politique de l'eau
Question de :
M. Paul Giacobbi
Haute-Corse (2e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche
M. Paul Giacobbi interroge Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Il a souvent eu l'occasion d'évoquer ici le fameux programme exceptionnel d'investissement pour la Corse, prévu par l'article 53 de la loi du 22 janvier 2002, qui devait représenter deux milliards d'euros de travaux financés à 70 % par l'État et ce en supplément des programmes normaux d'investissement de l'État, notamment dans le cadre des contrats de plan. Après cinq années d'exécution de ce programme, prévu sur quinze ans, le bilan comptable, celui des paiements effectués, est insignifiant, ce qui n'empêche pas le Gouvernement de se targuer de bons résultats avec une mauvaise foi confondante, tout en s'ingéniant à bloquer l'exécution des rares projets sur lesquels il s'est financièrement engagé, en jouant sur les délais de validité des procédures d'autorisation et de financement. Le bilan constaté de l'exécution du PEI est insignifiant. Fin 2007, après cinq années d'exécution du programme, soit un tiers de la durée, l'État a effectivement payé 111,71 millions d'euros, soit 7,5 % du total attendu. Mais le pire est qu'une grande partie de ces paiements sont abusivement attribués au « PEI » alors qu'ils proviennent en réalité de programmes qui n'ont rien d'exceptionnels pour les autres régions. Ainsi, l'agence de l'eau a-t-elle baptisé « PEI » les crédits qu'elle consacre à la Corse. Il en est de même pour les crédits de l'agence de financement des infrastructures de transports (AFITF) concernant la Corse. Sans le PEI, la Corse aurait bénéficié des mêmes niveaux d'investissement de ces organismes, de telle sorte que le PEI a consisté à changer le nom des crédits sans en modifier, de manière significative, le montant réel. Cependant, malgré ce subterfuge, l'État a beaucoup promis au titre du PEI. Ainsi, parle-t-il, fin 2007, de 487 millions d'euros de crédits « programmés », c'est-à-dire promis par écrit sans engagement juridique, et de 311 millions d'euros de crédits engagés, ce qui est tout de même inquiétant quand les crédits de paiement inscrits pour 2007 au titre du PEI dans la loi de finances sont de 8,246 millions d'euros et de 5,156 millions d'euros pour 2008. Alors l'État a trouvé un moyen imparable de réduire l'impasse : c'est de rendre impossible l'exécution des travaux en jouant sur les dates respectives de caducité des arrêtés de subvention et des arrêtés d'autorisation des travaux. En effet, pour présenter un projet au financement du PEI, il faut un dossier complet, c'est-à-dire avec toutes les autorisations nécessaires, par exemple une déclaration d'utilité publique et un arrêté d'autorisation au titre de la loi sur l'eau. Mais ces autorisations ont une durée limitée, par exemple de deux ans au titre de la loi sur l'eau. S'il fait attendre l'arrêté de subvention deux ans, celui-ci est notifié, pour un début d'exécution des travaux dans les six mois, à un moment où le maître d'ouvrage ne dispose plus de l'autorisation de procéder aux travaux et où il lui faudra plus de six mois pour obtenir le renouvellement de cette dernière. Et comme à ce moment, l'arrêté de subvention sera caduc, il devra entamer un nouveau cycle administratif digne du « Procès » de Kafka ou de « L'éternel retour » de Nietzsche. Il ne se bornera qu'à un seul exemple de ces pratiques, mais il tient à sa disposition des dizaines d'exemples, avec pièces à l'appui, s'agissant de travaux routiers sur la RD 81, en sortie nord de Saint-Florent, pour un montant de 4,11 millions d'euros hors taxes : le 29 novembre 2005, arrêté préfectoral portant autorisation au titre de la loi sur l'eau pour une validité de deux ans ; le 30 janvier 2006, avis favorable du comité régional de programmation des aides ; le 13 décembre 2007, transmission de l'arrêté de subvention, c'est-à-dire après caducité de l'autorisation au titre de la loi sur l'eau ; les 21 décembre 2007 et 15 février 2008, demandes réitérées du maître d'ouvrage de renouvellement de l'arrêté d'autorisation au titre de la loi sur l'eau ; le 29 janvier 2008, réponse de l'État déclarant le dossier d'autorisation complet mais rappelant l'interdiction de début des travaux avant l'obtention de la nouvelle autorisation, laquelle ne parviendra évidemment qu'après caducité de l'arrêté de subvention qui intervient six mois après sa notification. Le PEI consiste aujourd'hui à programmer, sans financement des projets, à engager l'Etat sans crédits de paiements suffisants, à baptiser « crédits exceptionnels du PEI » ce qui ailleurs s'appelle crédits d'investissements normaux de l'Etat, et à réduire l'impasse financière en jouant sur les caducités respectives des arrêtés de subventions et des arrêtés d'autorisations pour empêcher l'exécution des travaux. Il attends donc ses explications et il l'informe que, dans la mesure où elles ne le satisferont pas, il saisira la Cour des comptes, et plus particulièrement la Cour de discipline budgétaire de ces pratiques fautives.
