Arpajon en 2000-2001 n'est toujours pas traitée par la justice. Les familles ne font pas l'objet de toute l'attention qu'un traumatisme de cette nature impose. Elles manquent d'informations et ont le sentiment de ne pas être crues. Il lui demande quelles mesures sont prises pour qu'en termes de délais, mais aussi en termes de moyens et de méthodes, ces cas soient considérés avec l'attention qu'il convient.
Réponse en séance, et publiée le 21 janvier 2004
DÉLAIS ET CONDITIONS DE JUGEMENT
DES AFFAIRES DE PÉDOPHILIE
M. le président. La parole est à Mme Geneviève Colot, pour exposer sa question, n° 576, relative aux délais et conditions de jugement des affaires de pédophilie.
Mme Geneviève Colot. Monsieur le ministre délégué à la famille, les enfants sont le plus souvent victimes des adultes, mais également d'autres enfants. Le Gouvernement et vous-même avez entrepris une large politique de sensibilisation sur ce sujet, et des mesures législatives importantes ont été votées.
Je souhaite pour ma part vous interroger sur des actes particulièrement odieux, les violences sexuelles perpétrées sur de très jeunes enfants.
J'ai été confrontée au cas d'un de ces enfants ayant subi des actes pédophiles de la part d'un jeune mineur. La victime ne sait pas exprimer ce qu'elle a vécu, se referme sur elle-même, se sent même souvent coupable de ce qu'elle a subi. Les parents, qui peuvent ignorer longtemps son calvaire, se sentent d'autant plus responsables qu'ils n'ont pas détecté rapidement ces odieuses violences.
L'instruction de tels dossiers est difficile, et il est important qu'elle soit menée avec toute la délicatesse nécessaire, tant vis-à-vis de l'enfant que de sa famille.
Les délais de traitement de ces dossiers sont aussi une entrave au retour de ces jeunes victimes à l'équilibre et à la tranquillité. Plus encore, comment un enfant peut-il réussir à surmonter cette terrible épreuve s'il croise toujours son bourreau sur son chemin, comme c'est parfois le cas ?
Monsieur le ministre, quels moyens sont à la disposition de la police et de la justice pour rendre moins douloureuse l'instruction de tels crimes ? Quelles consignes avez-vous données pour que les personnels fassent preuve de la délicatesse qui s'impose et pour que ces affaires soient traitées dans des délais acceptables ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la famille.
M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Madame la députée, je voudrais tout d'abord vous présenter les excuses de Dominique Perben, qui regrette de ne pas pouvoir vous répondre directement. Vous le savez, le sujet que vous évoquez est un de ceux qui suscitent la forte préoccupation du Gouvernement. Il a donné lieu ces derniers mois, de la part de mon ministère et de celui de M. Perben, à une grande mobilisation.
Le garde des sceaux vous remercie de la question que vous avez bien voulu poser sur la lutte contre les faits de viol et d'agression sexuelles sur les mineurs, généralement appelés actes de pédophilie, et sur la manière dont ces dossiers sont traités par l'institution judiciaire. Sa réponse, vous allez le constater, est relativement longue, mais je crois que le sujet et la précision de votre question le justifient amplement.
Votre interrogation conduit M. Perben à vous assurer que le Gouvernement mène une politique efficace afin de protéger les victimes d'actes de pédophilie ainsi que leurs familles et de réprimer les auteurs de ces actes intolérables.
S'agissant en premier lieu de la meilleure prise en compte des victimes mineures, l'article 706-52 du code de procédure pénale prévoit que l'audition d'un mineur victime d'infraction sexuelle doit faire l'objet d'un enregistrement sonore ou audiovisuel.
Un tel enregistrement est en effet de nature à limiter le nombre des auditions de la victime, mais aussi à faciliter l'expression de l'enfant tout en permettant d'y déceler les éléments non verbalisés et de les mémoriser pour la suite de la procédure.
La Chancellerie réalise une évaluation régulière des dispositions de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 et a édité un guide sur l'administrateur ad hoc chargé de représenter et d'accompagner le mineur victime tout au long de la procédure pénale.
Par ailleurs, le garde des sceaux a présenté le 13 janvier 2004 un guide de bonnes pratiques sur les mineurs victimes d'infractions pénales qui traite l'ensemble des problématiques, du signalement au procès pénal. Il constitue un nouvel outil, une référence pour les professionnels concernés.
S'agissant de la répression dans ce domaine, il convient en second lieu de rappeler que la France est l'un des pays dotés de la législation la plus efficace et la plus répressive en matière de lutte contre les crimes et délits à caractère sexuel.
Ainsi, en matière délictuelle, les peines encourues en cas d'agressions sexuelles ou d'atteintes sexuelles sur un mineur de quinze ans sont portées au maximum des sanctions prévues pour les délits, soit dix ans de prison, lorsque ces faits sont commis par un adulte abusant de ses fonctions ou par un ascendant. Dans un but répressif, la prescription de l'action publique a été adaptée à ces infractions : son point de départ est reporté à la majorité, et par une dérogation au principe général, la prescription délictuelle, qui est normalement de trois ans, a été portée à dix ans s'agissant d'infractions à caractère sexuel dont sont victimes des mineurs.
