Question de : M. Hervé Féron
Meurthe-et-Moselle (2e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

M. Hervé Féron attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur la réforme du marché des quotas d'émissions de carbone. Lancé en 2005, ce marché est un mécanisme majeur de l'Union européenne pour lutter contre le réchauffement climatique. En principe, si une entreprise dépasse le plafond annuel d'émissions de carbone auquel elle est autorisée, elle doit acheter les quotas d'une autre entreprise qui a émis moins de carbone que le niveau autorisé. Ce système doit donc inciter les industriels à investir dans des technologies plus respectueuses de l'environnement plutôt que de devoir racheter des quotas. Or ce marché du carbone, qui concerne près de 12 000 installations industrielles responsables de la moitié des émissions polluantes de l'Union européenne, n'a pas fonctionné aussi bien que prévu. En effet, l'offre excessive de quotas et les effets de la crise économique, qui a fait chuter les émissions industrielles de CO2, ont entraîné une diminution du prix du carbone à des niveaux très bas (5 euros la tonne aujourd'hui, contre 27 euros en 2008). Cette situation n'incite pas les industriels à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, en décembre 2013, le Parlement européen a voté le gel de 900 millions de tonnes de quotas de carbone jusqu'à 2020, afin de mieux encourager les entreprises à investir dans l'innovation faible en carbone. À plus long terme, l'Union européenne veut réformer en profondeur le marché du carbone dans le cadre du paquet énergie-climat 2030, qui fixera les orientations de l'UE en matière énergétique et climatique pour l'après 2020. La France est mobilisée sur ce dossier d'une grande importance sur le plan communautaire mais également national ; en début d'année, les anciens ministres de l'économie et de l'environnement ont confié une mission à un économiste français et inspecteur général des finances, pour déterminer la position de la France sur le paquet climat 2030, notamment sur la réforme du marché du carbone. Or la proposition présentée par l'Union européenne de création d'une « réserve » de quotas, avec pour objectif de stabiliser le marché, est critiquée par la chaire économie du climat. La chaire craint que le mécanisme de stabilité du marché carbone, qui devrait reposer sur la gestion d'un « robot » (en fonction de la liquidité du marché, un plafond ou un plancher déclencheront le gel ou la libération de quotas), ne soit pas optimal. En effet, il serait source d'instabilité des prix, et peu compatible avec le besoin de visibilité à long terme des industriels. Il demande si elle peut lui donner des informations sur les conclusions du rapport, remis à la fin du mois de février 2014, sur le paquet énergie-climat 2030, et plus précisément sur les modalités de la réforme du marché du carbone.

