Question au Gouvernement n° 3332 :
terrorisme

14e Législature

Question de : M. Laurent Wauquiez
Haute-Loire (1re circonscription) - Les Républicains

Question posée en séance, et publiée le 18 novembre 2015


LUTTE CONTRE LE TERRORISME

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez, pour le groupe Les Républicains.

M. Laurent Wauquiez. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Nous éprouvons tous, sur tous les bancs, un sentiment de révolte. Toute la France est en deuil. Il faut se recueillir, mais il faut surtout agir, et nous serons jugés non pas sur de grands discours, mais sur nos actions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)

Allons-nous faire subir à nos enfants ce monde de terreur ? Cela suffit. Monsieur le Premier ministre, nous n'avons que trop attendu. Il faut se tourner vers demain, mais en ayant tiré les leçons des échecs d'hier. Et il n'y a plus de place pour les demi-mesures, monsieur le Premier ministre.

Merah, Kouachi, Coulibaly, Mostefaï : ils étaient tous fichés et leur dérive islamiste connue grâce au travail de nos forces de l'ordre. Cependant, ce que personne ne comprend aujourd'hui, c'est pourquoi ces terroristes en puissance, tapis dans l'ombre, prêts à nous frapper, étaient laissés dans la nature. Il ne suffit pas de les suivre : il faut les arrêter avant qu'ils ne passent à l'acte, même si cela implique un changement profond de notre droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yannick Favennec. Très bien !

M. Laurent Wauquiez. Tous les individus fichés « S » pour radicalisation ne peuvent plus être en liberté.

M. David Douillet. Absolument !

M. Laurent Wauquiez. Expulsion des étrangers, déchéance de nationalité pour les binationaux mais aussi, et c'est le cœur du problème, centre de rétention pour ceux qui sont nés français : c'est ce que nous devons envisager aujourd'hui sans prendre le risque d'attendre. L'heure n'est plus aux arguties juridiques.

Mme Cécile Duflot. Honte à vous !

M. Laurent Wauquiez. Dès lors que vous avez décidé de changer la Constitution, il n'y a pas lieu de saisir le Conseil d’État du sujet. La question est de savoir jusqu'où nous sommes décidés à aller. Changer la Constitution pour le seul fait de la changer ne servirait à rien.

Ma question est précise, monsieur le Premier ministre : avez-vous l'intention d'appliquer ce principe de protection pour arrêter les terroristes en puissance avant qu'ils ne passent à l'acte ? Les Français veulent des mesures concrètes, ils veulent des mesures immédiates. Il faut mettre les terroristes en puissance hors d'état de nuire. Il n'y a pas de liberté pour les ennemis de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Wauquiez, je vais prendre un peu de temps et vous répondre le plus précisément possible sur l'ensemble des propositions qui ont pu être faites.

M. David Douillet. Vous prenez beaucoup de temps !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Face à la menace terroriste et au besoin de définir des moyens juridiques exceptionnels pour affronter le terrorisme de guerre, nous devons tous, et nous pouvons nous accorder sur ce point, privilégier l'intérêt national et l'efficacité concrète. Et il ne devrait y avoir de place ni pour l'invective ni pour la polémique. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Il est absolument faux de dire que les propositions de l'opposition n'ont pas été intégrées dans le travail législatif conduit ces trois dernières années. À cet égard, soyons précis et rigoureux.

Il y a d'abord les propositions qui figuraient dans le projet de loi élaboré par le gouvernement de François Fillon en avril 2012 à la suite des crimes commis par Mohammed Merah en mars 2012. Afin d'en renforcer la répression, les délits de provocation à la commission d'actes terroristes et d'apologie du terrorisme ont été transférés de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal et différents dispositifs judiciaires ont été prévus. Parce que nous savons que la radicalisation a lieu sur internet, nous avons repris l'incrimination de la consultation habituelle de sites internet djihadistes en l'incluant dans un ensemble plus cohérent et plus sévère encore. Nous avons, je vous le rappelle, voté deux lois antiterroristes,…

M. Christian Jacob. Nous les avons votées !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … l'une en décembre 2012, et j'avais déjà évoqué alors cet ennemi intérieur et extérieur, l'autre en décembre 2014. Nous sommes d'ailleurs allés plus loin encore sur ce sujet-là, puisque les sites provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie peuvent désormais être bloqués et déréférencés dans le cadre administratif à titre préventif, donc pas seulement sur l'initiative d'un magistrat judiciaire, comme vous l'aviez proposé en 2012.

