décentralisation
Question de :
M. Bernard Derosier
Nord (2e circonscription) - Socialiste
M. Bernard Derosier attire l'attention de M. le ministre délégué à l'intérieur sur les conséquences financières du transfert de compétence relatif au RMl et à la création du RMA depuis le 1er janvier 2004 pour les départements, et notamment celui du Nord. Les dispositions de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activités et de la loi de finances 2004 établissent le principe d'une compensation intégrale des dépenses engagées par les départements au titre du versement de l'allocation. Cette compensation intervient après l'adoption des comptes administratifs des départements. Cependant, les recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) - depuis le 1er janvier 2004 - ne couvrent pas les dépenses réelles nettes des organismes payeurs et imposent au département du Nord une avance de trésorerie qui était de plus de 33 millions d'euros au 15 septembre 2004. Suite à une saisine écrite de M. le Premier ministre en date du 22 juin 2004, le ministère rappelle, par courrier en date du 16 septembre 2004, les modalités de cette compensation financière ainsi que les modifications prévues dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2004 qui permettront de tenir compte du coût supplémentaire résultant de la création du RMA et de l'augmentation des allocataires du RMI. Toutefois, il ne répond pas à la question de l'avance de trésorerie assurée par les départements pour le compte de l'État. Il souhaite donc obtenir une réponse précise du Gouvernement sur cette situation inacceptable. De même, il souhaite connaître les intentions du Gouvernement concernant la prime de Noël versée régulièrement par l'État depuis quatre ans aux allocataires du RMI.
Réponse en séance, et publiée le 20 octobre 2004
CONSÉQUENCES DE LA DÉCENTRALISATION
SUR LA GESTION DU RMI ET DU RMA
M. Bernard Derosier. Je vous assure, monsieur le ministre délégué à l'intérieur, que je ne me situe pas du tout dans une intention polémique,...
M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Moi non plus !
M. Bernard Derosier. ...même si vos propos pourraient parfois nous entraîner sur cette voie comme cela vient d'être le cas à propos de l'APA. Mais tel n'est pas mon sujet puisque je veux vous parler du financement du RMI-RMA.
Vous savez mieux que quiconque que, depuis le 1er janvier, les départements assurent le paiement de cette allocation de revenu minimum. Vous m'avez décrit en détail, par courrier - je vous en remercie au passage -, la façon dont cette dépense est compensée par un versement aux départements d'une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Je n'ouvre pas non plus aujourd'hui le débat sur la fiabilité de la TIPP, soumise à quelques aléas extérieurs, comme l'évolution de la technique ou les limitations de vitesse, dont chacun connaît les conséquences.
En revanche, monsieur le ministre, vous ne m'avez pas répondu au sujet de l'inadéquation entre ce qui est versé aux départements et ce que ceux-ci paient. Vous m'avez rappelé les modalités précises du dispositif législatif et ses conséquences, et je vous en remercie, mais je les connaissais. Qu'en est-il cependant de l'avance de trésorerie ? Vous n'ignorez pas qu'elle est de l'ordre de 200 millions d'euros pour l'ensemble des départements français. Pour le mien, elle s'élevait à 19 182 778 euros au 30 septembre 2004 et elle devrait sans doute atteindre 25 millions d'euros au 31 décembre. Vous allez me rétorquer, je suppose, que l'État compensera à l'euro près. Très bien, mais cette compensation ne sera pas immédiate.
Si la fraction de TIPP versée aux départements est inférieure aux sommes payées, de deux choses l'une. Certains de mes collègues présidents de conseils généraux ont laissé les CAF effectuer des avances, mais elles feront payer aux départements des intérêts sur les sommes avancées. Qui les paiera ? Je ne pense pas que l'État acceptera qu'ils figurent dans l'addition. Si les départements, à l'inverse, assurent eux-mêmes l'avance - je viens de vous citer des sommes tout de même impressionnantes, pour un total, au bas mot, de 200 millions d'euros -, il faudra attendre l'adoption du compte administratif, c'est-à-dire, vous le savez sans doute, le mois de mai, voire celui de juin de l'année prochaine, après quoi, le temps que l'État s'en saisisse, le remboursement n'interviendra qu'à la fin de 2005. Entre-temps, les départements devront vivre avec un trou dans leurs recettes, ce qui serait de nature à hypothéquer d'autres types de financements, obligatoires ou volontaires.
