Question de : M. Jean-Claude Buisine
Somme (3e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

M. Jean-Claude Buisine attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la procédure d'ivresse publique et manifeste (IPM). Suivant cette dernière, les policiers ou les gendarmes interpellent la personne concernée, puis la conduisent à l'hôpital, où elle est examinée. Le plus souvent, il est délivré un bulletin de non-hospitalisation attestant que son état est compatible avec sa rétention. Les forces de l'ordre sont alors autorisées à placer la personne en cellule de dégrisement et à lui infliger une amende. En revanche, il n'existe aucune obligation de réaliser un test d'alcoolémie à cette occasion, l'état d'imprégnation alcoolique de la personne interpellée relevant de la libre appréciation des forces de l'ordre. Une telle carence introduit une part de subjectivité, voire d'arbitraire dans cette procédure. C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir lui dire si un dépistage d'alcoolémie est entrepris lors de ces examens médicaux.

Réponse publiée le 20 mai 2014

L'infraction d'ivresse publique et manifeste est prévue par les articles L. 3341-1 et R. 3353-1 du code de la santé publique et constitue une contravention de la 2e classe. Dans sa décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, le Conseil Constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, et a considéré que le placement en chambre de sûreté relevait de la police administrative. Ce cadre juridique respecte également les exigences de l'article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Les éléments constitutifs de l'infraction ont été précisés par la jurisprudence. « L'ivresse manifeste est un fait matériel qui peut être constaté à l'aide du témoignage des sens, sans qu'il soit nécessaire que le rapport qui l'atteste relate à l'appui des signes particuliers » (Cass. crim. , 24 avril 1990). L'ivresse « manifeste » constitue un fait matériel qui s'exprime dans le comportement de la personne, se produit aux yeux de tous et peut être constaté par tous. Si sa constatation ne s'appuie pas sur une mesure de l'alcoolémie, elle est donc appréciée de manière objective par les forces de l'ordre. Policiers et gendarmes fondent leur appréciation sur des critères issus des effets couramment constatés de la prise excessive d'alcool (comportement, regard, élocution, explications, équilibre, etc.) et donc sur des éléments factuels concernant l'état de l'individu. La Cour de cassation juge d'ailleurs que « les procès-verbaux dressés par les officiers ou agent de police judiciaire font foi jusqu'à preuve du contraire des contraventions qu'ils constatent ; la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoin » (Cass. Crim. , 22 mai 2013). Un dépistage d'alcoolémie serait contraire à l'esprit de la mesure. L'article L3341-1 du code de santé publique ne sanctionne pas le dépassement d'un seuil d'alcoolémie, mais un état comportemental pouvant avoir des conséquences sur l'ordre public et pour la personne concernée. Il convient en effet de distinguer taux d'alcoolémie et effets de l'alcool. Au-delà des différences physiologiques entre hommes et femmes, la vitesse d'absorption de l'alcool varie également en fonction de nombreux facteurs : nature de la boisson, sujet à jeun ou pas, corpulence, prise de médicaments, fréquence de la consommation d'alcool, etc. Ainsi, deux personnes présentant un taux d'alcoolémie semblable peuvent ne pas réagir de la même manière, et donc ne pas présenter le même risque pour l'ordre public et pour elles-mêmes. Il s'ensuit que l'instauration d'un taux d'alcoolémie empêcherait les forces de l'ordre de préserver utilement l'ordre public, puisqu'un individu présentant un taux d'alcoolémie faible, mais provoquant chez lui agressivité et violence, ne pourrait pas être placé en sécurité le temps de son dégrisement. Par ailleurs, si les buts de la mesure d'ivresse publique et manifeste ne sont pas édictés par l'article L. 3341-1 précité, ils l'ont été par la jurisprudence. L'individu trouvé ivre sur la voie publique est conduit dans un local de police ou de gendarmerie ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenu jusqu'à ce qu'il ait recouvré la raison. Cette mesure permet de prévenir les atteintes à l'ordre public (infractions, nuisances...), et de protéger la personne dont il s'agit et qui, indépendamment du taux d'alcoolémie, peut représenter un danger pour elle-même. Il doit d'ailleurs être rappelé que les forces de l'ordre ont le devoir de porter assistance à une personne en danger. La mesure est encadrée par deux circulaires du ministère de la santé des 16 juillet 1973 et 9 octobre 1975, qui prévoient un « bilan médical exact » afin d'apprécier si l'état de santé de la personne est compatible avec un placement en chambre de sûreté, et notamment de « déceler éventuellement certaines affections qui se manifestent par des signes analogues à ceux de l'ivresse ». Si la manifestation de l'état d'ivresse n'est pas vérifiée par dépistage ou taux d'imprégnation, elle est ainsi rigoureusement établie par des observations factuelles et comportementales effectuées avec professionnalisme par les forces de l'ordre, et par un examen clinique effectué par un praticien médical.

Données clés

Auteur : M. Jean-Claude Buisine

Type de question : Question écrite

Rubrique : Ordre public

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 19 novembre 2013
Réponse publiée le 20 mai 2014

partager