M. Charles de La Verpillière. Les avez-vous appliquées ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons également instauré l'incrimination des actes terroristes intégralement commis à l'étranger.

Il y a ensuite les propositions que l'opposition avance aujourd'hui mais qu'elle n'avait pas jugé bon de faire après les crimes commis par Mohammed Merah. Elles sont de trois ordres. Premièrement, il y a celles qui correspondent à nos propres réflexions et sur lesquelles un consensus républicain est souhaitable, comme l'extension aux personnes nées en France de la possibilité de déchéance de nationalité en cas de condamnation pour terrorisme. Le Président de la République l'a proposé. Cependant, mesdames, messieurs les députés de l'opposition, il faut faire preuve de cohérence. Une révision constitutionnelle est nécessaire pour inscrire une telle disposition dans notre droit. (« Non ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Soit vous êtes d'accord, et vous votez cette réforme constitutionnelle, soit vous ne l'êtes pas, et alors vous n'êtes pas cohérents.(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

D'autres propositions méritaient d'être examinées sans a priori mais, à la réflexion, ne paraissent pas porteuses d'efficacité opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme. C'est par exemple le cas de la peine d'indignité nationale : un rapport parlementaire a démontré que cette disposition n'était pas adaptée.

Enfin, des propositions soulèvent de sérieuses questions juridiques si nous voulons éviter de tomber dans un régime d'exception, comme le placement sous bracelet électronique ou en internement d'office de toute personne faisant l'objet d'une fiche S , même lorsqu'il n'existe à son encontre que de simples soupçons ou renseignements non recoupés. Celles-ci soulèvent de graves problèmes de droit par rapport à la Constitution et à nos obligations internationales. Dans un esprit constructif et d'unité nationale, le Président de la République a proposé de les soumettre au Conseil d’État, et ce, pas uniquement pour savoir si elles sont conformes à la Constitution, monsieur Wauquiez, mais pour bien analyser leur conformité aux conventions internationales.

Je vous invite à les affiner, à les formuler, à les travailler ; le Gouvernement est prêt à une discussion afin que toute proposition efficace et conforme aux accords internationaux dont nous sommes partie puisse être signée, encadrée, intégrée dans une réforme constitutionnelle.

M. Guy Geoffroy. On va attendre combien de morts encore ?

M. Pascal Terrasse. On attend la proposition ! Ils n'en ont aucune !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous rappelle que le Conseil d’État avait en effet considéré en 2012 que cette proposition était disproportionnée. Nous sommes prêts à examiner toute solution.

Enfin, je voudrais dire que ce gouvernement, qui est à l'écoute de l'ensemble de la représentation internationale, n'a pas non plus attendu l'opposition pour renforcer la protection des Français, ce dont témoigne la loi relative au renseignement qui, sans y être exclusivement consacrée, comporte des dispositions spécifiques en matière de terrorisme. Le recours aux nouvelles techniques de renseignement sera particulièrement utile. De même, la création d'une filature électronique permanente des djihadistes était une nécessité opérationnelle forte, et le Gouvernement mettra cette disposition en œuvre dès lors que la proposition de loi actuellement soumise à l'examen du Conseil constitutionnel sera promulguée.

Monsieur Wauquiez, nous sommes ouverts à cette discussion. Vous voulez parler du passé, mais je ne suis pas sûr que cela intéresse les Français.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et ça, ce n'est pas de la polémique ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour ma part, je pourrais vous parler de ceux qui ont pris la responsabilité de dissoudre les renseignements généraux, c'est-à-dire le renseignement territorial. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Je pourrais vous parler – ce serait si facile – de la suppression des 13 000 postes de policiers et de gendarmes qui a affaibli l'appareil sécuritaire. (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Brouhaha sur les bancs du groupe Les Républicains.) Ce type de débat n'intéresse pas nos compatriotes, monsieur Wauquiez ; ce qui les intéresse, et nous pouvons nous accorder sur ce point, c'est la sécurité des Français. Avec le Gouvernement et avec la représentation nationale, au sens le plus large possible, je m'engage à tout faire pour assurer la sécurité des Français.

Par conséquent, si vous voulez discuter, en particulier pour réformer la Constitution, nous sommes prêts à avancer. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, républicain et citoyen et écologiste et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Données clés

Auteur : M. Laurent Wauquiez

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Ordre public

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 18 novembre 2015

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