Ces temps derniers, monsieur le ministre, vous avez souvent affirmé - sans esprit polémique, j'en suis persuadé -, que " la gauche fait exploser les impôts locaux ", et Le Parisien du 15 octobre dernier titrait sur ces mots que vous avez prononcés. Non, monsieur le ministre, la décentralisation ne sert pas d'alibi aux collectivités locales, mais le paiement de ce que l'État doit aux collectivités est insuffisant. Vous ne pouvez pas nier que ces 200 millions d'euros correspondant au RMI manqueront au budget des départements. Vous m'écrivez, dans votre lettre, que la loi de finances rectificative pour 2004 apportera des modifications. Mais celles-ci rassureront-elles les exécutifs départementaux ?
Ma dernière question porte sur la prime de fin d'année.
Vous êtes venu à Bordeaux mais vous étiez parti quand M. Borloo n'a pas répondu à une question qui lui a été posée à deux reprises au sujet du paiement de cette prime. Faudra-t-il à nouveau effectuer une avance ou bien l'État s'engage-t-il à la payer lui-même ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement.
M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, le RMI-RMA est décentralisé depuis le 1er janvier de cette année et je trouve que cette première expérience récente de transfert de compétence adossé au financement par l'État mérite mieux qu'un jugement sévère, si je puis me permettre. Bien sûr, rien n'est jamais parfait, même dans notre monde merveilleux, mais je ne me souviens pas que l'État, ces derniers temps, soit jamais parvenu à compenser des transferts ou des créations de compétences aussi vite et aussi convenablement. Vous avancez la somme de 200 millions de " découvert " mensuel, si je puis dire.
M. Bernard Derosier. Pas mensuel, mais sur l'année !
M. le ministre délégué à l'intérieur. Oui, pardonnez-moi, mais cette somme est compensée tous les mois, de sorte qu'il s'agit en réalité d'un solde de trésorerie moyen.
A cet égard je tiens à appeler votre attention, monsieur Derosier, sur le fait qu'il s'agira, pour l'année, d'une somme globale de près de 5 milliards d'euros. Si je rapporte 200 millions à 5 milliards, le problème porte sur à peine 5 %. L'État couvre donc 95 % des dépenses, et dans une gestion de trésorerie bimensuelle, puisqu'il verse la compensation deux fois par mois. L'idéal serait naturellement d'atteindre 100 %, mais je trouve qu'un taux de 95 % n'est déjà pas si mauvais, surtout comparé au financement ou, plutôt, à l'absence ou à l'insuffisance de financement de l'APA, au détriment des départements, il y a quelques années.
A ce propos je rappelle une nouvelle fois qu'il ne s'agit non pas de polémiquer, mais d'observer les faits : nous constatons que l'APA a été mal couverte et qu'il nous a fallu trouver en urgence des dispositifs complémentaires, tandis que le RMI-RMA est aujourd'hui couvert, je le répète, à 95 %.
Je conviens volontiers avec vous qu'il serait encore mieux de parvenir à 100 %, mais il faut aussi comprendre que nous aurons des réajustements à accomplir, ne serait-ce que pour comparer des chiffres et examiner où nous en sommes exactement.
Prenons l'exemple de votre département, le Nord : vous avez évoqué un décalage de 33 millions d'euros - nous l'estimons, pour notre part, à 22 millions d'euros, ce qui est encore trop -...
M. Bernard Derosier. Pas maintenant, mais à la fin de l'année !
M. le ministre délégué à l'intérieur. C'est donc une extrapolation, mais peut-être pouvons-nous imaginer que l'avenir ne sera pas toujours noir et que, dans votre département comme dans d'autres, dès lors que nous avons transféré l'ensemble de la compétence insertion, les résultats obtenus en la matière progresseront et le nombre de bénéficiaires du RMI baissera, car tel est bien notre objectif. Pour autant, le montant des transferts sera toujours adossé. Vous voyez donc qu'il faut rester attentif à la réalité.
Je vous indique d'ailleurs que le niveau des dépenses exécutées par l'État dans le Nord avait atteint, pour les neuf premiers mois de 2003, 200 millions et que plus de 204 millions ont été versés à ce département de janvier à septembre 2004. Vous pouvez donc constater que l'écart peut parfois être positif.
Pour être tout à fait clair, j'ajoute que les fractions de tarifs de TIPP seront modifiées à deux reprises : dans le cadre de la loi de finances rectificative de 2004, pour permettre une réévaluation du niveau de versement dès janvier 2005 ; dans le cadre de la loi de finances pour 2006 ou de la loi de finances rectificative de 2005, pour fixer le niveau définitif des fractions, après avoir pris connaissance des montants consolidés des dépenses exécutées en 2004. Je rappelle en effet que nous nous situons encore dans un cadre provisionnel.
Je tiens à insister sur le caractère assez remarquable de la manière dont nous travaillons. Nous assumons pleinement nos engagements.
