Question orale n° 707 :
protection

14e Législature

Question de : M. Yves Censi
Aveyron (1re circonscription) - Les Républicains

M. Yves Censi attire l'attention de M. le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique sur la question de la disponibilité pleine et entière des collectivités territoriales sur leur dénomination. Malgré les récentes avancées législatives, relatives notamment à la création d'une « indication géographique » visant à protéger les produits manufacturés, les nouveaux dispositifs de protection ne prévoient pas d'interdiction absolue de déposer le nom de la collectivité, utilisée pour l'indication géographique, pour d'autres produits que celui qui est protégé. Autrement dit, il faudra démontrer que ces produits sont de nature à détourner ou affaiblir, non plus les intérêts publics de la commune, mais la notoriété de l'indication géographique. Les collectivités territoriales ne pourront donc pas simplement empêcher l'appropriation de leur dénomination par une entreprise à des fins commerciales. Elles restent susceptibles d'être privées, ainsi que leurs habitants, du droit d'exploiter sous leur nom toutes sortes de produits en lien avec leur activité économique. Il relève de l'intérêt général que les éléments constitutifs de leur statut soient l'objet de dispositions spécifiquement consacrées par le droit public et ne soient pas traités au détour de dispositions relevant du code de la propriété intellectuelle. C'est la raison pour laquelle il lui demande de bien vouloir prendre les dispositions propres à garantir une protection totale des collectivités territoriales sur leur nom.

Réponse en séance, et publiée le 11 juin 2014

PROTECTION DU NOM DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
M. le président. La parole est à M. Yves Censi, pour exposer sa question, n°  707, relative à la protection du nom des collectivités territoriales.

M. Yves Censi. Je me réjouis que Mme la ministre de la décentralisation puisse répondre à ma question relative à la protection du nom des collectivités territoriales, et plus particulièrement à la disponibilité pleine et entière des collectivités sur leur propre dénomination.

Aujourd'hui, la ville de Laguiole et ses administrés ne sont plus autorisés à utiliser le nom Laguiole pour désigner l'ensemble de ses activités économiques, parce qu'une entreprise, qui avait déposé ce nom à titre de marque, s'est vue accorder un monopole sur son usage. La commune de Laguiole est ainsi en procès parce qu'on lui dénie le droit de frapper des médailles à son nom ou de constituer une identité graphique. C'est une vraie spoliation d'un bien public.

Depuis des années, le combat de la commune de Laguiole est aussi celui de toutes les communes, de toutes les collectivités territoriales de notre pays. Elles veulent avoir simplement, normalement, le droit d'utiliser leur nom et de ne pas se voir privées de ce droit par des entreprises qui se le sont accaparées à des fins commerciales.

Il ne s'agit pas d'empêcher les entreprises d'utiliser le nom d'une commune, mais d'éviter que l'appropriation du nom d'une commune par une entreprise n'empêche cette commune d'utiliser également son propre nom.

Certes, un certain nombre d'avancées législatives ont eu lieu. Je les connais, pour avoir pris part à leur élaboration. C'est pourquoi je vous en conjure, madame la ministre, ne m'en dressez pas la liste ! Mais, vous le savez, aucun des nouveaux dispositifs de protection que vous avez imaginés n'empêchera une commune et ses habitants d'être privés du droit d'exploiter sous son nom toutes sortes de produits en lien avec leur activité économique.

Ne me parlez pas non plus d'indication géographique protégée ou d'information et de droit d'opposition des communes au dépôt de leur nom à titre de marque : le seul sujet que j'aborde aujourd'hui est celui de la disponibilité pleine et entière des collectivités sur leur nom et de la protection absolue qui doit s'y attacher.

Les collectivités territoriales constituent la clé de voûte de notre République décentralisée, désormais consacrée par la Constitution. Il relève donc de l'intérêt général que les éléments constitutifs de leur statut soient l'objet de dispositions spécifiquement consacrées par le droit public, plutôt que d'être traités au détour de dispositions relevant du code de la propriété intellectuelle.

La protection du nom des collectivités territoriales est un impératif d'ordre public. Il n'est pas acceptable de laisser à de petites communes la charge de protéger leur nom dans le domaine privé et de les contraindre à mettre en œuvre des stratégies de propriété intellectuelle lourdes et coûteuses.

Face à cette situation de spoliation légalisée d'un bien public, je vous demande, madame la ministre, d'unir votre volonté à la nôtre pour enfin construire, ensemble, un dispositif de protection empêchant l'appropriation exclusive du nom d'une collectivité locale ou territoriale.

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député, je ne rappellerai donc pas les dispositions de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation ! Cependant, je vous remercie de poser cette question, car il existait en la matière un réel vide juridique. Nous devons nous attacher à le combler tous ensemble, de façon transpartisane et en associant le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et l'Association des maires de France.

Il manquait une procédure de veille adaptée à toutes les collectivités. La loi crée un droit d'alerte et, si nécessaire, d'opposition des collectivités en cas de dépôt d'une marque commerciale reprenant leur dénomination. Il est gratuit et simple à utiliser, il suffit de s'inscrire sur le site internet de l'Institut national de la propriété intellectuelle. Les petites communes pourront désormais agir sans perdre de temps, en amont des difficultés. Si elles n'obtiennent pas gain de cause, elles conserveront la possibilité de demander aux juridictions l'annulation des marques qui portent atteinte à leurs intérêts publics. Telle est la voie que nous devons suivre, en portant une grande attention aux aspects juridiques pour ne pas laisser subsister la moindre faille. En revanche, votre suggestion consistant à prévoir un usage exclusif de la dénomination des collectivités porterait manifestement atteinte au principe constitutionnel du droit de propriété.

Je pense par ailleurs que certaines communes sont plutôt satisfaites de voir leur nom associé à des produits phares, ce qui stimule la création d'emplois et joue en faveur de leur réputation.

Votre question met en valeur l'importance de la modernisation de l'action publique. En effet, alors que nous avons bien réagi sur la question de l'open data, et que nous avons aidé les collectivités territoriales à entrer dans la web-économie, nous n'avons pas mesuré les effets de la faculté, désormais laissée aux entreprises, de déposer un nom de produit en quelques jours.

Je ne prétendrai pas aujourd'hui que le problème est réglé, même si la loi adoptée en mars constitue un début de solution. Je vais donc transmettre votre question au cabinet de la garde des sceaux, avec copie au ministère de l'intérieur, afin de modifier, le cas échéant, les décrets d'application. Nous devons en effet être attentifs à tous les problèmes relatifs à l'identité, y compris celle des communes.

M. le président. La parole est à M. Yves Censi.

M. Yves Censi. C'est la première fois, depuis 2012, que j'obtiens la promesse de s'attaquer directement au problème. À cet égard, je me réjouis de votre volonté de saisir la garde des sceaux et le ministre de l'intérieur de cette question qui concerne directement les collectivités territoriales.

Je comprends bien que l'on ne puisse pas garantir un usage exclusif de leur dénomination par les collectivités – même si une telle disposition est déjà prévue s'agissant des noms de domaine en « .fr ». Ce n'est d'ailleurs pas ce que je réclame, mais seulement la disponibilité pleine et entière de cette dénomination, et la possibilité d'en faire librement usage. Je le répète, la dénomination des communes est un bien public dont l'appropriation par des intérêts privés constitue une forme de spoliation.

Données clés

Auteur : M. Yves Censi

Type de question : Question orale

Rubrique : Propriété intellectuelle

Ministère interrogé : Économie, redressement productif et numérique

Ministère répondant : Économie, redressement productif et numérique

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 juin 2014

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