Question orale n° 1563 :
peines

13e Législature

Question de : M. Nicolas Dupont-Aignan
Essonne (8e circonscription) - Députés n'appartenant à aucun groupe

M. Nicolas Dupont-Aignan attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration sur le récent rapport parlementaire de M. Éric Ciotti, réalisé semble-t-il en bonne intelligence avec l'Élysée. Très choqué pour sa part, en tant que député et maire de l'Essonne, de ce que, d'une part, le taux d'exécution des décisions d'incarcération soit, en France, parmi les plus bas en Europe, d'autre part, que les dysfonctionnements innombrables de l'institution judiciaire (notamment le manque de 20 000 places de prison) concourent à l'évidence au sentiment d'impunité observé chez les délinquants de quartier, il réclame avec constance, depuis plusieurs années, un renforcement significatif des moyens de la justice et un durcissement dissuasif de la politique de répression pénale de la petite et moyenne délinquance. À l'évidence, sous couvert de modernisation de la politique pénale, on laisse des délinquants en liberté à cause de la saturation du service public judiciaire et pénitentiaire ! Il a pour ces raisons rejeté la loi dite « récidive » de novembre 2009, qui étendait les exemptions d'emprisonnement à toutes les condamnations jusqu'à deux années de prison ferme, déposant alors un amendement qui réclamait la suppression des remises de peine automatiques - trois mois la première année, puis deux mois par année supplémentaire. Il a enfin déposé à l'hiver dernier une proposition de loi très précise, modifiant en profondeur le code pénal afin que chaque condamné s'acquitte au moins des deux tiers de toute période d'incarcération ferme, quelle qu'en soit la durée. Hélas, à chaque fois le Gouvernement, suivi par sa majorité, a balayé d'un revers de main ses mises en garde et ses préconisations. C'est pourquoi aujourd'hui il ne peut que se réjouir de ce qu'il semble, à travers le rapport de M. Ciotti, les reprendre à son propre compte. Mieux vaut tard que jamais lui dira-t-on ! Certes, mais encore faudra-t-il qu'un temps précieux supplémentaire ne soit pas gaspillé Il en vient donc à sa question : quand va-t-on enfin tirer concrètement les conclusions du rapport Ciotti ? Quand abrogera-t-on la loi de 2009 et instaurera-t-on le plancher d'exécution des deux tiers de toute peine de prison ferme ? Il demande, enfin, vingt-cinq ans après le fameux plan Chalandon, quand construira-t-on les 20 000 places de prison manquantes dans notre pays, ce qui ramène la France au rang du tiers-mondisme carcéral face à ses voisines allemande et britannique.

