Intelligence artificielle : pour un « leadership » français
Question de :
M. Éric Pauget
Alpes-Maritimes (7e circonscription) - Les Républicains
M. Éric Pauget appelle l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation quant à la stratégie nationale en faveur de l'intelligence artificielle (IA) et quant aux orientations définies dans ce domaine. Le Président de la République a annoncé un plan visant à développer jusqu'en 2022 l'intelligence artificielle. L'État y consacrera 1,5 milliard d'euros. La France dispose certes de tous les atouts, talents et formations pour exister pleinement dans ce secteur. Toutefois, le pays manque à ce jour de groupes ayant un leadership et une visibilité dans ce secteur économiquement très prometteur en ce qui concerne notamment les projets innovants et de rupture. Dans le département des Alpes-Maritimes, le centre de Sophia-Antipolis, première technopole européenne qui va fêter ses cinquante ans d'existence, attire les meilleurs chercheurs mondiaux et témoigne du dynamisme d'un territoire. Il a été récemment désigné pour accueillir un des quatre instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle. Ce choix de Sophia-Antipolis est lié à son excellence en matière de formation et de recherche, ainsi qu'à la forte impulsion donnée dans ce département en faveur de la construction d'un écosystème de l'intelligence artificielle. Toutefois, face à la concurrence notamment de la Chine et des États-Unis, la France manque, à ce jour, de groupes ayant un leadership international et une visibilité dans ce secteur économiquement très prometteur en ce qui concerne notamment les projets innovants et de rupture. Il estime que la concrétisation de cette ambition passe par une meilleure concertation des pays membres de l'Union européenne et par la création de passerelles solides entre le monde la recherche en IA et celui de l'industrie. Aussi, il lui demande si le Gouvernement entend rapidement mettre en œuvre des mesures favorisant l'émergence en France de ce leadership à l'international.
Réponse publiée le 29 septembre 2020
L'effervescence actuelle sur l'intelligence artificielle (IA) tient, d'une part, à la disponibilité des grandes masses de données, variées, précises et actualisées sur tout le spectre des situations impliquant des automates et, d'autre, part aux possibilités offertes par les algorithmes et les capacités de calcul dans le domaine de la reconnaissance des formes pour exploiter ces données. L'intelligence artificielle permet l'utilisation massive de ces données afin d'automatiser des décisions qui jusque-là sollicitaient une intervention humaine. Dans le cadre de la course à la compétitivité, après la transformation numérique des entreprises les efforts se tournent désormais vers la transformation des métiers par la délégation de certaines tâches intelligentes à des machines dont le comportement est basé sur un apprentissage issu de données captées massivement dans le quotidien des personnes. Les solutions algorithmiques et heuristiques issues des mathématiques et de l'informatique nécessitent une recherche de pointe interdisciplinaire, prenant en compte les sciences humaines et sociales et les autres disciplines scientifiques et activités impactées (santé, environnement, sécurité, mobilité, etc.). L'IA permet ainsi d'associer à un objet mobile sa position dans l'espace qu'il traverse, de comparer un cas clinique à la littérature des essais thérapeutiques les plus récents, de prédire l'usure d'une pièce mécanique difficile d'accès, de surveiller les comportements d'individus en situation, de traiter le langage humain… Les quatre pays ayant investi le plus dans l'IA sur les cinq dernières années (de 2015 à 2019) sont les Etats-Unis (56%, 40 Mds$), la Chine (22%, 15 Mds$), le Royaume-Uni (6%, 4 Mds$) et la France qui se place en quatrième position avec 3% et 1,8 Mds$ selon une étude récente (UK Tech For a Changing World Report 2020). Même si les investissements français en IA restent loin des montants américains et chinois, la mobilisation des acteurs français publics et privés est significative sur cette thématique puisque, sur l'ensemble des thématiques émergentes (IA, robotique, cybersécurité, blockchain, Internet des objets, réalité virtuelle, réalité augmentée), la France n'est qu'en septième position (2,4 Mds$). Les plus grands acteurs du numérique étant américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et IBM) et chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), ces entreprises disposent de gigantesques bases de données qu'elles comptent exploiter grâce à l'IA et qui permettent aux Etats-Unis et à la Chine de surclasser l'ensemble des autres pays dans le domaine du numérique et de la course à l'IA. Cette situation conduit à positionner les politiques publiques françaises en matière d'IA autour de quatre enjeux principaux : - éviter la mise en péril de notre souveraineté par l'utilisation de solutions venues d'ailleurs, - saisir les promesses de croissance économique et localiser la valeur en France, - penser un modèle de développement éthique de l'IA, - préparer une future amélioration des conditions de travail et de vie des citoyens. Dans ce contexte, l'action #FranceIA a permis en 2017 de dresser un inventaire des ressources, d'exprimer les besoins et de mobiliser plus de 500 personnes au sein de la communauté de recherche et des entreprises du domaine en France. Au cours de la même période, le travail de l'OPECST a donné aux acteurs de l'IA l'occasion de s'exprimer pour faire partager leurs visions via le rapport n° 464 de l'OPECST « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée » du député Claude de GANAY et de la sénatrice Dominique GILLOT publié en mars 2017. Au cours de la