Question au Gouvernement n° 884 :
ordre du jour

13e Législature

Question de : M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche

Question posée en séance, et publiée le 18 décembre 2008

DROIT D'AMENDEMENT

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, je vous ai informé avant cette séance du sens de ma question. Ce n'est pas l'usage ; je l'ai fait aujourd'hui parce que la question que je vous pose touche à l'essentiel de ce qui nous est commun : la démocratie. (" Ah ! " sur les bancs du groupe UMP.)
Je pèse chacun de mes mots. La réforme de la Constitution était censée rééquilibrer les pouvoirs et revaloriser le Parlement. C'était votre engagement ; c'était votre promesse. Cinq mois plus tard, le projet de loi organique remet en cause l'un des droits les plus sacrés de notre démocratie : le droit, pour les parlementaires, d'amender les textes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Sans ce droit d'amender, aucun grand débat parlementaire n'aurait pu avoir lieu. Je pense aux débats sur le CPE, sur le paquet fiscal, sur les OGM ou sur l'audiovisuel public. Je me souviens aussi que la majorité d'aujourd'hui a été l'opposition d'hier...
M. Lucien Degauchy. D'avant-hier !
M. Jean-Marc Ayrault. ...et qu'elle a elle même usé de ce droit pour faire entendre sa voix - légitime - sur les nationalisations, les 35 heures ou le PACS.
M. Jean Glavany. Ne regardez pas ailleurs, monsieur Accoyer, c'est vous qui êtes responsable !
M. Jean-Marc Ayrault. Pour limiter ce droit d'amender, vous proposez de revenir purement et simplement à un système abandonné il y a quarante ans. Pour se justifier, votre gouvernement invoque l'usage abusif que ferait l'opposition du droit d'amendement. (" C'est vrai ! " sur les bancs du groupe UMP.) Je vous le dis : c'est une véritable tartufferie ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
En trente ans, sept textes sur les 1 450 adoptés ont dépassé cent heures de débat. Il n'y en eut que sept, et par quatre fois ce fut à l'initiative de la droite ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean Glavany. La droite se fait hara-kiri !
M. Jean-Marc Ayrault. Non, monsieur le Premier ministre, aucune loi n'a jamais été empêchée par le droit d'amendement ; aucune opposition n'a pu interdire à la majorité de faire voter ses projets ! Le seul abus que connaisse notre démocratie, c'est celui d'un exécutif autoritaire qui ne tolère ni la contradiction, ni les contre-pouvoirs, qu'ils soient syndicaux, médiatiques et maintenant parlementaires. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. Veuillez poser votre question.
M. Henri Emmanuelli. Laissez-le parler !
M. Jean-Marc Ayrault. Le 21 juillet dernier, devant les députés et sénateurs réunis en congrès à Versailles, vous avez défendu votre réforme de la Constitution en appelant, je vous cite, à une " réforme qui tempère les pouvoirs de l'exécutif en renforçant ceux du législatif " et vous aviez même défié " quiconque de trouver dans un seul de ces articles un recul pour les libertés " !
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La question !
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, ce sont bien les libertés et la démocratie qui sont en cause aujourd'hui à travers deux articles de votre projet de loi organique.
De nombreux députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Scandaleux !
M. le président. Je vous remercie, monsieur Ayrault... (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, n'essayez pas de me couper la parole ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Voici ma question : monsieur le Premier ministre, je vous demande solennellement, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, de retirer du projet de loi organique les dispositions qui auraient pour effet de verrouiller les initiatives des parlementaires de la majorité comme de l'opposition.
Si vous ne le faites pas, je vous le dis avec gravité : vous aurez pris le risque d'ouvrir une crise politique majeure ! (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et, se tournant vers M. Ayrault, l'applaudissent longuement. - Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. Jean Glavany. C'est Accoyer le responsable !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Bruits sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Seul M. le Premier ministre a la parole !
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président Ayrault, le projet de loi organique qui sera discuté devant votre assemblée - et que le Parlement pourra naturellement amender - est un texte qui respecte scrupuleusement les intentions du constituant.
M. Christian Paul. Putschiste !
M. Henri Emmanuelli. Vous allez vous planter !
M. François Fillon, Premier ministre. Il institue un nouveau droit pour le Parlement : le droit de résolution, qui n'existait pas jusqu'ici dans notre Constitution. Il organise la présentation des projets de loi, prévoyant notamment la possibilité de débattre en séance du texte amendé par la commission : il s'agit incontestablement d'un pouvoir nouveau donné au Parlement.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. À la majorité !
M. François Fillon, Premier ministre. Eh bien oui, il y a dans ce parlement une majorité et une opposition : les Français en ont décidé ainsi, nous n'y pouvons rien !
M. Jean Glavany. Vous allez contre la tradition républicaine !
M. François Fillon, Premier ministre. Nous parlerons des traditions : j'y viens justement. Je suis dans cette maison depuis plus longtemps que vous, monsieur Glavany !
M. Jean Glavany. Vous l'avez oublié, apparemment !
M. François Fillon, Premier ministre. Ce texte, monsieur le président Ayrault, pose un cadre ; ensuite, dans ce même parlement, un autre débat aura lieu sur le règlement de chacune des assemblées, et en particulier celui de l'Assemblée nationale - avec tous les amendements que vous souhaiterez.
Ce que propose ce projet de loi, c'est de rendre possible - sans l'imposer - le recours à des procédures d'examen simplifié de textes sur lesquels un accord pourrait être trouvé en raison de leur nature.
Ce que propose ce projet, c'est de rendre possible une meilleure organisation des travaux en prévoyant un temps de débat. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Cela ne remet absolument pas en cause le droit d'amendement (" Si ! " sur les bancs du groupe SRC), qui est un droit constitutionnel, un droit protégé par la Constitution.
Mais déposer cent fois le même amendement, cela n'a rien à voir avec le droit d'amendement, cela n'a rien à voir avec la démocratie ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP, dont de nombreux députés se lèvent. - Applaudissements sur les bancs du groupe NC. - Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Multiplier les incidents de séance, les interruptions, les demandes de suspension, cela n'a rien à voir avec le droit d'amendement, cela n'a rien à voir avec la démocratie ! (Mêmes mouvements.)
Il se trouve que j'ai siégé dans cette assemblée depuis 1981. Jamais sous un président socialiste nous n'avons eu la possibilité de déposer plusieurs fois le même amendement sous des noms différents ; c'était impossible, et je vous mets au défi de prouver le contraire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. - Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Julien Dray. C'est faux ! Vous mentez !
M. François Fillon, Premier ministre. Vous aurez beaucoup de mal à faire croire à l'opinion publique que nous voulons museler l'opposition, parce que c'est notre majorité qui a proposé cette réforme de la Constitution qui vous permettra de connaître des nominations des hauts fonctionnaires, qui vous permettra de débattre de l'envoi des forces françaises à l'extérieur, qui instaure le droit de résolution, qui limite l'usage du 49-3, que certains de vos gouvernements ont tellement utilisé ! (Brouhaha sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Accoyer, fossoyeur !
M. François Fillon, Premier ministre. Ce n'est pas moi qui ai dit un jour sur ces bancs : " Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires ". (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) En revanche, c'est cette majorité qui a donné des droits nouveaux au parlement ; elle continuera son oeuvre de modernisation dans le respect des droits de l'opposition et à l'écoute de l'opposition. (Mmes et MM. les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent longuement. - Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Marc Ayrault

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Parlement

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 18 décembre 2008

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