Réponse en séance, et publiée le 29 juin 2011

CONDITIONS D'EXÉCUTION DES PEINES

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan, pour exposer sa question, n° 1563, relative aux conditions d'exécution des peines.
M. Nicolas Dupont-Aignan. J'ai lu avec une certaine joie le rapport Ciotti. Je voudrais bien savoir d'ailleurs comment il a pu être écrit par la majorité, alors même que certaines décisions prises depuis deux ans sont en totale contradiction avec ses préconisations. Mais peut-être est-ce l'annonce d'une bonne nouvelle, en l'occurrence d'un changement !
Si je vous parle de cela, c'est parce que je constate, dans ma circonscription, le découragement des forces de police face au sentiment d'impunité des délinquants. Ce sentiment est principalement lié à un fait objectif : ils savent pertinemment qu'ils ont très peu de risques de terminer dans un établissement pénitentiaire, la plupart des petites condamnations n'étant pas exécutées dans notre pays.
Cet état de fait s'est aggravé depuis le vote du texte de 2009, qui permet au juge d'application des peines de supprimer tout emprisonnement et de le remplacer par des peines alternatives, lesquelles ne sont d'ailleurs jamais correctement appliquées, pour les condamnations inférieures ou égales à deux ans de prison - ce qui est déjà une sanction assez forte dans notre système pénal.
La conséquence en est très simple : aujourd'hui, les personnes condamnées à de telles peines reviennent dans les quartiers et narguent les autorités de police, qui sont totalement découragées. Pas plus tard que ce week-end, j'ai rencontré un policier spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue, qui a demandé sa mutation en province. Il m'a dit très clairement : " Cela fait vingt ans que je me fais tirer dessus et que je prends des risques considérables pour moi et ma famille. Or je me retrouve systématiquement confronté de nouveau aux petits délinquants que je poursuis. "
Face à ce découragement des forces de police, face au problème lié à l'exécution des peines, face au manque de places de prison, estimé à 20 000 environ - chiffre au demeurant cohérent au regard des 64 000 places dont nous disposons et des 85 000 places dont dispose un pays comme la Grande-Bretagne -, il est indispensable de changer les choses.
J'avais déposé une proposition de loi tendant à supprimer les remises de peine automatiques et à faire que chaque condamné, quelle que soit la durée de sa peine, exécute les deux tiers de celle-ci. Nous savons en effet pertinemment qu'avec le jeu des remises de peine systématiques, les condamnés n'en effectuent que la moitié.
M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Je finis, monsieur le président.
Pour agir, mieux vaut tard que jamais, et le rapport Ciotti semble dessiner une nouvelle piste. Je voudrais savoir quand le Gouvernement en tirera les conclusions concrètes, éventuellement législatives.
M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville.
M. Maurice Leroy, ministre de la ville. Monsieur le député, permettez-moi d'excuser Michel Mercier, retenu par une réunion de travail avec les services de protection judiciaire de la jeunesse, à laquelle il n'a pu se soustraire.
L'exécution des peines constitue l'une des priorités de l'action du ministre de la justice et des libertés, qui a pris connaissance avec le plus grand intérêt du rapport remis par votre collègue Éric Ciotti au Président de la République.
En ce qui concerne la loi pénitentiaire de novembre 2009, dont les décrets d'application ont été publiés le 27 octobre 2010, il convient de lui laisser le temps de produire ses effets afin de pouvoir les évaluer ensuite.
Concernant votre proposition de loi tendant à fixer un plancher d'exécution des deux tiers de toute peine de prison ferme, le ministre de la justice et des libertés n'y est pas favorable. En effet, des différences de régime existent entre les personnes condamnées, suivant qu'elles ont commis des faits en état de récidive légale ou que leur peine est assortie d'une période de sûreté. Ces différences doivent être maintenues afin d'adapter l'exécution et l'aménagement de la peine à la personnalité du condamné et à la nature de la condamnation.
S'agissant du parc pénitentiaire français, sa capacité a été portée de 36 615 places en 1990 à 56 847 au 1er juin 2011. Le 5 mai dernier, le Gouvernement a annoncé un programme pénitentiaire qui permettra de créer 7 577 nouvelles places, auxquelles il conviendra d'ajouter les extensions de capacité prévues, de façon à disposer de plus de 70 000 places en 2018.
Parallèlement, des opérations de rénovation vont être menées pour la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, le centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille, le centre de détention de Nantes et la maison d'arrêt de la Santé à Paris. Elles permettront de moderniser les structures, d'améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées et les conditions de travail des personnels.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Cette réponse du garde des sceaux me déçoit énormément, car elle montre une contradiction majeure entre les proclamations du Président de la République et du Gouvernement, d'une part, et les actes, d'autre part. Je persiste à penser que la loi de novembre 2009 a des effets catastrophiques sur la délinquance dans nos quartiers.
J'ajoute que le fait de disposer de 70 000 places en 2018 ne résoudra en rien l'embouteillage des établissements ni la mauvaise exécution des peines dans notre pays. C'est bien parce que nous manquons de places de prison que beaucoup de juges, aujourd'hui, ne peuvent prononcer les sanctions qui s'imposent. La situation va donc pourrir encore un peu plus malgré les beaux discours. Je suis très inquiet.

Données clés

Auteur : M. Nicolas Dupont-Aignan

Type de question : Question orale

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : Intérieur, outre-mer, collectivités territoriales et immigration

Ministère répondant : Justice et libertés

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 juin 2011

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