délocalisations
Question de :
Mme Marie-George Buffet
Seine-Saint-Denis (4e circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains
Mme Marie-George Buffet interroge M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'accroissement des délocalisations d'entreprises. La croissance, l'emploi, le pouvoir d'achat, le droit du travail en subissent les conséquences. Le premier producteur de volailles en Europe, le groupe Doux, en est un regrettable exemple. Les mesures prises par le Gouvernement encouragent les opérations de délocalisation, notamment avec l'abrogation de la loi sur le contrôle des fonds publics, la suspension de la loi de modernisation sociale. Elle déplore cette situation et souhaite savoir s'il compte mettre un coup d'arrêt aux délocalisations et aux restructurations en décidant, par exemple, un moratoire suspensif, la taxation des crédits accordés par les banques aux entreprises qui délocalisent, un prélèvement sur les placements financiers pour les réduire, le remboursement des aides publiques perçues par une entreprise qui délocalise, une intervention résolue au plan européen pour mettre en place des taxations communes dissuasives sur les importations de productions délocalisées.
Réponse en séance, et publiée le 6 octobre 2004
CONSÉQUENCES DES DÉLOCALISATIONS
D'ENTREPRISES
M. Pierre Goldberg. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire, Mme Buffet a été appelée à Matignon par M. le Premier ministre, comme tous les responsables de parti politique, pour être informée et consultée sur le drame que vivent nos deux compatriotes journalistes retenus en otages en Irak , dont l'un est originaire de mon département de l'Allier. J'espère simplement que la " foutaise " - excusez-moi pour ce terme, monsieur le président ! - à laquelle nous avons assisté ces jours derniers n'aura pas d'effets néfastes pour eux.
Je vais maintenant vous donner lecture de la question de Mme Buffet.
Dans la dernière période, les délocalisations d'activités et d'entreprises se sont accrues et multipliées - les faits sont là pour en témoigner. La croissance, l'emploi, le pouvoir d'achat, le droit du travail en subissent de plein fouet les conséquences. Des territoires entiers sont sinistrés - je suis particulièrement bien placé pour le savoir - par ces décisions ne répondant qu'à un seul objectif : augmenter la rentabilité et baisser toujours plus la rémunération du travail.
Le premier producteur de volailles en Europe, le groupe de l'industrie alimentaire Doux, en est un regrettable exemple. Ainsi, depuis l'achat de Frangosul au Brésil, en 1998, on constate la fermeture d'une douzaine d'unités de production en France et la chute de 10 % des effectifs salariés. De plus, le plan de compression est accompagné - cela devient une habitude dans notre pays - d'une remise en cause de l'accord sur la réduction du temps de travail, comme à l'usine Doux de Quimper, où s'ajoute la non-rémunération du temps de pause journalier. Pour chaque salarié cela signifie une perte de 120 heures par an.
Les mesures prises par votre gouvernement, notamment l'abrogation de la loi sur le contrôle des fonds publics et la suspension de la loi de modernisation sociale, encouragent les opérations de délocalisation. Par ailleurs, les suppressions et baisses de cotisations sociales employeur entretiennent ce cercle vicieux et entraînent, par voie de conséquence, la diminution chronique des droits sociaux afférents. En outre, les pôles de compétitivité que vous préconisez n'empêcheront pas les délocalisations, y compris au sein même de notre pays. Au total, les mesures que vous avez annoncées n'auront pour effet que d'accroître ce processus, cette spirale sans fin, qui vise à la régression sociale dans notre pays. Les salariés de Doux, quant à eux, restent dans l'attente d'une action véritable.
