Question au Gouvernement n° 3154 :
lutte contre le racisme

14e Législature

Question de : Mme Ericka Bareigts
Réunion (1re circonscription) - Socialiste, républicain et citoyen

Question posée en séance, et publiée le 1er octobre 2015


DÉGRADATION DU DÉBAT PUBLIC

M. le président. La parole est à Mme Ericka Bareigts, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Ericka Bareigts. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Samedi soir, dans l'émission On n'est pas couché, la députée européenne Nadine Morano, du parti prétendument républicain, affirmait avec un aplomb sidérant que la France est un pays de race blanche. (Huées sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Pour moi, députée noire de la République, cette France décrite par Mme Morano n'est pas la mienne ! (Les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste se lèvent et applaudissent longuement.)

Cet épisode n'est que la suite d'une longue série de dérapages qui, de Patrick Devedjian à Laurent Wauquiez et de Christian Estrosi à Nicolas Sarkozy (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.), a mené une partie de la droite française à faire sauter toutes les digues au mépris de son histoire et de son héritage. Les propos de Nadine Morano ne relèvent pas de l'erreur malencontreuse mais ont été préparés, répétés et confirmés. Une torpeur, une stupeur s'abattent sur la France depuis une décennie et paralysent toute la société face à la montée de la haine de l'autre sous toutes ses formes.

M. Gérard Cherpion. Le FN, c'est vous !

Mme Ericka Bareigts. Nous, enfants de la République, qui déplorons l'excitation permanente des instincts qui semble parfois saisir les réseaux sociaux, nous qui ne pensons pas qu'il est nécessaire d'être violent pour exister, nous qui ne voulons pas que la haine de l'autre devienne le refrain entêtant du débat public, nous qui pensons que les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui fondent notre patrie ne sont pas… (Applaudissements prolongés sur les mêmes bancs. De nombreux députés du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste se lèvent.)

M. Olivier Audibert Troin. C'est le cirque, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. La question que vous posez…

M. Christian Jacob et M. Lionnel Luca. Quelle est la question ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …est grave, madame la députée Ericka Bareigts, …

M. Laurent Furst. Comme 1,2 million de chômeurs supplémentaires !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et j'y répondrai avec gravité.

La France, il faut se mettre d'accord à ce sujet, fait face à des défis gigantesques que nous ne cessons de rappeler ici…

M. Yves Fromion. Les impôts, le chômage…

M. Manuel Valls, Premier ministre. …tels que la menace terroriste, l'urgence climatique, la crise des réfugiés, l'avenir de l'Europe, le redressement économique, la lutte contre le chômage. Tous les désordres du monde, qui touchent directement ou indirectement notre pays, nécessitent une réponse de notre part, celle de la responsabilité et même du rassemblement car la France est un grand pays et son message est entendu dans le monde. Chaque homme et chaque femme, comme vous l'avez dit avec force et émotion, madame la députée, chaque citoyen naît et demeure libre et égal aux autres en droit quels que soient ses origines, ses convictions, sa religion, sa couleur de peau, son nom ou son prénom. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.)

La France c'est un idéal de citoyens qui, au-delà de tous les particularismes, se retrouvent dans un idéal commun, celui de la République. Cet idéal, il ne suffit pas de le proclamer, il faut bien sûr le faire vivre à chaque instant. Comme chacun ici, je n'accepte pas les dérapages que nous connaissons dans les débats publics et il ne faut plus les accepter, car ils nous tirent vers le bas et fracturent la société alors qu'on nous demande au contraire de prendre de la hauteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.) Il existe aujourd'hui dans notre pays une effrayante course, en forme de surenchère, à l'extrême-droite.

Mme Françoise Guégot. À qui la faute ?

M. Yves Fromion. Vous avez tout fait pour !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je mets en garde le plus solennellement possible celles et ceux qui s'y livrent. Lorsque l'on parle de race blanche, que l'on va chercher sa doctrine dans les écrits de M. Buisson, que l'on parle de fuite d'eau et du danger de millions de migrants, que l'on veut trier les gens en fonction de leur religion, que l'on publie à la une d'un magazine municipal des photos d'immigrés, prises fort loin, en prétendant qu'ils sont là, on fracture le pays, on n'est pas à la hauteur et on tourne le dos aux valeurs de ce pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.)

M. Marc Francina. Qui a armé le FN ? Mitterrand !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ceux qui alimentent la division et stigmatisent les uns comme plus français que d'autres, qui parlent de race et de couleur de peau, qui hiérarchisent et qui fragmentent, tous ceux-là n'ont rien compris à ce qu'est la nation française et ont oublié le message adressé par les Français le 11 janvier dernier ! Je resterai pour ma part fidèle au message du 11 janvier et à l'image qu'a donnée le Parlement le 13 janvier, mesdames et messieurs les députés, que je n'oublierai jamais car il s'agit d'un message d'exigence à la hauteur de laquelle il faut se placer ! (Mêmes mouvements.)

Être élu de la République, maire, député ou député européen, c'est être fidèle à ce qu'est la France, à son histoire et à ses valeurs au-delà de ce qui nous différencie dans le cadre du débat démocratique. Parce que j'aime mon pays comme vous, je ne tolérerai jamais ces outrances ! Je sais, madame la députée, toute l'émotion provoquée à la Réunion, dans nos outre-mer et tout simplement en France par ces propos insupportables et je me félicite que des décisions aient été prises à l'égard de celle qui a tenu ces propos intolérables. (Mêmes mouvements.)

M. Benoist Apparu. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous pourrions au moins, mesdames et messieurs les députés de l'opposition, nous accorder sur ce point et dire ce qui est inacceptable, en particulier toute alliance avec le parti qui prône la haine et le rejet et dont les dirigeants, les élus, les candidats ne cessent de tenir des propos antisémites et racistes !

M. Yves Fromion. C'est nous qui avons le courage de le faire, pas vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Marianne n'a pas de race ; elle n'a pas de couleur et aujourd'hui, madame la députée, Marianne vous l'avez incarnée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste)

Données clés

Auteur : Mme Ericka Bareigts

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Droits de l'homme et libertés publiques

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 1er octobre 2015

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