sécurité
Question de :
M. Bruno Le Roux
Seine-Saint-Denis (1re circonscription) - Socialiste, républicain et citoyen
Question posée en séance, et publiée le 25 juin 2015
ÉCOUTES DE LA NSA
M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, l’amitié entre les peuples a des exigences qui n’échappent pas aux règles élémentaires du respect mutuel. Les États-Unis ont dérogé à ces règles élémentaires en procédant à la mise sur écoute de trois présidents de la République successifs.
Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande sur écoute de la NSA ! Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient-ils les ennemis des États-Unis ? La France représente-t-elle pour les États-Unis un danger, une menace ? En aucune manière et à aucun titre. Le fait est qu’un système d’écoute de grande ampleur, quasi addictif, s’est emparé de la NSA après le 11 septembre 2001, ne distinguant plus amis et ennemis, écoutes de sécurité et écoutes généralisées, collecte de renseignements et envie de tout savoir.
M. Pierre Lellouche. Tout à fait !
M. Bruno Le Roux. Chers collègues, la révélation de ces faits inacceptables a provoqué une réaction normale et immédiate de la France et, dès ce matin, le Président de la République en a informé les responsables parlementaires à l’Élysée. Sur tous les bancs de cette assemblée, nous condamnons cette pratique détestable dont la gravité ne doit pas être sous-estimée. Elle est une atteinte évidente à la souveraineté de la France.
À un moment où nous affrontons des défis considérables dans la lutte contre le terrorisme et où nous devons nous-mêmes renforcer nos moyens et nos règles – c’est ce que nous allons faire cet après-midi par la loi –, les révélations de Wikileaks abîment la confiance et l’esprit de coopération qui lie la France et les États-Unis.
Monsieur le Premier ministre, lorsqu’on a un ami, on l’appelle, on ne l’écoute pas. De toute évidence, les agissements découverts ne peuvent rester sans conséquences. Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale la façon dont nous entendons assurer notre sécurité et répondre à cette grave atteinte qui a été portée à notre souveraineté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Jacques Myard, monsieur le député Bruno Le Roux, en vous répondant à tous deux, j’imagine que je réponds aussi aux autres groupes et à la plupart d’entre vous. Depuis ce matin, en effet, chacun se pose des questions légitimes.
Depuis 2013, soit déjà deux ans, la presse a eu l’occasion de distiller et de publier une partie des dossiers qu’Edward Snowden a captés au sein de la NSA. Parmi eux figure à plusieurs reprises la confirmation de l’espionnage, systématique et sur une longue durée, de dirigeants et de hauts fonctionnaires d’États étrangers. Ces pratiques ciblent des pays proches, alliés des États-Unis – il est public que le Brésil et l’Allemagne, au moins, ont été concernés.
Aujourd’hui, les documents publiés par deux journaux français en collaboration avec Wikileaks concernent la France. Ils pointent le fait que des pratiques similaires ont été conduites à l’encontre de personnalités politiques et administratives françaises pendant de longues années, et jusqu’au plus haut niveau – trois présidents de la République.
Le Président de la République a immédiatement réagi en convoquant le Conseil de défense. Il a réuni à midi les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents des commissions concernées et celui de la délégation parlementaire au renseignement, ainsi que l’ensemble des présidents des groupes politiques des deux assemblées. Cette réunion a été l’occasion, au-delà des nuances et des avis qui peuvent diverger, de mesurer et de partager l’émotion et la colère qui, dans un mouvement d’unité, étreignent l’ensemble de la représentation nationale et le pouvoir exécutif face à ces pratiques inacceptables – oui : inacceptables – émanant d’un pays ami.
Ces informations sont très graves. Ces pratiques sont anormales entre États démocratiques alliés de longue date, d’autant plus que nos deux pays portent un message universel de défense et de promotion de l’État de droit.
Non, il n’est pas légitime, au nom des intérêts nationaux, de procéder à la surveillance des communications de dirigeants politiques de ses proches alliés et de leurs collaborateurs – que ces dirigeants appartiennent d’ailleurs à la majorité ou à l’opposition, comme le Président de la République le rappelait ce matin.
Non, contrairement à certaines spéculations médiatiques, la France ne pratique pas la surveillance et le ciblage des communications des dirigeants politiques de ses partenaires européens ou de ses alliés.
Aucun dirigeant politique responsable, monsieur Myard, ne peut s’autoriser la naïveté. Dans le monde contemporain, même entre démocraties amies et proches, les intérêts nationaux restent les intérêts nationaux mais, lorsqu’on partage des valeurs communes, le respect réciproque de la souveraineté est un principe fondamental pour établir, maintenir et faire prospérer des relations de confiance pour la sécurité de nos peuples respectifs. Ces pratiques constituent donc une très grave violation de l’esprit de confiance qui doit nous animer.