Chacun sait aussi que beaucoup de départements disposent de trésoreries positives, qui leur permettent de compenser eux-mêmes un peu. Cela n'a rien de très glorieux mais, après tout, chacun procède de la manière la mieux ajustée possible et, je le répète encore, un taux de compensation à 95 % au mois près, ce n'est pas si mal ; on aimerait que l'État soit toujours aussi exemplaire.
Quant à la prime de Noël, elle n'a pas, vous le savez, le caractère d'une allocation de RMI et, au surplus, elle n'est pas automatiquement reconductible, le choix appartenant au Gouvernement. Elle n'a d'ailleurs pas été transférée aux conseils généraux et n'ouvre donc pas droit à compensation. En application du principe de libre administration, si tel ou tel département ou telle ou telle collectivité veut la mettre en oeuvre, c'est son droit, mais cela relève de sa seule initiative. Si l'État décidait, d'ici à la fin de l'année, de verser cette prime à l'ensemble des allocataires du RMI, il va de soi qu'il en supporterait les conséquences financières ; il ne doit y avoir aucune ambiguïté entre nous.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Derosier.
M. Bernard Derosier. À propos de la prime de Noël, monsieur le ministre, votre réponse, vous en conviendrez, va encore soulever beaucoup d'inquiétude. Vous soulignez en effet que les départements peuvent décider de la verser, sous couvert de la libre administration, ce qui sous-entend qu'il n'y aura alors pas de compensation, mais aussi que l'État peut la supprimer. A cet égard, en effet, je doute fort que les allocataires du RMI et de cette prime soient en mesure de faire la part des choses entre la responsabilité de l'État et celle des exécutifs départementaux. Cette fuite en avant n'est guère satisfaisante.
Par ailleurs, je n'ai pas porté un " jugement sévère " sur la démarche suivie, monsieur le ministre. La loi est derrière nous, elle est votée et je n'ai fait qu'un constat. Vous semblez vous satisfaire que, à ce jour, 95 % des financements soient assurés. Les 5 % restants ne seraient rien s'ils représentaient une dizaine d'euros, mais ils représentent des masses considérables. Pour mon seul département, au sujet duquel vous avez cité quelques chiffres, cela correspond au coût d'un collège et demi, et je pourrais prendre d'autres exemples de dépenses obligatoires.
Ce n'est pas parce que, selon vous, les choses, hier, n'auraient pas été bien faites - je ne partage d'ailleurs pas ce jugement - qu'il faut se contenter aujourd'hui de ce qui est accordé et accepter qu'un certain pourcentage reste non versé. Surtout, vous ne m'avez pas répondu à propos des délais. S'il faut attendre fin 2006 pour être remboursé de notre avance à l'État, vous conviendrez que ce n'est pas tout à fait conforme au bon fonctionnement de la décentralisation.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. le ministre délégué à l'intérieur. Monsieur Derosier, je souhaite que les choses soient bien claires entre nous et, par conséquent, pour tout le monde.
D'abord, ne faites pas d'intox. Vous n'êtes pas empêché de construire un collège car vous perdez non pas 22 millions mais seulement la charge financière correspondante aux intérêts de ces 22 millions. Ce n'est pas du tout la même somme et vous le savez très bien. J'ajoute que le décalage n'est que d'un mois, c'est-à-dire qu'il est extrêmement court et qu'il peut se trouver des mois pour lesquels le solde est positif ; je vous en ai fait la démonstration pour les neuf premiers mois de 2003.
Il ne faut pas faire de désinformation en direction de ceux, innombrables, qui suivent ces dossiers faciles à comprendre et nous écoutent aujourd'hui : le montant en question n'équivaut pas au prix d'un collège mais seulement aux frais financiers correspondants et, en outre, la trésorerie est couverte au mois près.
En ce qui concerne ensuite la prime de Noël, vous êtes dans votre rôle : vous faites de la politique, comme moi. Vous avez dit, si j'ai bien compris, que l'État voulait supprimer la prime de Noël. Or ce n'est pas ainsi qu'il convient d'envisager la situation.
Si l'Etat décide de verser cette prime - cela relève de sa responsabilité - il devra la financer. Si tel n'était pas le cas, il appartiendrait aux collectivités territoriales de faire leur choix. En tout cas vous ne pouvez pas reprocher à l'Etat d'assumer une politique et son financement, alors que, à propos du RMI-RMA, vous vous inquiétiez de savoir si nous tiendrions nos engagements.
Il me semble que, en travaillant ensemble, nous devrions parvenir à nous mettre d'accord.
Auteur : M. Bernard Derosier
Type de question : Question orale
Rubrique : État
Ministère interrogé : intérieur (MD)
Ministère répondant : intérieur (MD)
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 octobre 2004