Monsieur le secrétaire d'État, pourquoi ne décidez-vous pas d'un moratoire suspensif des opérations de délocalisation afin d'étudier concrètement les situations ? Pourquoi ne décidez-vous pas la taxation des crédits accordés par les banques aux entreprises qui délocalisent ? Pourquoi ne vous engagez-vous pas pour obtenir le remboursement des aides publiques perçues par les entreprises qui délocalisent ? Pourquoi n'intervenez-vous pas de façon résolue au plan européen pour mettre en place des taxations communes dissuasives sur les importations de productions délocalisées ? Qu'allez-vous faire pour le cas précis de l'entreprise Doux, dont l'attitude est inacceptable ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le député, je comprends naturellement l'absence de Mme Buffet, retenue auprès du Premier ministre pour cette importante réunion destinée à évoquer, avec l'ensemble des formations politiques, la situation de nos deux compatriotes, dont l'un est originaire de l'Allier, à proximité de Montluçon.
Vous avez manifesté une inquiétude justifiée devant l'accroissement des délocalisations et la désindustrialisation qu'elles entraînent pour l'économie française au niveau national. Avant d'évoquer les mesures que le Gouvernement souhaite mettre en oeuvre, je vais vous donner quelques chiffres pour la clarté de notre débat.
Sur le plan macro-économique, le phénomène des délocalisations reste marginal dans le flux des investissements français : l'estimation de services aussi objectifs que ceux de la Direction des relations économiques extérieures - DREE - et du Trésor aboutit à 4 % du total des investissements français à l'étranger. De même, les délocalisations représenteraient moins de 10 % des investissements français en direction des pays d'Europe centrale et orientale. J'étais en République tchèque à la fin de la semaine dernière et le ministre de l'économie me disait que les entreprises qui s'étaient délocalisées dans son pays le quittaient depuis que celui-ci était entré dans l'Union européenne et allaient maintenant plus à l'Est, vers l'Ukraine notamment.
On ne peut pas parler de véritable désindustrialisation de l'économie française, car la baisse tendancielle de l'emploi industriel a eu pour contrepartie une hausse plus importante de l'emploi dans les services de l'industrie, auparavant comptabilisés dans les emplois industriels ou qui correspondent à des services directement liés à l'activité industrielle - ce sont les bonheurs et les mystères de la statistique !
La valeur ajoutée dégagée par l'industrie reste en progression : sur la période 1980-2003, le poids de l'industrie dans le PIB s'est accru, passant de 21 % en 1980 à 22 % en 2003, ce qui signifie une augmentation significative de la productivité, et donc de la compétitivité, de nos entreprises industrielles, contrairement à ce que l'on entend parfois.
Ce sont les chiffres, mais la réalité que vivent et ressentent nos concitoyens - vous la connaissez bien, monsieur le député, dans le bassin industriel dont vous êtes l'élu - est celle, angoissante, anxiogène de bassins d'emplois durement touchés par un vrai traumatisme. Il s'agit, à chaque fois, d'un sinistre économique, social et territorial. L'inquiétude de nos concitoyens à l'égard des délocalisations est légitime, car la vision statistique est trop pauvre pour rendre compte de ces souffrances vécues par nos concitoyens.
Pour lutter contre les délocalisations, il y a plusieurs méthodes. Certains préconisent de ne rien faire, sinon pour garantir le bon fonctionnement des marchés en espérant que ceux-ci pourvoient au reste. C'est la version ultra-libérale, si je puis dire. Il y a aussi la version ultra-dirigiste de ceux qui prônent une illusoire et contre-productive fermeture des frontières et qui pensent qu'il suffit d'interdire ou de taxer pour répondre au problème posé. Cela n'est pas non plus comme cela que l'on résoudra la difficulté.
Le Gouvernement entend opter pour une voie centrale et, choisissant le pragmatisme, refuser le dogmatisme ou les déclarations incantatoires. Il veut à la fois développer les marchés, ainsi que la liberté d'entreprendre, et faire preuve d'un véritable volontarisme politique pour corriger les excès et veiller à ce que le développement économique soit compatible avec le bien-être de chacun.
