Question de : M. Hervé Féron
Meurthe-et-Moselle (2e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

M. Hervé Féron attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur le dispositif législatif relatif à la compétence universelle. Régi par les articles 689 et suivants du code de la procédure pénale, il permet aux juridictions françaises de juger les auteurs d'infractions commises hors du territoire national, à la condition qu'une convention internationale donne effectivement cette compétence à la France. Les crimes de guerre et contre l'humanité, eux, relèvent de l'article 689-11 du code de la procédure pénale, qui prévoit leur traitement par la Cour pénale internationale (CPI). La CPI, juridiction compétente pour juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l'humanité, de crime d'agression et de crime de guerre, a vu le jour avec l'entrée en vigueur du statut de Rome le 1e juillet 2002. Or la Syrie et la Corée du Nord et soixante-dix autres États dans le monde ont refusé de ratifier le statut de Rome et ne reconnaissent donc pas l'autorité de la CPI à l'heure actuelle. Par conséquent, la France ne peut poursuivre des ressortissants de ces pays, même présents sur le territoire national, sous peine de déroger aux règles d'un texte qu'elle a signé et elle-même co-rédigé. La seule façon de véritablement exercer cette compétence universelle, partout dans le monde, serait de modifier les statuts de la CPI afin d'étendre les procédures aux ressortissants de pays non-signataires, mais aussi de faire en sorte que de plus en plus d'États (États-unis d'Amérique, Chine, Inde) en deviennent membres. Il souhaiterait ainsi qu'elle lui confirme l'engagement de la France sur ce sujet au plan international. Au-delà de ce premier obstacle à la compétence universelle, M. Féron souhaitait évoquer d'autres verrous juridiques qui perdurent. Il en est ainsi de l'article 689-11 du code de la procédure pénale, qui instaure une condition de résidence habituelle de l'auteur du crime sur le sol français, ou encore le monopole du ministère public sur l'engagement d'une procédure. Ces dispositions limitent incontestablement l'exercice de la compétence universelle dans notre pays. C'est pour cela que la proposition de loi de M. le sénateur Jean-Pierre Sueur, déposée le 6 septembre 2012 sur le bureau de la Chambre haute, visait à modifier ledit article 689-11. Malheureusement, du fait du changement de majorité au Sénat, l'examen de ce texte semble avoir été suspendu. Au vu des lacunes de la compétence universelle en France, il estime nécessaire de réécrire un nouveau texte afin de procéder aux évolutions nécessaires. Il souhaiterait connaître ses intentions en la matière.

Réponse publiée le 5 avril 2016

La proposition de loi adoptée le 26 février 2013 par le Sénat a été soumise par le sénateur Jean-Pierre Sueur. Son rapport indique que le monopole des poursuites confiées au ministère public a pour effet de supprimer la possibilité pour toute partie civile, personne physique ou morale, de mettre en mouvement l'action publique pour des crimes contre l'humanité, crimes de guerre ou génocides. Il se réfère à la loi du 5 mars 2007 relative à l'équilibre de la procédure pénale qui a maintenu le principe de la mise en mouvement de l'action publique par la partie civile devant un juge d'instruction, à l'issue d'un délai de trois mois destiné à recueillir l'avis du parquet sur l'opportunité d'engager des poursuites ; il conclut que l'accès au juge pénal apparaît paradoxalement plus restreint pour les crimes contre l'humanité que pour les infractions de droit commun. Cette présentation doit être relativisée. En effet, la France connait de nombreux mécanismes de compétence extraterritoriale : la compétence dite « active », liée à la nationalité de l'auteur (article 113-6 du code pénal), la compétence dite « passive » liée à la nationalité de la victime (article 113-7 du code pénal), la compétence liée à un refus d'extradition résultant de l'article 113-8-1 du code pénal ou encore la compétence liée à une dénonciation officielle mais aussi la compétence quasi-universelle résultant de conventions internationales (ex : Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 ; Convention internationale pour la répression des attentats terroristes, ouverte à la signature à New York le 12 janvier 1998 ; Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée à New York, le 20 décembre 2006…). Ainsi, les restrictions légales apportées à la mise en mouvement de l'action publique trouvent leur cohérence dans le champ déjà très restreint de la mise en œuvre des dispositions de l'article 689-11. En effet, celles-ci ne sont susceptibles d'être actionnées que pour des faits commis à l'étranger par un auteur étranger, au préjudice de victimes dont aucune n'est française, en l'absence de demande d'extradition, en l'absence de dénonciation officielle, en l'absence de poursuite par la Cour pénale internationale et en l'absence d'applicabilité d'autres cas de compétence quasi universelle tels que des poursuites pour torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans ces conditions, en vue notamment d'assurer une cohérence de la politique pénale et de l'action des autorités judiciaires, confier le monopole des poursuites au seul ministère public apparaît nécessaire et équilibré étant précisé que, s'agissant de la mise en mouvement de l'action publique dans une procédure individuelle, le procureur de la République n'agit pas sous les ordres du ministre de la justice.

Données clés

Auteur : M. Hervé Féron

Type de question : Question écrite

Rubrique : Droit pénal

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 1er septembre 2015
Réponse publiée le 5 avril 2016

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