Question de : M. Jean-Jacques Candelier
Nord (16e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine

M. Jean-Jacques Candelier interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le débat suscité par le 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales. Cette disposition de réquisition des salariés, issue de l'article 3 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, débouche sur un débat juridique subtil et une jurisprudence complexe car elle touche à la liberté fondamentale qu'est le droit de grève. Il lui demande si l'interprétation des différentes juridictions françaises, internationales et européennes ne fragilise pas juridiquement le 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales.

Réponse publiée le 19 novembre 2013

Selon le septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Ainsi que l'a reconnu le Conseil constitutionnel, les constituants ont, en édictant cette disposition, entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle mais qu'il a néanmoins des limites. Le législateur est habilité à fixer ces dernières en conciliant la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. Le Conseil constitutionnel considère en conséquence que le législateur peut édicter des limitations pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens (n° 80-117 DC du 22 juillet 1980). La législateur a fait application de cette possibilité en modifiant, par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, dont le 4° prévoit qu'« en cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées ». Cette disposition, qui se situe dans le prolongement direct des autres mesures de police mentionnées à l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, ne fait toutefois que consacrer un droit que le préfet pourrait exercer même sans texte, en vertu de la théorie générale de la police administrative (décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003). Le pouvoir conféré au préfet par cette disposition est néanmoins strictement encadré et fait l'objet d'un contrôle rigoureux. Au plan national, le juge administratif apprécie si les mesures prises pour l'application de ces dispositions sont effectivement imposées par l'urgence et si elles sont proportionnées aux nécessités de l'ordre public (ex : CE 9 décembre 2003, Mme Aguillon et a. n° 262186). La réquisition par le préfet, sur le fondement de ces dispositions, de salariés d'un dépôt pétrolier géré par une entreprise privée était justifiée, compte tenu de l'épuisement des stocks de carburant aérien d'un aéroport et de l'incapacité de celui-ci à alimenter les avions en carburant aérien, laquelle pouvait conduire au blocage de nombreux passagers et menacer la sécurité aérienne en cas d'erreur de calcul des réserves d'un avion (CE, 27 octobre 2010, M. Lefebvre et autres, 343966). Au niveau européen, si le droit de grève n'est pas expressément reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme le déduit de l'article 11 relatif à la liberté de réunion. Elle admet des limitations à l'exercice de ce droit dès lors qu'elles sont « prévues par la loi », dirigées vers un ou des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l'article 11 que sont la sécurité nationale, la sûreté publique, la défense de l'ordre et la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d'autrui et qu'elles sont « nécessaires dans une société démocratique » pour atteindre ces buts. La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reconnaît quant à elle expressément, à son article 28, le droit à la négociation collective, qui comprend le droit, pour les travailleurs, de recourir à des actions collectives pour défendre leurs intérêts, y compris la grève. Il y est toutefois précisé que ce droit doit être exercé conformément au droit de l'Union européenne et aux législations et pratiques nationales. Enfin, au niveau international, si le droit de grève est reconnu par les organes de contrôle de l'Organisation internationale du travail (OIT) comme le corollaire indissociable du droit d'association syndicale protégé par la Convention C87 de l'OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, l'exercice de ce droit peut néanmoins être soumis à des restrictions importantes pour certaines catégories de salariés, tels que les membres des forces armées et de la police, les fonctionnaires exerçant des fonctions d'autorité au nom de l'État ou les travailleurs des services essentiels dont l'interruption mettrait en danger la population, ainsi que dans certaines circonstances, telles que les situations de crise nationale aiguë. La limitation du droit de grève telle que prévue par les dispositions de l'article L. 2215-1 4° du code général des collectivités territoriales apparaît ainsi conforme aux jurisprudences des juridictions nationales et internationales.

Données clés

Auteur : M. Jean-Jacques Candelier

Type de question : Question écrite

Rubrique : Travail

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 3 juillet 2012
Réponse publiée le 19 novembre 2013

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