Réponse en séance, et publiée le 26 mars 2008
MISE EN OEUVRE DU PROGRAMME EXCEPTIONNEL D'INVESTISSEMENT POUR LA CORSE
M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour exposer sa question, n° 158.M. Paul Giacobbi. Monsieur le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, j'ai souvent eu l'occasion d'évoquer ici le fameux programme exceptionnel d'investissement pour la Corse, le PEI, prévu par la loi de 2002, qui devait représenter deux milliards d'euros de travaux financés à 70 % par l'État, et ce en supplément des programmes normaux d'investissement de l'État, notamment dans le cadre des contrats de plan.
Malheureusement, après cinq années d'exécution de ce programme, prévu sur quinze ans, le bilan comptable des paiements effectués est insignifiant, bien que le Gouvernement se targue de bons résultats non sans une certaine mauvaise foi, et tout en s'ingéniant à bloquer l'exécution des rares projets sur lesquels il s'est financièrement engagé en jouant sur les délais de validité des procédures d'autorisation et de financement.
Ainsi, à la fin de 2007, soit après cinq années d'exécution du programme, l'État n'a effectivement payé que 111,71 millions d'euros, soit 7,5 % du total attendu. Pire encore : une grande partie de ces paiements sont abusivement attribués au PEI, alors qu'ils proviennent en réalité de programmes qui, dans d'autres régions, n'ont rien d'exceptionnel et qui d'ailleurs n'avaient rien d'exceptionnel en Corse avant que le PEI ne soit créé. Ainsi l'Agence de l'eau a-t-elle baptisé " PEI " les crédits qu'elle consacre à la Corse ; dans le département des Alpes-Maritimes, la dénomination n'est pas la même, mais je suis intimement persuadé qu'il bénéficie de crédits, en tout cas je l'espère. Il en est de même pour les crédits de l'Agence de financement des infrastructures de transports concernant la Corse, qui, partout ailleurs, sont des crédits d'investissement.
Malgré ce subterfuge, l'État a beaucoup promis au titre du PEI. Ainsi parle-t-il, fin 2007, de 487 millions d'euros de crédits programmés. Voilà une nouvelle nomenclature budgétaire : ce n'est ni un engagement ni un paiement mais une programmation, c'est-à-dire qu'il a promis ces sommes par écrit, sans engagement juridique. Il fait état également de 311 millions d'euros de crédits engagés, ce qui est inquiétant quand ont sait que les crédits de paiement réellement inscrits dans la loi de finances pour 2007 au titre du PEI sont dérisoires au regard des enjeux.
L'État a trouvé un moyen imparable de réduire l'impasse en rendant impossible l'exécution des travaux dans la mesure où il joue sur les dates respectives de caducité des arrêtés de subvention et des arrêtés d'autorisation des travaux. En effet, pour présenter un projet au financement du PEI, il faut un dossier complet, c'est-à-dire comportant toutes les autorisations nécessaires, comme une déclaration d'utilité publique ou un arrêté d'autorisation au titre de la loi sur l'eau. Mais ces autorisations ont une durée limitée, deux ans par exemple au titre de la loi sur l'eau.
S'il passe plus de deux ans entre la date de dépôt du dossier et l'arrêté de subvention, on se retrouve alors dans une situation kafkaïenne puisqu'il est impossible de commencer les travaux.
Je citerai un exemple, celui de la RD 81, en sortie nord de Saint-Florent, pour un montant de 4,11 millions d'euros hors taxes, financé au titre du PEI pour le département de la Haute-Corse. Le 29 novembre 2005, un arrêté préfectoral a été pris au titre de la loi sur l'eau pour une validité de deux ans ; le 30 janvier 2006, le comité régional de programmation des aides a émis un avis favorable ; enfin, le 13 décembre 2007 l'arrêté de subvention a été transmis, c'est-à-dire après caducité de l'autorisation au titre de la loi sur l'eau. Bien évidemment, comme j'avais annoncé que je poserais cette question, cette situation kafkaïenne a été réglée en quelques jours, et j'en rends hommage au Gouvernement et à l'administration préfectorale.
J'appelle l'attention du Gouvernement sur ce point depuis plusieurs années, notamment sur les questions relatives au financement de l'eau et de l'assainissement, et je pourrais vous donner de nombreux exemples du même type qu'il conviendrait d'examiner attentivement en faisant preuve d'un peu d'objectivité en la matière. J'avais suggéré que la Cour des comptes soit saisie d'un rapport d'exécution du PEI au bout de cinq ans, ce qui permettrait de savoir où l'on en est. Je ne prétends pas avoir raison sur tout, mais on ne peut contester les résultats obtenus après une analyse financière et comptable.
M. le président. La parole est à M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le député, c'est avec la plus grande courtoisie que je veux souligner que les faits semblent démentir votre affirmation selon laquelle le bilan de l'exécution du programme exceptionnel d'investissement pour la Corse serait insignifiant. Votre question apparaît donc en complet décalage avec la réalité.
