Question de : M. Yves Censi
Aveyron (1re circonscription) - Les Républicains

M. Yves Censi attire l'attention de Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement sur la protection du nom des collectivités territoriales. Les noms géographiques ne font l'objet d'aucune protection spécifique. Leur régime juridique ne se construit que par référence à deux dispositifs légaux existants : l'indisponibilité, au regard du droit des marques, pour cause d'atteinte à l'image et à la renommée de la collectivité territoriale ; l'exclusivité dont elles bénéficient pour le dépôt de leur nom en « fr » sur internet. Pour être sûre de bénéficier d'une disponibilité pleine et entière de son nom, une commune doit déposer son nom à titre de marque. Dans le cas contraire, un particulier ayant déposé comme marque de son exploitation commerciale le nom d'une commune dispose d'un véritable monopole sur le nom de cette commune qu'il peut légitimement opposer à cette dernière et à ses administrés pour empêcher son utilisation. C'est malheureusement le cas de certaines communes dans notre pays. Or, les collectivités territoriales, personnes morales de droit public, ont besoin d'identifier leurs institutions et les services qu'elles offrent à leurs administrés. Leur dénomination est le moyen principal d'y parvenir et constitue en cela un signe distinctif essentiel pour la commune. Au regard des missions de service public qui lui sont confiées, une collectivité territoriale doit pouvoir jouir, sinon d'une exclusivité, du moins d'une totale disponibilité de son nom, en étant protégée contre les actes parasitaires ou à visée exclusivement commerciale. Aussi, il lui demande de bien vouloir envisager une modification du code général des collectivités territoriales afin de consacrer la disponibilité pleine et entière des collectivités territoriales sur leur dénomination.

Réponse publiée le 9 juillet 2013

Les dispositions législatives et réglementaires en matière de propriété intellectuelle visent à protéger les détenteurs d'un droit légitime contre l'utilisation préjudiciable qui pourrait en être faite par des tiers. Pour autant, cette protection ne s'étend pas à tout usage, sans leur consentement, du contenu protégé par ce droit. Ainsi, en matière de marque, l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle définit la marque de fabrique, de commerce ou de service comme un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale, et l'article L. 713-1 du même code précise que l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés. La protection conférée par la marque est donc normalement limitée à l'objet sur lequel elle porte, comme le font ressortir les articles L. 713-3 et L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle qui : - interdisent, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, la reproduction, l'usage, l'apposition ou l'imitation d'une marque pour des produits identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ; - permettent au propriétaire d'une marque jouissant d'une renommée d'engager la responsabilité civile de l'auteur d'une reproduction ou d'une imitation de cette marque pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement que si elle est de nature à lui porter préjudice ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de la marque. Il en résulte, notamment, que le dépôt de son nom à titre de marque par une collectivité territoriale ne peut avoir pour effet de lui conférer une disponibilité pleine et entière de ce nom, quel que soit le type d'activité concerné, d'autant que l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle sanctionne de la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Un tel dépôt se justifie donc essentiellement en vue de protéger les produits et services offerts par la collectivité au public. Les dispositions relatives à la propriété intellectuelle visent ainsi à préserver un équilibre entre, d'une part, la nécessaire protection qui doit être accordée aux titulaires de droits portant sur leurs créations et/ou permettant d'identifier leur activité économique, et, d'autre part, les libertés de création et d'entreprise qui seraient bridées si une portée trop générale était accordée à ces premiers droits. Dans le cadre de cet équilibre, les intérêts spécifiques des collectivités territoriales sont pris en compte puisque l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit que ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale. La protection de ces intérêts peut également résulter des dispositions de l'article L. 711-3 interdisant l'adoption comme marque ou élément de marque d'un signe de nature à tromper le public sur la provenance géographique du produit ou du service. De même, l'article L. 45-2 du code des postes et des communications électroniques dispose que l'enregistrement ou le renouvellement d'un nom de domaine peut être refusé, ou le nom de domaine supprimé, lorsque ce nom est identique ou apparenté à celui d'une collectivité territoriale, d'un groupement de collectivités territoriales ou d'un service public local. Le juge n'hésite pas à faire utilisation de ces différentes dispositions de manière à éviter qu'un particulier ou une entreprise ne dépose ou n'utilise le nom d'une collectivité territoriale de manière inappropriée. A différentes reprises, l'utilisation du nom de telles collectivités, comme marque ou comme nom de domaine, a été sanctionnée au motif notamment d'un risque de confusion dans l'esprit du public, d'atteinte à des droits antérieurs ou de faits de parasitisme conduisant à capter indûment un trafic Internet. A titre d'exemple, la Cour de cassation a confirmé l'annulation par une cour d'appel d'une marque qui contenait un nom géographique faisant référence à une commune et au canton du même lieu situés à plus de cent dix kilomètres du lieu de fabrication des produits sur lesquels la marque était apposée, ce qui était de nature à tromper le public sur leur provenance (Cass. com. , 30 novembre 2004, n° 02-13561). Elle a, en outre, cassé l'arrêt d'une cour d'appel, considérant que cette dernière n'avait pas donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas si l'utilisation du nom d'une commune pour un site internet n'était pas source d'un trouble manifestement illicite résultant d'un risque de confusion dans l'esprit du public (Cass. com. , 10 juillet 2012, n° 11-21919). Par ailleurs, le juge d'appel a admis l'atteinte à des droits antérieurs de collectivités occasionnée par le dépôt d'une marque dans des domaines d'activités où leur dénomination géographique est reconnue (CA Paris, 12 décembre 2007, n° 06/20595 ; CA Paris, 1er février 2006, n° 04/22430) ou sanctionné le dépôt d'un nom de domaine pouvant laisser croire au public qu'il s'agissait du site officiel d'une commune (CA Montpellier, 16 octobre 2008, n° 08/00878). Enfin, une mesure visant à étendre aux produits manufacturés le bénéfice de l'indication géographique protégée, à l'instar des produits alimentaires, devrait être proposée dans le cadre d'un projet de loi sur la consommation, porté par le ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, prévu au cours de l'année 2013. Outre la défense des intérêts des consommateurs qu'elle poursuit, cette mesure sera également de nature à renforcer la protection des collectivités territoriales contre les usages abusifs qui peuvent être fait de leur dénomination.

Données clés

Auteur : M. Yves Censi

Type de question : Question écrite

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Égalité des territoires et logement

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 9 octobre 2012
Réponse publiée le 9 juillet 2013

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