Plus pratiquement, c'est dans le cadre d'une politique industrielle volontariste et combative que s'inscrivent les mesures contenues dans le projet de loi de finances que nous examinerons ensemble dans quelques jours. Elles visent à lutter plus efficacement contre les risques de désindustrialisation et de délocalisation. Mais, pour l'instant, nous sommes pleins d'humilité. Il faut que ces mesures soient votées puis mises en oeuvre, avant que l'on puisse évaluer leur effet. Pour l'heure, nous nous gardons de croire qu'elles résoudront tous les problèmes. Mais elles traduisent au moins une volonté politique.
Nous proposons d'accorder des crédits d'impôt aux entreprises qui sont implantées dans des bassins d'emploi en difficulté, de façon à les dissuader de partir. De manière inverse, des crédits d'impôt seront accordés à des entreprises qui souhaiteraient se relocaliser sur le territoire national. Nous pensons que ces deux types de mesure influeront positivement sur la situation.
Vous avez évoqué de manière, sinon négative, du moins interrogative, les pôles de compétitivité. En termes de capacité industrielle, de recherche et de formation, on sait où ils se situent. En dehors de Crolles, à côté de Grenoble, ou de Saclay, on songe à l'Allier, pour la mécanique de précision, à Limoges, pour la céramique et la porcelaine, ou encore à Roanne, pour les nouvelles technologies.
Après un appel à propositions, nous examinerons si certains territoires peuvent devenir des pôles de compétitivité. Le cas échéant, l'État interviendrait par des allégements d'impôt et de charges, et il proposerait aux collectivités locales des mesures financières pour relayer son action. Celles-ci permettraient certainement de renforcer l'attractivité du territoire. Au sein des pôles de compétitivité, les aides publiques seraient conditionnées à l'engagement des entreprises de ne pas délocaliser les activités soutenues.
Telles sont les réponses que nous souhaitons apporter au problème des délocalisations. Mais je vous propose de mettre à profit le débat budgétaire pour examiner si les mesures que nous vous proposons peuvent être améliorées.
M. le président. La parole est à M. Pierre Goldberg.
M. Pierre Goldberg. Il est au moins un point sur lequel je vous rejoins, monsieur le secrétaire d'État : les salariés de Doux, à Quimper, auront entendu avec intérêt la question de Mme Buffet et la réponse que vous venez de faire, quelles que soient les réserves que j'émets à son égard.
Mais, au-delà de la situation de ce groupe, la question se pose partout en France. Vous nous dites que les délocalisations ne concernent que 4 % des investissements à l'étranger. Soit ! Il n'y a pas lieu de discuter ce chiffre pour l'instant. Mais, tous les jours, dans les médias, nous constatons que les délocalisations se multiplient, et je ne crois pas que les mesures gouvernementales y changeront quoi que ce soit.
Pour prendre un exemple que je connais bien, une délocalisation importante a été décidée en Allier, à Vichy, par Sediver. Croyez-vous que ce soit parce que la marge de dégagement financier n'était pas suffisante ? Elle était au contraire considérable. La délocalisation ne s'expliquait que par la volonté d'investir à l'étranger pour gagner davantage. Ailleurs, elle sert simplement à faire reculer le droit du travail, notamment la loi sur les 35 heures.
Dans le cas présent, qu'auriez-vous fait ? Les dirigeants de Sediver auraient souri en vous entendant leur proposer des crédits d'impôts. Ils gagnent énormément en délocalisant. Pour les faire rester, leur proposerez-vous de gagner davantage ? En somme, vous proposez deux poids, deux mesures, alors qu'il est besoin d'ordre et de décisions dures qui, sans être dogmatiques ni dirigistes, permettraient d'éviter que le phénomène ne s'amplifie, ce qui ne manquera pas d'arriver si vous donnez un crédit d'impôt aux entreprises qui voudraient délocaliser.
Auteur : Mme Marie-George Buffet
Type de question : Question orale
Rubrique : Entreprises
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : économie
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 octobre 2004