Question de : M. Alain Bocquet
Nord (20e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine

M. Alain Bocquet attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la prescription quinquennale en matière civile et sur les conséquences qu'elle peut avoir sur les victimes de l'amiante ayant subi un préjudice d'anxiété. Ces victimes peuvent être indemnisées dès lors qu'elles ont travaillé au sein d'un établissement ayant été classé comme site « ACAATA » mais la quasi-totalité des sites concernés ont été classés comme tels antérieurement à l'instauration de la prescription quinquennale le 19 juin 2008. De nombreuses victimes qui n'ont pas eu la possibilité de « monter » un dossier d'anxiété avant le 17 juin 2013, ou qui n'avaient pas la connaissance de cette loi, seront ainsi privées de leur droit d'accéder à la réparation du préjudice d'anxiété tels nombre d'anciens salariés de Ducellier-Valéo-Etaples. Dans une réponse du 19 décembre 2012 à une question d'une parlementaire au Sénat, le ministère a précisé que le « préjudice d'anxiété dont elles peuvent souffrir est réparable depuis les arrêts du 11 mai 2010 de la chambre sociale de la Cour de Cassation ». Il lui demande de considérer la prescription quinquennale à compter de cette date.

Réponse publiée le 13 mai 2014

La garde des sceaux, ministre de la justice, est particulièrement sensible à la nécessité d'apporter une réponse juste et efficace aux demandes légitimes des victimes du drame de l'amiante. À cet égard, les règles de prescription applicables aux actions en réparation ne paraissent pas, en l'état du droit, de nature à mettre en péril la situation de ces victimes. En effet, il convient de rappeler que ces règles diffèrent selon que le préjudice allégué résulte ou non d'une atteinte corporelle. Lorsqu'un préjudice tel que le préjudice d'anxiété est la conséquence d'une pathologie déclarée, la prescription de l'action en réparation est de dix ans en application de l'article 2226 du code civil, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, et selon lequel « l'action en responsabilité née à raison d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel [...] se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ». Le point de départ de ce délai étant la date de la consolidation du dommage, en pratique l'action de la victime pourra être engagée, dans bien des cas, plus de dix ans après l'apparition de la pathologie. En revanche, lorsqu'une personne exposée à l'amiante subit un préjudice spécifique d'anxiété qui ne résulte d'aucune atteinte à l'intégrité physique, l'action en réparation est soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil et selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Si ce « préjudice spécifique d'anxiété » n'a été véritablement consacré par la jurisprudence qu'après la réforme de la prescription issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, par un arrêt en date du 11 mai 2010, il résulte des règles issues de la loi du 17 juin 2008, précitée, que la prescription ne court pas contre celui qui n'est pas à même d'agir, en particulier parce qu'il ignore avoir été contaminé. Or le juge a un large pouvoir d'appréciation pour mettre en oeuvre ce principe, tant s'agissant des faits nécessaires à l'exercice du droit que s'agissant de leur connaissance par son titulaire. Il doit apprécier, au cas par cas, en fonction des éléments produits aux débats et de la situation individuelle de chacune des victimes, la date à retenir pour faire courir ce délai de prescription en envisageant également les faits qui seraient susceptibles d'interrompre ou de suspendre la prescription, ou d'en reporter le point de départ. Notamment, il résulte des dispositions de l'article 2241 du code civil que la demande en justice, telle que la constitution de partie civile dans le cadre d'une information pénale, interrompt le délai de prescription, même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. Dans ces conditions, et sans préjuger des décisions qui pourraient être rendues à l'avenir, on ne peut considérer que l'ensemble des actions en réparation de ce préjudice d'anxiété sont prescrites depuis le 17 juin 2013. De même, instaurer un point de départ fixe du délai de prescription à compter du 11 mai 2010, date de la décision rendue par la Cour de cassation, ne serait pas nécessairement plus favorable aux victimes puisque le juge ne pourrait plus reculer ce point de départ en fonction des éléments de chaque dossier. S'il n'apparaît donc pas nécessaire de prévoir une nouvelle règle de prescription dérogatoire au bénéfice des victimes de l'amiante, il demeure en revanche essentiel de veiller à l'information des personnes concernées, pour qu'elles soient en mesure de faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais. .

Données clés

Auteur : M. Alain Bocquet

Type de question : Question écrite

Rubrique : Risques professionnels

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 5 novembre 2013
Réponse publiée le 13 mai 2014

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