mandats
Question de :
Mme Laure de La Raudière
Eure-et-Loir (3e circonscription) - Les Républicains
Mme Laure de La Raudière interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur l'application de l'article L. 432-12 du code pénal. Cet article dispose que « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction. » Dans les alinéas suivants, des exceptions à cet alinéa de principe sont prévues dans les communes de moins de 3 500 habitants. Ces exceptions concernent les « maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire ». Or, si l'interdiction visée à l'alinéa 1er concerne l'ensemble des élus, l'exception ne concerne que les élus municipaux précisément désignés : les maires, adjoints et conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire dans les communes de moins de 3 500 habitants. Si l'on comprend la volonté du législateur de créer une exception pour les élus de petites communes, on comprend difficilement pourquoi les conseillers municipaux ne sont pas concernés par cette dérogation. Aussi, elle souhaiterait connaître les raisons de cette exclusion des conseiller municipaux, et savoir si le Gouvernement envisage dans un prochain texte de modifier l'article L. 432-12 du code pénal afin de pouvoir permettre aux conseillers municipaux des villes de moins de 3 500 habitants de pouvoir bénéficier de la dérogation prévue aux alinéa 2 et suivants.
Réponse publiée le 17 mai 2016
L'interprétation des dispositions de l'article 432-12 du code pénal relatif au délit de prise illégale d'intérêts ne parait pas conforme à l'esprit du texte tel qu'il a été dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation. Certes, le système dérogatoire à l'interdiction d'ingérence n'est pas ouvert à toutes les personnes visées par l'alinéa 1er de l'article 432-12 : les seules personnes bénéficiaires sont, aux termes de l'alinéa 2, les maires, les adjoints et les conseillers municipaux délégués ou ayant reçu pouvoir d'agir en remplacement du maire, et cela seulement dans les communes comptant au maximum 3 500 habitants. Dans ces conditions, l'énumération des personnes concernées par les exceptions des alinéas 2 à 4 de l'article 432-12 vise à désigner les personnes ayant nécessairement, par leur fonction élective, un rôle de surveillance ou d'administration de l'opération, ce en raison des prérogatives dont ils disposent du fait de leur mandat ou de la délégation qui leur a été attribuée. Toutefois, la jurisprudence a admis que d'autres élus, et notamment des conseillers municipaux sans délégation, puissent également avoir un rôle de surveillance ou d'administration d'une opération, au regard des conditions concrètes dans lesquelles ils ont pu intervenir lors du processus de décision. C'est ainsi qu'il a été jugé, dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 janvier 1943, que le délit d'ingérence peut être retenu contre un conseiller municipal membre d'une commission des travaux, qui avait fait agréer par le conseil municipal des plans et devis pour des travaux dont, ensuite, en sa qualité d'architecte rémunéré, il devait surveiller l'exécution : le prévenu n'avait pas pris la décision, mais il avait proposé à l'approbation d'un organisme dont il était membre un projet qu'il avait préparé. De la même manière, dans un arrêt du 19 mai 1999, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la participation d'un conseiller d'une collectivité territoriale à un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration de l'opération au sens de l'article 432-12 du code pénal. Or, le dernier alinéa de l'article 432-12 précise les conditions dans lesquelles une opération peut être passée de sorte qu'une prise illégale d'intérêt puisse être évitée en prévoyant que « pour l'application des trois alinéas qui précèdent, la commune est représentée dans les conditions prévues par l'article L. 2122-26 du code général des collectivités territoriales [désignation d'un autre de ses membres par le conseil municipal pour représenter la commune, soit en justice, soit dans les contrats dans le cas où les intérêts du maire se trouvent en opposition avec ceux de la commune], et le maire, l'adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat. En outre, par dérogation au deuxième alinéa de l'article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos »afin d'éviter toute manœuvre suspecte et de permettre, par la transparence de l'opération, une information exacte des administrés. La Cour de cassation a dès lors jugé que la participation de l'élu à la délibération dont il devrait être absent a pour effet de rendre illégale la prise d'intérêts dont il s'agit ; mieux, elle neutralise et rend inapplicables les dispositions nouvelles plus douces qui résulteraient de l'augmentation légale du plafond démographique des petites communes ou du montant pécuniaire des opérations autorisées (Cass. crim., 4 juin 1996). Ainsi, en application des dispositions du dernier alinéa de l'article 432-12 du Code pénal, dès lors qu'il existe, pour un conseiller municipal d'une petite commune, une prise d'intérêt dans une opération, celui-ci ne doit pas participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou au processus d'approbation du contrat dans lequel il a intérêt, afin de prévenir toute illégalité. Dès lors, au regard des garanties prévues par les dispositions existantes, un projet de loi tendant à réformer ce texte ne paraît pas opportun.
Auteur : Mme Laure de La Raudière
Type de question : Question écrite
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 21 juillet 2015
Réponse publiée le 17 mai 2016