Question orale n° 201 :
entreprises

14e Législature

Question de : M. Pierre Aylagas
Pyrénées-Orientales (4e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

M. Pierre Aylagas appelle l'attention de M. le ministre du redressement productif sur le désarroi de nombre de nos entreprises de BTP en prise avec la concurrence européenne dont les coûts de main-d'oeuvre sont si bas qu'elles ne peuvent rivaliser. C'est vrai sur l'ensemble du territoire, ça l'est encore plus dans les départements frontaliers. Ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, le BTP - qui est un acteur économique incontournable représentant 10 % du chiffre d'affaires départemental - subit de plein fouet cette concurrence. Quelques chiffres illustrent ce phénomène : de 10 800 salariés en 2008, on est passé à 8 200 ; 300 détachements de salariés étrangers sont déclarés en 2012 mais on estime de 2 à 3 fois plus la réalité sur le terrain ; au 3e trimestre 2012, une augmentation des demandeurs d'emploi dans le BTP de 23,6 % par rapport à 2011 ; 10 % de chiffre d'affaires en moins dans le négoce de matériaux ; moins 37 % de mise en chantier de logements entre 2011 et 2012 ; plus 12 % de redressements et liquidations judiciaires entre 2011 et 2012 ; 600 auto-entrepreneurs en 2012, soit 55 % des nouvelles inscriptions à la chambre des métiers, le total général s'élevant à plus de 2 000 soit 17 % de l'effectif global. L'activité du BTP est une activité de main-d'oeuvre ; 50 % à 60 % du chiffre d'affaires y est consacré. Dans ces conditions pour réduire les coûts que les clients exigent, le seul levier reste l'aspect social. Les entreprises françaises se voient proposer régulièrement, et de plus en plus, de la main-d'oeuvre de pays européens à des prix imbattables. Certains utilisent de telles pratiques et réussissent ainsi à baisser leurs coûts et à augmenter leur productivité légalement, les contrôles opérés ne décelant pas d'illégalités car une vérification poussée par les services de l'État est quasi impossible. En effet, il suffit aux prestataires étrangers de bien faire les formalités, de rémunérer le salarié au SMIC pour rendre le contrôle compliqué. Mais derrière se cache souvent une minoration du nombre d'heures réalisées ou encore une sous-qualification du salarié, par exemple un maçon très qualifié payé au SMIC serait loin de la grille française de salaires qui serait de 1 900 euros. Aujourd'hui les entreprises françaises employant des salariés français peinent à obtenir des marchés, les écarts de prix avec certains concurrents avoisinent les 30 % voire 40 %. Dans ces conditions l'emploi de salariés français devient difficile et bon nombre d'entreprises s'interrogent quant à l'utilisation d'une main-d'oeuvre de production venant des pays de l'UE. Avec la seule baisse d'activité nous planifions une perte de 40 000 emplois en France pour 2013, mais si les entreprises décident de recourir à ce type de main-d'oeuvre de manière amplifiée les chiffres des licenciements pourraient exploser. En conséquence, il lui demande les mesures que le Gouvernement entend prendre pour que cesse ce phénomène qui pénalise gravement nos entreprises en même temps qu'il porte atteinte aux conditions d'emploi des salariés.