Réponse publiée le 24 juin 2014

Les difficultés actuelles du marché carbone européen (EU ETS) font parties intégrantes des préoccupations du Gouvernement. L'atteinte des objectifs de long terme requérant une modification importante de l'économie, et par conséquent un changement dans les décisions d'investissement qui doivent tenir compte de cette contrainte environnementale, la question de la meilleure façon d'envoyer le signal de long terme est primordiale. Dans le cas de l'EU ETS, si le plafond devient peu ambitieux du fait de facteurs exogènes au système d'échange de quotas, cette mécanique peut conduire à un effondrement des prix résultant en une forte baisse du niveau de contrainte qui ne serait plus correctement liée à l'ambition. Dès lors, la capacité du système d'échange de quotas à favoriser les investissements nécessaires à l'atteinte des objectifs de long terme peut être remise en question. Il est donc nécessaire de permettre une conciliation entre la capacité à conserver un niveau incitatif de contrainte dans le temps (résilience de la contrainte) et la prévisibilité du plafond. Depuis 2010, l'idée d'intervenir sur le marché carbone européen a été mentionnée à plusieurs reprises. La Commission européenne a proposé en juillet 2012 une mesure de court terme (« Backloading ») consistant à rééchelonner la quantité de quotas à mettre aux enchères sur la phase III (à hauteur de 900 millions de quotas). Cette mesure a été soutenue par la France comme première étape avant des réformes structurelles. Suite au vote de cette mesure de court terme, la Commission a publié en janvier 2014 une proposition de réforme de l'EU ETS en parallèle de la publication du livre blanc pour un cadre énergie climat à horizon 2030 en janvier 2014. Celle-ci consiste à mettre en place une réserve de stabilité du marché EU ETS. Compte tenu du calendrier, la mission menée conjointement par l'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) appuyés par des experts des services a donc spontanément axé ses travaux sur l'option de réserve de stabilité du marché. La mission a mené un travail approfondi et, à ce jour, unique en Europe auprès de nombreux experts (États membres, Commission, banques, industriels, énergéticiens etc.) et des simulations ont notamment été faites en utilisant le modèle Zephyr développé par la Chaire économie du climat. Les conclusions de ce rapport servent de base à la construction de la position française sur les réformes structurelles à apporter à l'EU ETS. En l'occurrence, les autorités françaises estiment que l'EU ETS doit être consolidé pour créer des incitations appropriées, en fonction, entre autres, de l'activité économique et des résultats attendus ou obtenus grâce aux instruments de la politique énergie climat européenne de manière à assurer la cohérence globale de cette politique dans la durée. La réforme structurelle doit introduire des mécanismes pour protéger l'EU ETS contre des événements imprévus et appliquer des incitations appropriées pour financer les investissements bas carbone. Elle doit permettre à l'EU ETS d'être plus stable, plus efficace tout en restant prévisible. À ce titre, il apparaît nécessaire, en vue de redonner à l'EU ETS un rôle significatif dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et surtout dans l'incitation aux investissements dans les technologies sobres en carbone : d'une part de renforcer les objectifs assignés via cet outil sur le moyen et long terme, à travers, entre autres, l'adoption rapide d'un nouvel objectif de réduction à 2030 ; d'autre part de réduire le surplus actuel que connaît l'EU ETS afin que soient envoyées plus rapidement aux assujettis des incitations cohérentes avec la trajectoire 2050, notamment un signal prix. Les autorités françaises soutiennent le principe de la proposition de la Commission de mettre en place une réserve de stabilité. Celle-ci pourrait par ailleurs gagner à prendre en compte les aspects suivants : - La réserve de stabilité du marché telle que proposée remplit plus rapidement la réserve qu'elle ne la vide ; cette asymétrie peut aboutir à une pénurie d'offre de quotas sur le marché alors que la réserve n'est pas vide. Il pourrait donc être envisagé d'adopter une formule de versement et de retrait de quotas dans la réserve plus symétrique pour permettre d'atteindre plus rapidement une situation d'équilibre et de limiter les interventions de la réserve. - Les seuils de déclenchement de la réserve pour retirer ou remettre les quotas sur le marché tels que proposés par la Commission européenne apparaissent en deçà des besoins du marché au regard des stratégies d'épargne des acteurs et notamment des besoins en couverture des électriciens. Il pourrait être envisagé de prévoir des seuils plus élevés pour permettre au mécanisme d'être adapté à la demande d'épargne des assujettis et d'éviter une hausse trop importante du prix du carbone en phase IV. - La proposition implique un décalage d'action dans le temps. Pour réduire ce décalage, il pourrait être étudié la possibilité d'ajuster le règlement enchères spécifiant les règles encadrant la publication du calendrier des enchères, et d'autoriser des adaptations en cours d'année après la publication des émissions réalisées l'année N-1 en juin de l'année N, afin de permettre au mécanisme de réserve de s'adapter dès le second semestre de l'année N au surplus de quotas en circulation existant en année N-1. - Les caractéristiques et les fondamentaux du marché sont susceptibles d'évoluer dans un sens non anticipé. Une observation du dispositif devrait être adjointe pour réaliser un retour d'expérience et assurer une revue du dispositif plus régulière que celle proposée par la Commission afin de suivre au plus près l'évolution du marché du carbone. En plus de la fixation d'objectifs 2030 ambitieux, ces améliorations de la proposition de réserve de stabilité du marché pourraient permettre de répondre aux inquiétudes relatives au marché carbone européen, de contribuer utilement à le protéger contre des chocs non anticipés et d'instaurer la résilience de la contrainte nécessaire à la stimulation des investissements dans les technologies bas carbone pour les acteurs du marché.

Données clés

Auteur : M. Hervé Féron

Type de question : Question écrite

Rubrique : Déchets, pollution et nuisances

Ministère interrogé : Écologie, développement durable et énergie

Ministère répondant : Écologie, développement durable et énergie

Dates :
Question publiée le 27 mai 2014
Réponse publiée le 24 juin 2014

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