agriculteurs
Question de :
M. Germinal Peiro
Dordogne (4e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain
Question posée en séance, et publiée le 18 février 2016
CRISE AGRICOLE
M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Germinal Peiro. Ma question, à laquelle j'associe Mme Marie-Lou Marcel, s'adresse à M. le Premier ministre au sujet de la crise de l'agriculture.
Avant toute chose, permettez-moi, mes chers collègues, de saluer la mémoire de la jeune technicienne de la chambre d'agriculture de l'Aveyron qui, ce matin, a été victime, dans une exploitation, d'une agression qui lui a coûté la vie.
Monsieur le Premier ministre, la France agricole, et notamment le secteur de l'élevage, traverse une crise d'une extrême gravité. Beaucoup d'éleveurs vendent leur lait ou leur viande au-dessous des coûts de production, ce qui les conduit tout droit vers la ruine. Les causes sont pour partie conjoncturelles : hausse de la production, rétractation du marché asiatique et embargo russe.
Mais elles sont aussi structurelles et concernent directement l'Union européenne. L'abandon des outils de régulation, comme les quotas laitiers, par l'Union européenne, a eu pour effet de livrer l'économie agricole à la brutalité de la seule loi des marchés. Par ailleurs, la guerre des prix effrénée à laquelle se livrent les enseignes de la grande distribution tire sans cesse les prix de la production vers le bas.
Face à cette crise, le Gouvernement a pris plusieurs mesures fortes pour soulager la trésorerie des exploitations, à hauteur de près d'un milliard d'euros. Vous avez annoncé, en début d'après-midi, de nouvelles mesures pour permettre à l'élevage français de surmonter cette mauvaise passe. Pouvez-vous nous en donner le détail ?
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, je vais prendre quelques instants pour répondre à M. Peiro. Sa question est essentielle, au moment où les éleveurs et les filières d'élevage françaises traversent une crise exceptionnelle, tant par son intensité que par sa durée. Nous avons déjà eu l'occasion, avec le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, de souligner qu'une partie de l'agriculture française traversait une crise économique, sociale, morale et de confiance.
C'est l'occasion pour nous de rappeler une nouvelle fois le rôle et la responsabilité des agriculteurs dans notre pays, qui élèvent les animaux, remplissent les assiettes de nos compatriotes et garantissent la diversité, la qualité et la sécurité de notre alimentation. Ils jouent un rôle essentiel dans notre société. Face à cette crise, causée par des prix mondiaux et européens très bas, en particulier pour le lait et le porc, mais aussi pour la viande bovine et les céréales, le Gouvernement est mobilisé sans relâche. Je veux saluer l'action du ministre de l'agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.)
En France, se sont ajoutées à cette crise économique des crises sanitaires et des conditions climatiques défavorables, pendant l'été et l'automne derniers. Le Gouvernement a adopté un plan d'urgence, ce qu'il a été le seul à faire en Europe. Ce plan a été abondé à deux reprises, en septembre et en janvier, pour tenir compte du nombre croissant des éleveurs concernés par la baisse des prix et nous avons proposé une « année blanche » bancaire, mesure qui n'avait jamais été mise en place au plus fort de la crise du lait en 2008.
Alors que la Commission peinait à reconnaître la dimension européenne de cette crise, nous avons obtenu, en septembre dernier, la création d'un plan d'aide de 500 millions d'euros pour les éleveurs européens, dont 63 millions pour la France. Le ministre avait eu l'occasion de souligner que ce ne serait pas suffisant. Nous entendons les demandes des éleveurs : les prix, des baisses de charge et moins de normes. Le Gouvernement ne peut pas fixer les prix, mais il peut agir vis-à-vis de ceux qui conduisent actuellement les négociations commerciales.
Nous avons reçu, avec Stéphane Le Foll et Emmanuel Macron, les enseignes de la grande distribution. Les ministres ont également reçu tous les acteurs des filières. Le message adressé aux industriels et aux distributeurs a été clair : il n'y a aucune raison que les négociations commerciales en cours signifient a priori une baisse des prix par rapport à 2015. Les contrôles de la DGCCRF sur le déroulement des négociations ont été intensifiés et ils le seront jusqu'à la fin.
Les sanctions prévues par la loi seront appliquées, si nécessaire par le biais de la loi Sapin 2. La loi de modernisation économique sera réexaminée pour y introduire des mesures complémentaires de rééquilibrage des relations commerciales. J'attends désormais de leur part des signaux concrets, prouvant leur volonté d'enrayer la baisse des prix. Les industriels doivent jouer la carte de la transparence avec les producteurs. Certaines enseignes ont déjà agi en ce sens et la plupart se sont engagées à éviter toute spirale déflationniste.
