établissements
Question de :
M. Bernard Cazeneuve
Manche (5e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche
M. Bernard Cazeneuve interroge M. le ministre de la défense. Comme il a eu l'honnêteté de le reconnaître, la situation financière de son ministère est critique. Face à cette réalité, un certain nombre d'arbitrages douloureux devraient affecter la défense. Ils auront lieu principalement dans trois cadres: celui du Livre Blanc, chargé d'établir les objectifs stratégiques de la France, et les moyens de les mettre en oeuvre ; celui de la revue de programmes qui, en fonction des conclusions du livre blanc et des arbitrages du Président, permettra de faire des choix de capacités ; enfin, la révision générale des politiques publiques servira de base aux mesures de restructuration. Sur la base de constats sévères, cette réorganisation portera principalement sur les effectifs, l'organisation interarmées et sur la baisse du nombre d'implantations sur le territoire. C'est sur ce dernier point, et plus particulièrement sur l'objectif de concentration géographique de nos forces, qu'il souhaite obtenir des précisions. D'abord sur le climat général que fait peser sur nos territoires l'opacité de ces démarches, ensuite sur la situation particulière du Cotentin et de Cherbourg. L'absence d'information et l'impact pour les territoires des décisions attendues, engendrent un profond malaise, partagé par les armées, les élus, les entreprises et les travailleurs, qui assurent chaque jour l'excellence de notre outil de défense. D'autre part, on peine à comprendre la cohérence qui existe entre une réduction drastique du nombre d'implantations et les conclusions du livre blanc qui insistent sur le caractère diffus de la menace qui pèse sur notre territoire. Pour ce qui est de Cherbourg, la base navale, la direction des travaux maritimes, les services de soutien à la flotte et l'école des fourriers, vivent quotidiennement sous le joug de cette menace. 400 emplois sont concernés et ils s'ajouteraient au transfert déjà en cours du service historique de la marine. Les implantations de la marine nationale à Cherbourg ont été fortement redimensionnées à la baisse ces dernières années. Le transfert de la flottille du nord vers Brest en 1992 (500 marins) et la fermeture de l'hôpital des armées René Le Bas en 2002 (250 emplois) en sont les exemples les plus marquants. À terme, cela pourrait même remettre en cause la présence de la marine nationale, qui ne disposerait plus des infrastructures indispensables à son bon fonctionnement. Ainsi, le bassin cherbourgeois a déjà été fortement fragilisé par les réorganisations qui ont eu lieu ces 15 dernières années, tant dans la marine nationale qu'à la DCNS. Les efforts de ré-industrialisation et de réorganisation économique commencent à porter leurs fruits et seraient réduits à néant par de nouvelles amputations. Cela, la RGPP ne peut pas l'ignorer, et une volonté sans nuance, de concentration géographique de nos forces, ne peut être le seul moteur d'une évolution si radicale de notre outil de défense. Le ministre a eu l'occasion de dire que le rôle du ministère de la défense n'était pas de faire de l'aménagement du territoire. Nous aimerions penser qu'il ne sera pas non plus d'organiser le déménagement de nos bassins d'emplois. Avec la très récente mise à l'eau du Terrible, le pôle maritime et navale constitué autour de Cherbourg, a prouvé une fois encore son excellence, et son attachement profond à la tradition militaire de son territoire. Aussi, il souhaite attirer son attention sur l'impérieuse nécessité de préserver le Cotentin de toute nouvelle réorganisation militaire. Il aimerait également qu'il puisse apporter des précisions sur les mesures compensatoires prévues pour les bassins d'emploi menacés par ces arbitrages.
Réponse en séance, et publiée le 9 avril 2008
PERSPECTIVES DES INFRASTRUCTURES MILITAIRES
DANS LE COTENTIN
M. Bernard Cazeneuve. Monsieur le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants, ma question concerne la situation de nos forces armées à Cherbourg et dans le Cotentin.