La première convention d'application du PEI, signée le 26 octobre 2002, s'est achevée le 31 décembre 2006. Le montant total des 186 opérations programmées s'est élevé à 486,8 millions d'euros, soit 5 millions d'euros de plus que le total prévu dans la convention.
L'État s'est engagé avec la collectivité territoriale de Corse sur cette programmation à hauteur de 312,78 millions d'euros, soit le maximum possible, puisque sa participation ne peut excéder 70 % du montant total, remboursement du FCTVA inclus. Je rappelle que les PEI interviennent en plus des programmes normaux contenus dans les contrats de plan État-région.
En ce qui concerne les paiements, le chiffre exact de 111,7 millions d'euros à la fin 2007 doit être comparé aux engagements de l'État et non au coût total des opérations. Dès lors, le taux de couverture n'est pas de 7,5 % mais de 35,7 %. À la fin de 2007, toutes les factures déposées avant la clôture de l'exercice avaient été honorées.
Vous le savez, monsieur le député, une deuxième convention d'application du PEI a été signée le 4 mai 2007. Elle porte sur la période 2007-2013, soit sur sept ans, et prévoit un montant total d'investissements de 1 051 millions d'euros s'ajoutant aux programmes normaux liés au contrat de plan. Elle marque une forte accélération du rythme de programmation. À ce jour, 66 opérations ont déjà été programmées sur cette deuxième convention, pour un montant de 141 millions d'euros.
Par ailleurs, je vous rappelle que les moyens consacrés au PEI pour la Corse en 2008 s'élèvent à 95 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 43 millions d'euros en crédits de paiement.
Votre affirmation selon laquelle l'intervention de l'Agence de financement des infrastructures de transports relève du droit commun est également inexacte. En effet, le financement du volet infrastructures de transports du PEI, alimenté par crédits budgétaires jusqu'en 2006, fait aujourd'hui l'objet d'un versement de l'AFITF au PEI en application de la loi.
Le législateur a souhaité le transfert du budget de l'État vers l'AFITF du financement des volets transports des contrats de projets État-région et des dispositifs contractuels de même nature, dont relève le PEI Corse. Il est clair que, sans le PEI, l'AFITF n'interviendrait pas en Corse.
S'agissant de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, vous ne pouvez ignorer que, depuis de début du PEI, celui-ci a pris en charge, sur crédits budgétaires, la différence entre le taux normal d'intervention de l'Agence de l'eau et le niveau exceptionnel d'intervention qui caractérise le PEI.
S'agissant enfin de l'accusation portée contre les services de l'État de " rendre impossible l'exécution des travaux ", outre que les taux d'exécution déjà mentionnés apportent une réponse claire, je ne peux que vous inviter à relire le courrier que le préfet de Haute-Corse vous a adressé à ce sujet.
Il y est écrit que, s'agissant des travaux sur la RD 81 au nord de Saint-Florent évoqués dans votre question, le conseil général de Haute-Corse n'a saisi le préfet que le 21 décembre 2007 d'une demande de prorogation de la durée de validité de l'arrêté du 29 novembre 2005 portant autorisation de travaux au titre du code de l'environnement. " Outre que cette requête aurait pu intervenir avant la fin de validité, elle fera, après instruction, l'objet d'une décision favorable qui vous parviendra dans les prochains jours ", précise très clairement le préfet dans sa lettre.
Tels sont les éléments de réponse que je suis en mesure de vous donner aujourd'hui.
M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.
M. Paul Giacobbi. Monsieur le secrétaire d'État, je connaissais la teneur de la réponse qui m'est faite et répétée. Je tiens néanmoins à souligner que l'expression " opérations programmées ", en droit français, ne veut rien dire : mon collègue Dolez et moi-même pouvons nous mettre dans un coin et programmer 1 milliard de crédits, cela n'engage à rien.
L'État a certes engagé 312 millions d'euros. L'ennui, c'est qu'il n'y a pas assez de crédits de paiement. D'ailleurs, les chiffres sont incohérents : si 111 millions d'euros payés par l'État représentent 7,5 % du total des paiements du programme, ou même 35 % selon vous, il est alors impossible que le financement moyen atteigne 70 %.
Vous avez ajouté que, fin 2007, les factures déposées ont été honorées. C'est juste - je suis d'ailleurs assez intervenu, ici et ailleurs, pour accélérer les choses - mais avec six mois à un an de retard en moyenne. C'est ce que l'on ne dit pas.
Je ne veux pas de polémique, monsieur le secrétaire d'État, mais vous déclarez que, sans le PEI, il n'y aurait pas de financement de l'AFITF en Corse. Je ne comprends pas très bien pourquoi, en Corse, il faudrait un PEI pour faire ce que l'Agence fait ailleurs dans un cadre ordinaire.
En définitive, je me borne à signaler certains problèmes de discipline budgétaire. Que le Gouvernement saisisse donc la Cour des comptes pour faire le point sur l'exécution. Elle nous mettra tous d'accord et je serai le premier à me ranger à son avis.
Auteur : M. Paul Giacobbi
Type de question : Question orale
Rubrique : Eau
Ministère interrogé : Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales
Ministère répondant : Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 mars 2008