L'élargissement des règles de prescription a été posé dans un but de préservation des droits des mineurs. Il permet de prendre en considération des faits très anciens, non dénoncés au moment de leur commission, et ainsi de ne pas laisser les auteurs impunis.
Ces règles ont eu cependant un effet mécanique sur les durées de procédure, dans la mesure où le délai moyen entre la date de commission de l'infraction et le jugement des actes de viols commis sur mineur de quinze ans, qui était de 68,6 mois en 1998, a été estimé en 2002 à 86,6 mois.
Pour de tels faits, le délai moyen entre la saisine de la justice et le prononcé d'une condamnation pénale était de 32,5 mois en 2002 contre 27,8 mois en 1998, ce qui semble toutefois être un délai tout à fait satisfaisant au regard de la lourdeur des investigations à mener et des voies de recours offertes aux mis en cause.
De plus, en matière criminelle, le viol commis sur un mineur de quinze ans est une circonstance aggravante faisant encourir à son auteur une peine de vingt ans de réclusion criminelle. De fait, la durée moyenne d'emprisonnement prononcée pour des faits de viol sur mineur est d'environ dix ans, soit une durée moyenne double de celle connue en Belgique et triple de celle prononcée au Canada.
Ainsi, l'on peut constater que la durée moyenne de la procédure n'a pas d'incidence sur les sanctions prononcées, qui demeurent en rapport avec la gravité des faits commis.
Par ailleurs, la loi du 17 juin 1998 a créé de nouvelles sanctions telles que la peine de suivi socio-judiciaire réservée aux auteurs d'infractions sexuelles, sanctions applicables en matière criminelle et délictuelle.
Cette loi offre en outre la possibilité de prononcer une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, telle qu'une activité d'éducateur ou d'enseignant.
De même, les dispositions de l'article 131-36-2 prévoient d'autres mesures d'interdiction pour une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire, telles que l'interdiction de paraître en certains lieux déterminés, notamment les lieux accueillant habituellement des mineurs comme les centres de loisirs ou les établissements scolaires, ou encore l'interdiction de fréquenter ou d'entrer en contact avec certaines personnes, notamment des mineurs.
Le non-respect de ces obligations peut conduire l'intéressé à être incarcéré, conformément aux dispositions de l'article 763-5 du code de procédure pénale.
De surcroît, le fichier national automatisé des empreintes génétiques permet de résoudre de nombreuses affaires de viols et agressions sexuelles jusqu'alors non élucidées.
Les faits dont vous faites état font l'objet de la part de la Chancellerie d'un suivi particulièrement attentif. Le 11 octobre 2002, deux jours après avoir reçu un signalement par les services sociaux, le parquet d'Evry a fait diligenter une enquête préliminaire sur les chefs d'agression sexuelle sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité et de non-empêchement de délit et, le 12 octobre 2002, les services de police compétents auditionnaient la victime et ses parents.
Cette enquête préliminaire de quatre mois, au cours de laquelle les enquêteurs ont rédigé trente-quatre procès verbaux, a abouti, le 10 février 2003, au placement en garde à vue des deux mis en cause et à leur déferrement, le 12 février 2003, devant un juge d'instruction, qui les a mis en examen pour les chefs sus-mentionnés et placés sous contrôle judiciaire avec interdiction d'entrer en contact avec la victime.
Dès le 11 mars 2003, le magistrat instructeur a avisé la famille de la victime de sa possibilité de se constituer partie civile, ce qu'elle faisait le 21 mars 2003.
Le 26 mars 2003, le magistrat instructeur lui faisait connaître les droits afférents à son statut de partie civile, tandis que, durant l'année 2003, de lourdes investigations étaient menées par le magistrat instructeur.
Le 9 janvier 2004, les dispositions de l'article 175 du code de procédure pénale, qui marquent la clôture des investigations, étaient portées à la connaissance des parties par le magistrat instructeur.
Le garde des sceaux tient à souligner la très grande rigueur et la particulière diligence dont ont fait preuve les fonctionnaires de police et les magistrats dans ce dossier complexe en raison de l'âge de la victime et du mode de défense adopté par les mis en cause.
Il ajoute que toutes les pièces fournies par la partie civile ont été étudiées avec attention, versées au dossier et exploitées, et que leur avocat a constamment été tenu informé de l'évolution de l'enquête.
Aussi, dans ce dossier, il lui paraît que le temps de traitement de la procédure a été des plus raisonnable et que les parties civiles ont pu faire valoir leurs droits sans difficulté.
Voilà, madame la députée, la réponse très précise que souhaitait vous apporter le garde des sceaux.
Auteur : Mme Geneviève Colot
Type de question : Question orale
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 janvier 2004