À l'occasion de l'élaboration du Livre blanc sur la défense, nous sommes en pleine réflexion sur le nouveau format de nos implantations militaires et de nos équipements. À ce titre, Cherbourg est doublement concerné. D'une part, la marine nationale y est historiquement très présente. D'autre part, l'arsenal de Cherbourg, où vous étiez il y a quelques jours avec le Président de la République, contribue à la construction des bâtiments les plus prestigieux et les plus performants, du point de vue technologique, de la Force océanique stratégique, nos sous-marins.
À l'occasion des dernières opérations de restructuration de la défense, Cherbourg a beaucoup donné. Deux exemples suffiront à montrer que ces restructurations ont durement touché notre bassin d'emploi. En 1992, le départ de Flonord, la Flottille du Nord, qui concourait à l'exercice par l'État de ses missions en mer, s'est traduit par la délocalisation de près de 500 emplois. Au début des années 2000, la fermeture de l'hôpital maritime a entraîné la suppression de 250 emplois. Dans un tel contexte, auquel s'ajoutent de très importantes difficultés industrielles - de la récente fermeture de Sanmina, avec 300 emplois supprimés, aux difficultés rencontrées par diverses entreprises au cours des dernières années, comme les Constructions mécaniques de Normandie, en passant par la déflation continue des effectifs de la Direction des constructions navales -, vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'État, que la révision générale des politiques publiques, dans laquelle le Gouvernement s'est engagé, pose question et suscite d'énormes inquiétudes dans le bassin d'emploi.
Aujourd'hui, la présence de la marine nationale à Cherbourg, c'est 2 300 emplois, dont 800 emplois civils. À l'école des fourriers, établissement interarmées situé sur le territoire de la commune de Querqueville, 600 à 700 élèves sont présents en permanence. Nous avons constaté, au cours des dernières semaines, que le ministère de la défense a dépêché à Cherbourg de nombreux observateurs et contrôleurs pour préparer la révision générale des politiques publiques. Aucun d'eux n'a estimé nécessaire de rendre visite aux élus, notamment aux parlementaires membres de la commission de la défense, pour préparer avec eux les décisions ou pour les tenir informés des décisions qui se préparaient. Est-il normal de tenir ainsi la représentation nationale à l'écart de décisions aussi importantes et qui la concernent directement ?
Que comptez-vous faire, par ailleurs, de services qui semblent menacés et qui pourraient, si vous confirmiez vos intentions, entraîner la suppression de 400 emplois ? Je pense à ce qui se prépare pour les travaux maritimes ou pour le service historique de la marine, aux réorganisations qui pourraient concerner la base navale ou l'école interarmées des fourriers, et à toutes les décisions qui pourraient être prises à l'issue de la revue générale des programmes, en termes de déflation d'effectifs au sein de la Direction des constructions navales.
Monsieur le secrétaire d'État, Cherbourg a déjà beaucoup donné et n'entend pas donner davantage, tant sont grandes les difficultés du bassin d'emploi et les tensions au sein de certaines industries majeures pour l'avenir de Cherbourg. Comme je l'ai indiqué au Président de la République à l'occasion de cette visite, l'ensemble des élus considèrent qu'il serait juste et normal que la ville soit épargnée par les décisions que vous entendez prendre ou que vous vous apprêtez à prendre. Je voudrais savoir quelles sont véritablement vos intentions à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État chargé de la défense et des anciens combattants.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État chargé de la défense et des anciens combattants. Monsieur le député, même lorsqu'on la considère vue de Cherbourg, la réforme en préparation s'inscrit dans un cadre précis : il s'agit, d'une part, de financer des programmes d'armement dans le cadre d'un budget constant et, d'autre part, d'adapter et de moderniser le format des armées, notamment par l'interarmisation et la rationalisation du stationnement de nos forces.
Si, à ce jour, des orientations sont prises en ce qui concerne les mesures de restructuration, aucune décision n'est arrêtée. Il est encore prématuré de se prononcer, dans la mesure où les conclusions du Livre blanc sur la défense n'ont pas encore été rendues : nous en sommes à la fin de ce travail. Toutefois, je puis d'ores et déjà dire que la situation particulière de Cherbourg est examinée avec le plus grand soin. Dans un contexte que vous connaissez bien - le trafic maritime en Manche et en Mer du Nord est en forte croissance -, l'action de l'État en mer, conduite sous l'autorité du préfet maritime, revêt une grande importance pour la sécurité de nos approches maritimes et ne saurait être raisonnablement revue à la baisse.