La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution a annoncé que les derniers détails du projet de fonds de solidarité de 100 millions d'euros pour les éleveurs de porcs, validé par l'Autorité française de la concurrence, seront réglés dans les prochains jours. Le message adressé aux producteurs a été clair. Il faut conquérir de nouveaux débouchés, mais aussi reconquérir durablement le marché français. Nos concitoyens souhaitent que l'origine des produits soit indiquée, mais également qu'ils soient de qualité. Il faut leur donner satisfaction en matière d'étiquetage, tout en mettant en avant ce qui fait la spécificité des produits français. (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)
M. Marc Le Fur. Il était temps !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Les pays européens ont défini depuis longtemps de tels cahiers des charges. Les producteurs français doivent en être capables. Je salue l'initiative prise en Bretagne, par le président de la région, le préfet et les professionnels, pour élaborer un tel dispositif.
Le Gouvernement veut agir sur le niveau des charges. Cela est essentiel, notamment dans la concurrence existant avec d'autres pays européens. Le Président de la République a annoncé jeudi dernier une baisse des charges sociales, qui doit intervenir sans délai pour tous les agriculteurs. Un décret va donc instaurer une baisse immédiate de sept points de charges sociales, ce qui est supérieur au CICE. Elle se cumulera à la baisse de trois points des cotisations famille en vigueur depuis le 1er janvier 2015, grâce au pacte de responsabilité. Cette nouvelle mesure de 500 millions d'euros permet de faire baisser les cotisations de dix points pour les agriculteurs, ce qui est supérieur au CICE.
M. Bruno Le Roux. Très bien !
M. Christian Jacob. Il était temps !
M. Philippe Le Ray. Mais les prix ont baissé de 13 % !
M. Manuel Valls, Premier ministre. C'est plus que n'en demandaient les représentants du monde agricole que nous avons encore rencontrés il y a un instant, avec le ministre de l'agriculture. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Depuis le début de la crise, en 2015, c'est une baisse structurelle cumulée de charges personnelles de près de 730 millions d'euros.
Nous avons aussi arrêté une mesure pour les agriculteurs qui auraient vu…
M. Guy Geoffroy. Six minutes !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je prends mon temps, monsieur le député, précisément parce qu'il me semble que les agriculteurs le méritent, au-delà des polémiques, et que nous devons faire des propositions précises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Nous avons donc arrêté, pour les agriculteurs qui auraient dégagé en 2015 un revenu très faible ou qui n'auraient pas eu de revenus, une « année blanche » sociale par report automatique d'un an, reconductible dans la limite de trois ans, sans aucune démarche de l'agriculteur, sans pénalités ni intérêts de retard, de toutes les cotisations de l'année 2016. Il faut baisser les charges, mais il faut aussi penser à ceux qui n'ont pas eu de revenus.
S'agissant des normes, il faut mettre en œuvre ce que j'ai eu l'occasion d'annoncer le 3 septembre dernier.
M. Philippe Le Ray. Ils veulent des prix !
M. Manuel Valls, Premier ministre. C'est vrai que les agriculteurs français sont soumis à une sédimentation de normes qui sont parfois plus exigeantes que la réglementation communautaire. Dans le secteur de l'élevage, depuis le début de cette législature, nous n'avons pas ajouté de normes, mais nous en avons plutôt supprimé. Nous allons étendre aux élevages laitiers et bovins ce que nous avons déjà fait pour les créations ou les extensions d'élevages porcins ou de volaille. Nous le ferons bien sûr sans moins-disant environnemental.
Aujourd'hui, grâce à la France, le Conseil et la Commission européenne sont remobilisés depuis lundi dernier.
M. Philippe Le Ray. On veut des prix !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Le commissaire Hogan a annoncé des mesures de gestion des marchés pour le prochain Conseil. Nous sommes aussi mobilisés pour pouvoir obtenir – c'est difficile, ne faisons preuve d'aucune démagogie dans ce domaine comme dans d'autres, mais soyons responsables – la levée de l'embargo sanitaire russe, comme j'ai eu l'occasion d'en discuter avec le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, samedi dernier.
La grande distribution a agi pour interrompre la spirale de la baisse des prix dans les filières en difficulté. Elle a annoncé la création d'un fonds privé.
M. Nicolas Sansu. Retirez-lui le bénéfice du CICE !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Le Gouvernement annonce une nouvelle baisse des charges sociales de sept points, immédiate et pour tous les agriculteurs, ainsi qu'une « année blanche » sociale pour tous ceux qui auront dégagé un très faible revenu en 2015. Nous venons de recevoir Xavier Beulin, président de la FNSEA, et Thomas Diemer, président des Jeunes agriculteurs. Je leur ai demandé de faire cesser les manifestations d'agriculteurs.
Avec ces crises, et plus que jamais, la profession fait face à des défis considérables. Elle doit se restructurer partout, et pas seulement en Bretagne, parce que l'État ne peut pas assurer dans une économie ouverte toutes les responsabilités. L'État et le Gouvernement assument les leurs, ils demandent à l'Europe d'assumer les siennes, mais la profession doit également assumer pleinement ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Auteur : M. Germinal Peiro
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 18 février 2016