Réponse en séance, et publiée le 20 mars 2013

RECOURS À LA MAIN-D'OEUVRE EUROPÉENNE DANS LE SECTEUR
DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Aylagas, pour exposer sa question, n° 201, relative au recours à la main-d'oeuvre européenne dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
M. Pierre Aylagas. Ma question s'adresse au ministre du redressement productif, et je veux y associer mes collègues Ségolène Neuville et Jacques Cresta.
Monsieur le ministre, je souhaite vous faire part du désarroi de nos entreprises de BTP en prise avec la concurrence européenne dont les coûts de main-d'oeuvre sont si bas qu'elles ne peuvent rivaliser. C'est vrai sur l'ensemble du territoire mais plus encore dans les départements frontaliers. Dans les Pyrénées-Orientales, le BTP, acteur économique représentant 10 % du chiffre d'affaires départemental, subit de plein fouet cette concurrence.
Quelques chiffres illustrent ce phénomène : de 10 800 salariés en 2008, le secteur est passé à 8 200 aujourd'hui. Trois cents détachements de salariés étrangers sont déclarés en 2012 mais on estime que le chiffre réel est deux ou trois fois plus élevé. Au troisième trimestre 2012, le nombre de demandeurs d'emploi dans le BTP a augmenté de 23,6 % par rapport à 2011. Le chiffre d'affaires dans le négoce de matériaux a baissé de 10 %. Le nombre de mises en chantier de logements entre 2011 et 2012 a diminué de 37 %. Les liquidations et redressements judiciaires ont augmenté de 12 % entre 2011 et 2012.
Le BTP est une activité de main-d'oeuvre : 50 à 60 % du chiffre d'affaires y sont consacrés.
Dans ces conditions, pour réduire les coûts comme les clients l'exigent, le seul levier reste l'aspect social. Les entreprises françaises se voient proposer régulièrement, et de plus en plus fréquemment, de la main-d'oeuvre de pays européens à des prix imbattables. Certaines recourent à de telles pratiques et réussissent ainsi à baisser leurs coûts et gonfler leur productivité. Les contrôles opérés ne décèlent pas d'illégalités car une vérification poussée par les services de l'État est quasiment impossible.
En effet il suffit aux prestataires étrangers de bien faire les formalités et de rémunérer le salarié au SMIC pour rendre le contrôle compliqué. Mais ces déclarations cachent souvent une minoration du nombre d'heures réalisées ou encore une sous-qualification du salarié. Par exemple, un maçon très qualifié payé au SMIC se retrouve loin des 1 900 euros prévus par la grille française de salaires.
Aujourd'hui les entreprises françaises employant des salariés français peinent à obtenir des marchés. Les écarts de prix avec certains concurrents avoisinent 30 voire 40 %.
Dans ces conditions, l'emploi de salariés du territoire devient difficile et bon nombre d'entreprises s'interrogent quant à l'utilisation d'une main-d'oeuvre de production venant des pays de l'Union européenne.
Sous l'effet de la seule baisse d'activité, nous planifions une perte de 40 000 emplois en France pour 2013. Mais si les entreprises décident de recourir à cette main-d'oeuvre de manière amplifiée, le nombre des licenciements pourrait exploser.
Monsieur le ministre, quelles mesures allez-vous prendre pour arrêter ce phénomène qui pénalise nos entreprises en même temps qu'il porte atteinte aux conditions d'emploi de l'ensemble des salariés ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, vous interrogez la ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme sur la concurrence déloyale et le travail illégal dans le secteur du BTP.
Il s'agit d'une préoccupation centrale pour le Gouvernement, qui partage vos inquiétudes. C'est une problématique sur laquelle les professionnels nous alertent régulièrement : il faut prendre très au sérieux cette question et c'est ce que fait le Gouvernement.
Face aux dérives qui pénalisent nos entreprises, nous avons pris des mesures avec le plan interministériel de lutte contre le travail illégal présenté par le Premier ministre le 27 novembre dernier.
Le Gouvernement a souhaité cibler les opérations sur le secteur du bâtiment de façon à rétablir les fondamentaux d'une concurrence saine et loyale. Tel est l'objectif de trois dispositifs en plein développement : la sous-traitance en cascade, le recours abusif au statut d'indépendant et les procédures de détachement dans le cadre des prestations de services transnationales. En 2011, nous avons compté 45 000 déclarations de détachement par des entreprises étrangères, concernant 145 000 salariés, soit une hausse de 17 %.
Le travail engagé par la commission nationale de lutte contre le travail illégal va dans le sens d'une coordination renforcée de l'ensemble des corps de contrôle, avec comme principal objectif de corriger les dérives à l'origine d'une situation de concurrence déloyale. Cet objectif est porté au plus haut niveau de l'État et la ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme s'engage avec la plus grande détermination.
Par ailleurs, la France soutient fermement le renforcement de la directive " Détachement " au niveau européen pour lutter efficacement contre ces phénomènes préjudiciables de dumping social. Ce texte pourrait faire l'objet d'un vote par le Conseil européen en juin 2013. Il doit aboutir et être équilibré et ambitieux.
Certes, le détachement correspond à l'esprit des libertés instituées au sein de l'Union européenne : libre circulation des biens, des personnes et des services. Mais il est nécessaire de s'assurer que les règles qui l'encadrent sont respectées, afin d'éviter qu'il ne conduise au moins-disant social. Le contrôle effectif du détachement est une nécessité pour lutter contre le dumping social, et à terme, pour maintenir la cohésion sociale en Europe. Il en va de l'intérêt de tous.
Dans ce cadre, la ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme soutient la mise en place d'un mécanisme de responsabilité solidaire des entreprises donneurs d'ordres dans les cas de sous-traitance. Il semble assez naturel que ces entreprises participent à la prévention des fraudes aux règles du détachement, et soient vigilantes lorsqu'elles confient la réalisation d'une prestation à un tiers.
Mais nous pouvons également agir en France. Il est vrai que dans certains secteurs, le régime de l'auto-entrepreneur peut conduire à des dérives et créer une distorsion de concurrence. La ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme a demandé à l'IGAS et à l'IGF un rapport d'évaluation qui devrait être rendu public dans les prochaines semaines. Sur cette base le Gouvernement prendra toutes les mesures qui s'imposent.
Vous pouvez le constater, monsieur le député, le Gouvernement est déterminé sur cette question. Nous avons engagé les travaux nécessaires en France et nous ferons entendre notre voix au niveau européen. Nous comptons sur le soutien de la représentation nationale.

Données clés

Auteur : M. Pierre Aylagas

Type de question : Question orale

Rubrique : Bâtiment et travaux publics

Ministère interrogé : Redressement productif

Ministère répondant : Artisanat, commerce et tourisme

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 mars 2013

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