réglementation
Question de :
M. Edouard Philippe
Seine-Maritime (7e circonscription) - Les Républicains
Question posée en séance, et publiée le 19 novembre 2015
ÉTAT D'URGENCE
M. le président. La parole est à M. Edouard Philippe, pour le groupe Les Républicains.
M. Edouard Philippe. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur. Monsieur le ministre, un piège nous est tendu, celui de l'énervement, de l'exploitation politicienne et du réflexe partisan. Ce piège, il nous est tendu à nous tous. Il est ancien et il est dangereux. Je ne veux pas, monsieur le ministre, tomber dans ce piège et je crois que notre Assemblée, toute notre Assemblée, s'honore d'éviter, alors que le monde nous regarde, nos amis comme nos ennemis, de sombrer dans les invectives et les provocations (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l'Union des démocrates et indépendants, du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste) qui sont peut-être la marque des démocraties vigoureuses, mais qui ne sont pas à la hauteur du moment, pas à la hauteur des morts et, au moins aussi grave, pas à la hauteur des vivants.
Vendredi soir, le Président de la République a décidé de mettre en œuvre l'état d'urgence. Il a pris une bonne décision. Le Gouvernement nous propose aujourd'hui de le proroger de trois mois. C'est une bonne proposition. Je crois même que c'est la meilleure des réponses à l'attaque qui nous est portée. Bien plus qu'une éventuelle modification de la Constitution et bien plus que les nécessaires recrutements qui seront malheureusement lents à produire leurs effets.
Cet état d'urgence me conduit à vous poser trois questions. D'abord, quels sont les objectifs précis du Gouvernement dans la mise en œuvre de cet état d'urgence ? S'agit-il de prévenir de nouveaux attentats, de démanteler des réseaux suspects, de collecter du renseignement, de remonter des filières, d'agir dans les prisons ?
Deuxième question, quel est le niveau de menace auquel nous devons faire face ? Les terroristes qui agissent sur notre sol utilisent des armes de guerre et des explosifs. Faut-il redouter l'emploi d'armes plus lourdes encore, voire d'armes non conventionnelles ?
Enfin, monsieur le ministre, entendez-vous, dans les jours et les semaines qui viennent, prendre des mesures pour dissoudre des associations, cultuelles ou non, de droit ou de fait, qui auraient apporté un soutien direct ou indirect aux personnes suspectées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
L'Assemblée nationale sait que vous êtes un homme précis, monsieur le ministre. La représentation nationale et les Français attendent de votre part des réponses précises. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ayant présenté le texte relatif à l'état d'urgence ce matin au conseil des ministres, permettez-moi de vous répondre personnellement, monsieur le député. Mais je veux, en tant que chef du Gouvernement, et alors que nous avons rendu hommage aux forces de l'ordre, saluer tout particulièrement une nouvelle fois l'engagement et la qualité de l'engagement de Bernard Cazeneuve, sa précision, son professionnalisme et son sens de l'État. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
Monsieur le député, vous l'avez dit, la loi de 1955 prévoit que l'état d'urgence ne peut être prolongé que par la loi. Nous allons le faire, parce que la menace – et je vous réponds très directement – reste très élevée. Elle n'a jamais été aussi élevée. Nous considérons qu'elle l'est déjà depuis plusieurs mois, avant les attentats de janvier dernier, mais qu'elle est aujourd'hui – nous en voyons malheureusement la démonstration depuis vendredi – à un niveau particulièrement élevé. Nous ne devons rien écarter quant au type de menace.
Parce que nous faisons toujours face à une situation exceptionnelle, nous proposerons au Parlement de prolonger l'état d'urgence pour trois mois, conformément à l'annonce du Président de la République.
Plus que jamais, notre objectif est l'efficacité. Pour être plus efficace, la loi de 1955 doit être modernisée sur certains points, qui répondent d'ailleurs à vos interrogations. C'est une nécessité si nous voulons pouvoir, dans les trois prochains mois, répondre à l'urgence de la situation, à l'urgence de la menace, au-delà de la mobilisation des forces de l'ordre. Au moment où nous parlons, après que le ministre de l'intérieur l'a décidé, la mobilisation est absolue et totale après ce qui s'est passé ce matin.
Cette loi de 1955, prise dans le contexte bien spécifique de la guerre d'Algérie, n'a jamais fait l'objet d'aucune modification substantielle. Elle doit être adaptée à notre temps et à la réalité des menaces, particulièrement grandes. Le texte que je vous présenterai demain proposera plusieurs améliorations.
Je pense aux assignations à résidence, qui sont un outil puissant pour surveiller, contrôler, isoler les individus radicaux. Nous examinerons des amendements sur ce sujet. Je pense aussi aux perquisitions administratives. À cet égard, je citerai un exemple simple. Il n'y avait pas d'ordinateurs en 1955. Aujourd'hui, internet, les téléphones portables sont les outils de communication quotidiens des terroristes. Il faut être en mesure de perquisitionner ces données.
Je pense aussi, troisième amélioration et je réponds ainsi à votre question et fais écho à celle de Bruno Le Maire il y a un instant, qu'il faut lutter très concrètement contre le radicalisme, l'extrémisme, les associations salafistes. Cela suppose de s'attaquer aux mosquées radicales, aux mosquées salafistes, et de pouvoir dissoudre les associations ou groupements de fait qui les constituent.
Nous poursuivrons bien sûr les expulsions d'imams étrangers qui se livrent à des prêches insupportables par rapport aux valeurs de la République, qui représentent une véritable incitation à l'action violente. Nous espérons, sans doute dans le cadre de la réforme constitutionnelle, pouvoir améliorer les moyens qui donneront à l'État la possibilité d'expulser encore plus rapidement ces prêcheurs de haine.
Enfin, moderniser l'état d'urgence, c'est aussi l'adapter aux exigences modernes en matière de droit au recours. C'est ce que nous vous proposerons, sans oublier – et je sais que vous y êtes particulièrement attachés, notamment dans cette période – le rôle du Parlement, qui doit remplir sa mission de contrôle de la mise en œuvre de l'état d'urgence.
Ce chantier législatif extrêmement urgent vous sera proposé demain. Nous sommes convaincus, mais nous en discuterons, qu'il faudra le compléter par d'autres dispositions, notamment par la réforme constitutionnelle, mais ainsi, nous nous donnons des moyens supplémentaires pour lutter contre la violence et contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Auteur : M. Edouard Philippe
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Ordre public
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 19 novembre 2015