même période plusieurs grandes entreprises internationales ont annoncé l'installation de centres de recherche en IA sur le territoire national, venant ainsi compléter ceux déjà en place. On peut citer notamment les centres ouverts en France par Rakuten en 2014, Facebook en 2015, Huawei en 2016, Fujitsu en 2017, Google, DeepMind et Samsung en 2018 et Uber en 2019, ainsi que la constitution d'équipes d'IA au sein de grandes entreprises françaises comme Axa, La Poste, Microsoft, Orange, Thalès, Valeo, etc. En 2018, le rapport de la mission du député Cédric Villani intitulé « Donner du sens à l'intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne » a favorisé une coordination interministérielle autour de ces problématiques. Ce rapport identifie quatre secteurs économiques à soutenir en priorité par la puissance publique (la santé ; l'agriculture ; le transport ; la sécurité et la défense) et y ajoute le secteur de l'éducation. Au cours de la conférence « AI for humanity » du 29 mars 2018, le Président de la République a présenté la stratégie de la France pour devenir un pays leader de l'intelligence artificielle. La ministre fédérale allemande de l'éducation de la recherche, Anja Karliczek, et le commissaire européen à la recherche, à l'innovation et à la science, Carlos Moedas, sont également intervenus lors de cet événement. La stratégie de la France pour l'intelligence artificielle présentée par le Président de la République tient en quatre grands axes : - conforter, en France et en Europe, l'écosystème de l'IA ; - engager une politique d'ouverture des données ; - adapter le cadre réglementaire et financier, national et européen ; - définir les enjeux éthiques et politiques de l'IA. La stratégie nationale de recherche en IA a été présentée par Frédérique VIDAL, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, le 28 novembre 2018 à Toulouse. Elle vise à : - Déployer un programme national pour l'IA piloté par Inria pour permettre à l'écosystème de l'intelligence artificielle française de se développer et d'accélérer sa croissance, en s'appuyant notamment sur le réseau des instituts 3IA (Instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle) à Grenoble "MIAI@Grenoble-Alpes", Nice "3IA Côte d'Azur", Paris "PRAIRIE"et Toulouse"ANITI", - Lancer un programme d'attractivité et de soutien aux talents avec la création de 43 chaires à partir de 2019 et le doublement du nombre de docteurs formés en intelligence artificielle, - Dynamiser la recherche en IA à l'ANR avec, d'ici 2022, 100 millions d'euros pour développer des projets de recherche, principalement collaboratifs, au meilleur niveau (61 projets soutenus en 2018 pour un montant de 27 millions d'euros et 43 projets en 2019 pour une enveloppe de 17,6 millions d'euros), - Renforcer les moyens de calcul (170 millions d'euros d'ici 2022 investis conjointement avec la Commission européenne) avec un des plus puissants supercalculateurs en Europe installé début 2019 au centre de calcul IDRIS du CNRS, sur le plateau de Saclay, par l'opérateur national de calcul intensif GENCI (puissance de calcul supérieure à 10 petaflops/s), - Renforcer la recherche partenariale (65 millions d'euros d'ici 2022) pour porter le volume total des projets à au moins 130 millions d'euros (programme Labcom, Instituts Carnot, IRT), - Renforcer les coopérations bilatérales, européennes et internationales, en particulier avec l'Allemagne (programme bilatéral avec un appel à projets annuel de 10 millions d'euros, programme trilatéral avec le Japon mobilisant 7,5 millions d'euros) et par un soutien de la France à la stratégie de l'Union européenne en IA avec un investissement de 1,5 milliards d'euros de 2018 à 2020 qui devrait se poursuivre dans le cadre du programme-cadre Horizon Europe en cours de négociation. En complément, l'effort national en faveur de l'émergence de champions français de l'IA et d'une économie de l'IA repose principalement sur deux dispositifs : « Challenges IA » et « Grands défis ». Le financement de 40 « Challenges IA » d'ici 3 ans, vise à favoriser la transformation numérique des entreprises dans une démarche d'open innovation avec des start-ups expertes en IA, ainsi qu'à permettre à ces start-ups d'accéder à de nouveaux jeux de données tout en favorisant les opportunités commerciales. La sélection des « Grands défis » est pilotée par le Conseil de l'Innovation depuis 2018. Les deux premiers grands défis identifiés sont directement liés à l'IA et dotés chacun d'une enveloppe d'environ 30 millions d'euros : - Comment améliorer les diagnostics médicaux par l'intelligence artificielle : collecte des données et leur standardisation ; interopérabilité des centres d'archivage ; uniformisation des accès, des échanges et leur sécurisation ; mise en œuvre de plateformes de recherche collaboratives intégrant des infrastructures de calcul et de stockage au meilleur niveau mondial ; développement d'outils logiciels permettant de traiter et d'exploiter le volume considérable de données médicales, - Comment sécuriser, certifier et fiabiliser les systèmes qui ont recours à l'intelligence artificielle : assurer la transparence et l'auditabilité des systèmes autonomes à base d'intelligence artificielle, d'une part en développant les capacités nécessaires pour observer, comprendre et auditer leur fonctionnement et, d'autre part, en développant des approches démontrant le caractère explicable de leur fonctionnement.
Auteur : M. Éric Pauget
Type de question : Question écrite
Rubrique : Politique économique
Ministère interrogé : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Ministère répondant : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Dates :
Question publiée le 27 novembre 2018
Réponse publiée le 29 septembre 2020