Question au Gouvernement n° 3270 :
charte européenne des langues régionales ou minoritaires

14e Législature

Question de : M. Jean-Jacques Urvoas
Finistère (1re circonscription) - Socialiste, républicain et citoyen

Question posée en séance, et publiée le 29 octobre 2015


LANGUES RÉGIONALES

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Jacques Urvoas. Hier, monsieur le Premier ministre, la seconde chambre, le Sénat, a étouffé le processus de révision de la Constitution qui devait permettre la ratification de la charte des langues régionales. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob et M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Jean-Jacques Urvoas. Pour beaucoup de ceux qui sont ici, et qui avaient voté en janvier 2014 en faveur de ce processus – je rappelle que nous étions 361 –, cela a été une triste nouvelle. Ce n'est certes pas une surprise, puisque le président du Sénat et celui du groupe Les Républicains avaient clairement annoncé leur intention de s'opposer à ce texte.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas. Mais pour nombre de nos concitoyens de Bretagne et des Antilles, de Corse et de Polynésie, d'Alsace et de Guyane, du Pays basque et de l'île de la Réunion, ce vote hostile aux langues régionales restera comme une gifle, comme une marque de dédain, comme une forme de mépris. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)

M. Philippe Meunier. Arrêtez de diviser la France !

M. Jean-Jacques Urvoas. Chez nos principaux partenaires européens, qui appliquent depuis des années la charte, cette frilosité sénatoriale sera interprétée comme une manifestation d'archaïsme, comme un déni de la diversité culturelle de nos territoires, comme un refus de notre richesse linguistique. (Interruptions sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il existe donc un quarteron de sénateurs qui pensent que les enfants scolarisés dans les ikastola, les comédiens qui jouent en créole, les journalistes qui travaillent à France Bleu Breiz Izel sont les vecteurs de la destruction de l'unité de la République. (Mêmes mouvements.)

Monsieur le Premier ministre, l'histoire retiendra que deux gouvernements, celui de Lionel Jospin et le vôtre, furent les seuls à s'engager pour un progrès durable, parce que constitutionnel, pour les langues régionales.

M. Jacques Myard. Et ce sera la même raclée aux élections !

M. Jean-Jacques Urvoas. Et l'histoire retiendra que ce furent Jacques Chirac et un Sénat de droite qui s'y opposèrent avec obstination.

M. Philippe Meunier. Heureusement !

M. Philippe Cochet. Vive la République !

M. Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le Premier ministre, quel est votre état d'esprit au lendemain de ce vote qui semble éteindre le processus de révision constitutionnelle que vous aviez engagé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – « Allô ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Jean-Jacques Urvoas, votre question a trait à un sujet essentiel : la conception que nous nous faisons de la nation, à la fois de sa richesse et de son unité.

La France, du fait de son histoire, rassemble sur ses territoires métropolitains et ultramarins des cultures, des paysages et des langues diverses. La France, c'est cette somme de singularités, et c'est ce qui, je le crois comme vous, fait sa force.

La France, c'est bien sûr la République, qui place au-delà de tous les particularismes l'idéal de citoyens libres et égaux en droits. Ce sont ces deux principes qui doivent nous guider : respect de la diversité et défense acharnée de la citoyenneté – et vous savez combien ces principes me tiennent à cœur.

Alors oui, comme vous, comme beaucoup dans cette assemblée, et, jusqu'à maintenant du moins, sur l'ensemble de ces bancs, je regrette profondément le choix de la droite sénatoriale,…

M. Jacques Myard. Pas nous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …un choix qui a purement et simplement empêché le débat.

M. Christian Jacob. Non, elle a eu raison !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Au moment où notre pays a besoin d'écrire une histoire qui reconnaît toutes les histoires, de partager un destin commun et un idéal ambitieux qui fait place à tous nos concitoyens, je regrette et je déplore ce qui est une faute de la droite sénatoriale.

M. Yves Censi. Ne parlez pas de la droite sénatoriale : c'est le Sénat qui a voté !

M. Sylvain Berrios. Allez dire cela aux sénateurs !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce débat nous aurait permis de montrer combien s'opposer aux langues régionales, c'est envoyer, comme vous l'avez très bien dit, un message de défiance à tous nos concitoyens, de Bretagne, du Pays basque, de Provence, de Corse, d'Alsace ou des Antilles. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Un message de défiance aussi envers ceux qui parlent alsacien, catalan, occitan, breton ou créole.

M. Claude Goasguen. Ce n'est pas vrai ! Ça n'a rien à voir !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Défiance à l'égard de tous ceux qui veulent faire vivre leur histoire et leur tradition, et tout cela au nom de la République ! Quel contresens ! C'est au contraire cette vision étriquée, petite, rabougrie qui affaiblit la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste. - Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

C'est le refus de la diversité qui stigmatise beaucoup de nos concitoyens, comme si le lien qui les unit à cette République en était moins fort. Eh bien non, et je veux le dire clairement : la ratification de la charte des langues régionales n'est pas un danger pour notre langue. (« Si ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Ce n'est pas un danger pour notre cohésion sociale et encore moins pour l'unité de notre territoire.

M. Christian Jacob. C'est un danger pour la République !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Alors oui, la droite sénatoriale – et pas seulement sénatoriale si je comprends bien – a refusé le débat. C'est un aveu de faiblesse que d'utiliser ainsi les artifices de procédure pour masquer les profondes divisions de l'opposition sur le sujet.

M. Christian Jacob. Dites-le aux sénateurs !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ici, à l'Assemblée nationale, vous l'avez rappelé, 361 députés, dont 40 du groupe Les Républicains, s'étaient prononcés en faveur de la proposition de loi que vous aviez déposée, monsieur le président Urvoas. J'imagine qu'aujourd'hui ces mêmes députés, sur tous ces bancs, ne se reconnaissent pas dans la posture adoptée par la majorité sénatoriale, et je regrette que ces voix ne se soient pas fait entendre.

M. Claude Goasguen. Les députés font ce qu'ils veulent !

M. Christian Jacob. Ils n'ont pas d'ordre à recevoir de vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais sans doute sont-elles couvertes par les cris du président Jacob. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

La France est un grand pays, notamment par sa langue. Il est hors de question de la remettre en cause et de la menacer. Au contraire, nous devons tout faire pour la promouvoir et la faire rayonner, car elle porte aussi nos valeurs dans le monde.

Alors ayons confiance en nous-mêmes. Je sais que la majorité a confiance en la France,…

M. Philippe Cochet. Vous verrez le 6 décembre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …dans son unité et dans sa diversité, et, monsieur le président, nous poursuivrons ce combat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Jacques Urvoas

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Traités et conventions

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 29 octobre 2015

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