Les États-Unis doivent reconnaître non seulement le danger que de tels agissements font peser sur nos libertés, mais aussi tout faire, et vite, pour réparer les dégâts que cela occasionne dans les relations entre pays alliés et entre les États-Unis d’Amérique et la France.
Si, de fait, les révélations d’aujourd’hui ne constituent une véritable surprise pour personne – ce qui ne veut pas dire, monsieur Myard, qu’il faille succomber au cynisme sur ces questions –,…
M. Jacques Myard. Oh !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …cela n’atténue en rien l’émotion et la colère : elles sont légitimes.
La France ne tolérera aucun agissement mettant en cause sa sécurité et ses intérêts fondamentaux.
Le sujet avait déjà été évoqué entre l’été 2013 et le voyage d’État du Président de la République aux États-Unis début 2014. Des explications claires et franches avaient été demandées par les autorités françaises. Des engagements avaient d’ailleurs été pris par nos alliés américains. Ils doivent être fermement rappelés et strictement respectés.
Il faut sans nul doute aller plus loin encore dans ces engagements.
M. Pierre Lellouche. Des excuses !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il est souhaitable qu’entre alliés, un code de bonne conduite soit établi en matière de renseignement et de respect de la souveraineté politique. Dans ce cadre, le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, a convoqué sans délai l’ambassadrice des États-Unis pour demander des explications officielles…
M. Pierre Lellouche. Des excuses !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …et faire directement part de la position des autorités françaises.
Le Président de la République, cela a déjà été dit, s’entretiendra dans les prochaines heures avec le président Barack Obama, afin de s’assurer que les États-Unis réitèrent des engagements clairs et précis. À sa demande, le coordonnateur du renseignement, M. Didier Le Bret, et le directeur général de la sécurité extérieure, M. Bernard Bajolet, se rendront très vite aux États-Unis pour vérifier le renouvellement et l’approfondissement de nos accords de coopération dans le domaine du renseignement.
La confiance en ce domaine, la France s’honore de la construire chaque jour. Elle conduit une coopération fructueuse avec les États-Unis contre le terrorisme, contre la prolifération des armes de destruction massive et contre les filières du crime organisé international. Cette coopération, nous l’assumons pleinement.
Mesdames et messieurs les députés, le principal enseignement que l’on doit tirer de cette affaire est que notre pays doit veiller en permanence à perfectionner les moyens dont il s’est doté pour protéger l’indépendance nationale en sécurisant le domaine des communications stratégiques, et cela bien au-delà des domaines diplomatique ou militaire.
Il faut également, et vous le savez, être capables de le faire dans le domaine du renseignement ou de la sécurité des télécommunications et de l’informatique. Ces préoccupations sont au cœur de la politique du Gouvernement.
Mesdames et messieurs les députés, la réponse de la France à ces révélations est un message de clarté et de fermeté face à ce qui n’est pas acceptable.
Notre pays est un allié loyal, qui sait ce qu’il doit aux États-Unis et au peuple américain dans son histoire,…
M. Pierre Lellouche. C'est vrai !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …mais la gratitude ne l’empêchera jamais d’être indépendant. La loyauté n’est pas l’alignement.
La mission assignée par le Président de la République au Gouvernement est de veiller en toutes circonstances à protéger la liberté de nos concitoyens, en France comme à l’étranger.
Contrairement au choix fait par d’autres pays, nous avons fait un choix clair concernant le projet de loi sur le renseignement qui vous sera soumis, pour le vote vital final, cet après-midi et qui est totalement fidèle à l’approche que nous portons. Il encadre étroitement l’ensemble des méthodes de surveillance. Il crée un outil de contrôle puissant, composé de neuf personnes indépendantes, dont quatre magistrats issus des deux plus hautes juridictions françaises et quatre parlementaires des deux chambres, dont la moitié issus de l’opposition. Un contrôle juridictionnel est institué pour l’intégralité des opérations de surveillance menées sur le territoire national et je ne laisserai pas dire que ce texte de loi pourrait mettre en cause nos libertés et que nos pratiques seraient celles que nous condamnons aujourd'hui, ici à l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
Aujourd’hui, mesdames et messieurs les députés, nous portons ici, dans un esprit d’unité nationale, l’indignation de la France et des Français et une exigence de vérité et d’explication qui doit venir au plus vite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
Auteur : M. Bruno Le Roux
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Ministères et secrétariats d'état
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 juin 2015