Vous avez évoqué la révision générale des politiques publiques et la création de bases de défense destinées à rationaliser les moyens de soutien des emprises de défense. On peut dire que Cherbourg sera vraisemblablement érigée en base de défense. Son organisation s'inscrit d'ailleurs déjà dans les principes de fonctionnement de ces futures bases de défense. Vous avez en quelque sorte une longueur d'avance.
L'école des fourriers donne satisfaction. Elle s'est récemment interarmisée et son fonctionnement a été rationalisé. Il n'est donc pas question de la remettre en cause aujourd'hui.
Enfin, alors que s'achève le chantier du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d'engins, le Terrible - auquel vous avait fait allusion -, la découpe des premières tôles du sous-marin nucléaire d'attaque Suffren doit vous conforter quant à l'avenir de l'arsenal. Lors de sa récente visite, le Président de la République a rencontré les syndicats et a exposé la logique de la démarche. L'entretien, auquel j'ai assisté, a été assez constructif pour l'avenir. Les savoir-faire détenus à Cherbourg sont essentiels à l'autonomie stratégique de la France, et nous ne les perdrons pas. Dans l'attente des choix qui seront prochainement arrêtés par le Président de la République, Hervé Morin et moi-même sommes soucieux d'associer les parlementaires et, plus généralement, les élus locaux, à la mise en oeuvre de cette réforme indispensable à la sécurité du pays.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeneuve.
M. Bernard Cazeneuve. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État. Les déclarations d'amour à Cherbourg, c'est bien. Les preuves d'amour, c'est mieux. Je voudrais relever quelques points précis de votre réponse.
Vous souhaitez financer les programmes à budget constant, mais le ministre de la défense en personne dit que c'est impossible, car il constate un décalage de près de 40 % entre les budgets prévus et les programmes annoncés. Le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, qui, ayant été rédigé par un député de l'UMP et par un député socialiste, n'est pas suspect d'être partisan, aboutit aux mêmes conclusions. Le financement à budget constant des programmes de la défense est donc un exercice rigoureusement impossible. Le ministre Hervé Morin l'a dit lui-même devant la représentation nationale et devant la commission de la défense, et je me demande bien comment vous parviendrez à accomplir cet exercice. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous souhaitons qu'un certain nombre de programmes engagés, tel le programme Barracuda, qui doivent être sanctuarisés parce qu'ils relèvent de la colonne vertébrale de notre politique de défense - la dissuasion -, soient maintenus, qu'on ne touche ni à leur calendrier ni au nombre de leurs bâtiments.
Par ailleurs, vous indiquez que l'école des fourriers s'est déjà adaptée et doit être maintenue. Je partage tout à fait votre sentiment, et c'est pourquoi je m'inquiète de voir des contrôleurs généraux des armées venir à Cherbourg expliquer aux salariés de cette école que ses effectifs de permanents pourraient diminuer de soixante à soixante-dix personnes. Je souhaite que ces contrôleurs généraux des armées s'en tiennent à ce que vous venez de dire sur la nécessité de ne pas toucher à cette école qui a déjà été très rationalisée.
Enfin, vous insistez sur l'importance des moyens de l'État en mer. Je vous redis, monsieur le secrétaire d'État, que nous avons déjà beaucoup donné, que Cherbourg voit transiter au large du Cotentin 20 % du trafic mondial en matières dangereuses et qu'il n'y a pas de compatibilité entre les réductions du format de la marine à Cherbourg et le maintien des missions de l'État en mer dans ce port.
Auteur : M. Bernard Cazeneuve
Type de question : Question orale
Rubrique : Défense
Ministère interrogé : Défense
Ministère répondant : Défense
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 avril 2008