Question écrite n° 29439 :
Harcèlement juridique envers l'historien russe Iouri Dmitriev

15e Législature

Question de : M. Jacques Marilossian
Hauts-de-Seine (7e circonscription) - La République en Marche

M. Jacques Marilossian alerte M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le harcèlement juridique mené à l'encontre de l'historien russe Iouri Dmitriev par la Société d'histoire militaire de Russie. M. Dmitriev est un historien reconnu par ses pairs et membre de l'ONG Memorial. Il est l'un des principaux artisans des travaux menés sur la Grande Terreur (1937-1938). Cette période de la répression stalinienne - loin d'avoir été une simple « purge » des cadres communistes - s'est révélée être une opération d'ingénierie sociale visant à éliminer tous les « éléments socialement nuisibles » de la société soviétique (paysans, membres du clergé, élites de l'ancien régime tsariste, anciens membres des partis non bolchéviques, représentants de minorités nationales, etc.). La police secrète NKVD (ancêtre du KGB) a mené ainsi des opérations secrètes de répression massive d'août 1937 à novembre 1938, se traduisant par l'exécution sommaire et sans procès de plus de 750 000 personnes et l'envoi pour dix ans en camp de concentration de 1,2 million d'individus. M. Dmitriev a révélé dans les années 1990 le rythme des condamnations et des exécutions de ces opérations menées essentiellement en Carélie, région proche de la frontière avec la Finlande. Il y a identifié notamment l'immense charnier de Sandarmokh qui comprend 236 fosses communes. Les travaux de M. Dmitriev et de ses collègues a permis aux autorités locales de créer un cimetière mémoriel à Sandarmokh dès août 1997 et d'accueillir des délégations venues des anciennes républiques soviétiques, notamment d'Ukraine. Or, depuis 2014 et l'annexion de la Crimée par la Russie, les activités mémorielles autour de Sandarmokh ont été interrompues brutalement. Pire, M. Dmitriev est harcelé juridiquement pour des affaires de mœurs qui lui ont valu dans un premier temps une arrestation en décembre 2016 puis une relaxe en avril 2018 faute de preuves. Mais M. Dmitriev fait l'objet à nouveau d'accusations sans preuves qui lui valent à nouveau d'être arrêté une deuxième fois en 2018. Ce procédé de harcèlement juridique contre M. Dmitriev - déjà observé en Turquie où des intellectuels turcs œuvrent à la reconnaissance du génocide des Arméniens - est parallèle à une politique de révisionnisme menée par la Société d'histoire militaire de Russie, fondée en 2012 à l'initiative de Vladimir Poutine. Cette organisation veut donner un « nouvel élan à l'étude du glorieux passé militaire de la Russie et lutter contre les tentatives de dénigrement du patriotisme ». Selon cette organisation, le charnier de Sandarmokh abriterait essentiellement les restes de prisonniers de guerre soviétiques massacrés par les Finlandais qui occupèrent la Carélie en 1942-1943. Mais, devant l'indigence de leurs preuves avancées, les responsables de la Société d'histoire militaire de Russie prétendent aujourd'hui que les restes du charnier Sandarmokh ne démontrent en rien des exécutions de masse menées par le régime stalinien. Cette politique de révisionnisme se poursuit ainsi que le harcèlement juridique envers l'historien Iouri Dmitriev. Des tensions se développent également à l'initiative du gouvernement russe contre la Finlande sur la base de ce révisionnisme qui est clairement une manipulation de l'histoire par le politique. Il souhaite donc connaître les intentions du Gouvernement afin de rappeler aux autorités russes que la contestation de faits historiques ne doit pas mener au harcèlement sur des scientifiques ni à des provocations politiques avec des États membres de l'Union européenne.

Réponse publiée le 23 juin 2020

Le cas de M. Youri Dmitriev est pour la France un dossier prioritaire de sa relation avec la Russie. Il l'est d'autant plus aujourd'hui que la santé de M. Dmitriev (64 ans) s'est fortement dégradée et que son maintien en détention ferait courir un danger pour sa vie. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères travaille activement depuis plusieurs mois, en lien avec nos partenaires européens, à une solution pour obtenir sa libération. Notre ambassadeur à Moscou est pleinement mobilisé sur ce dossier et coopère étroitement avec l'ONG Memorial, qui a toujours pu compter sur le soutien de la France. Le Président de la République a exprimé, récemment et à plusieurs reprises, le souhait de la France de renforcer sa relation avec la Russie et d'intensifier le dialogue à la fois bilatéral et dans les enceintes multilatérales pour bâtir une nouvelle architecture de sécurité européenne. Cette coopération accrue entre nos deux pays passe par un dialogue nourri, franc, lucide et exigeant sur tous les sujets, notamment ceux concernant la protection des droits de l'homme et l'Etat de droit. Nous assistons depuis plusieurs mois à des controverses sur les enjeux mémoriels et historiques dans le cadre des commémorations du 75e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale. Les autorités françaises ont eu l'occasion de s'exprimer sur ces sujets et de rappeler la solidarité de la France à l'égard de ses partenaires européens. Dans le cadre de la présidence française du Comité des ministres du Conseil de l'Europe en 2019, nous avons proposé de créer un observatoire sur l'enseignement de l'histoire en Europe, porté par le député européen Alain Lamassoure, afin de contribuer à un enseignement apaisé de l'histoire et à forger une conscience européenne commune. Nous souhaitons que la Russie y participe. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères continuera de suivre de près l'évolution de la situation des droits de l'homme en Russie, et notamment la situation de M. Youri Dmitriev.

Données clés

Auteur : M. Jacques Marilossian

Type de question : Question écrite

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Europe et affaires étrangères

Ministère répondant : Europe et affaires étrangères

Dates :
Question publiée le 12 mai 2020
Réponse publiée le 23 juin 2020

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