Conséquences de la jurisprudence région Haute-Normandie
Question de :
Mme Typhanie Degois
Savoie (1re circonscription) - La République en Marche
Mme Typhanie Degois appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur les conséquences pour les entreprises de la décision du Conseil d'État n° 352917 du 5 juin 2013, également dénommée jurisprudence région Haute-Normandie. Constituant un changement majeur dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), ledit arrêt a mis fin au guichet unique pour les titulaires de marchés publics dans le cadre de la résolution de litiges. En effet, avant cette décision, la responsabilité de plein droit du maître d'ouvrage, y compris lorsque le retard était imputable à d'autres intervenants qu'il avait lui-même désigné, pouvait être engagée en cas de difficulté. Désormais, le maître d'ouvrage n'est plus responsable pour le compte de ses cocontractants, obligeant les entreprises titulaires de marchés publics à devoir engager des recours en responsabilité quasi-délictuelle contre les tiers intervenants, avec lesquels l'entreprise n'est pas liée par un contrat de droit privé. Une telle évolution entraîne une augmentation des procédures juridiques, un allongement des délais de traitement des demandes portées et génère de lourdes pertes économiques. Des chantiers livrés en 2015 dans le cadre de marchés publics font, par exemple, toujours l'objet de procédures engagées par l'entreprise titulaire du marché à l'encontre d'intervenants sur le chantier et n'ont toujours pas été soldés dans l'attente de décision de justice. Dans ces circonstances, elle souhaite l'alerter sur l'insécurité juridique que subissent aujourd'hui les entreprises du BTP et, compte tenu des retombées, lui demande son interprétation du partage actuel de la responsabilité dans le cadre de la résolution de litige dans le secteur du BTP afin de revenir sur cette jurisprudence et de réintroduire le guichet unique.
Réponse publiée le 17 mai 2022
Dans sa décision « Région Haute-Normandie » (CE, 5 juin 2013, req. n° 352917), le Conseil d'État a jugé que les difficultés rencontrées par le titulaire d'un marché à forfait du seul fait de fautes commises par d'autres intervenants n'étaient pas susceptibles d'engager la responsabilité du maître d'ouvrage dans l'hypothèse où aucune faute ne lui serait imputable. Cette décision a clarifié la répartition des responsabilités entre le maître d'ouvrage et les différents intervenants d'une opération de travaux. Si certaines décisions du juge administratif avaient paru consacrer une sorte de présomption de responsabilité du maître de l'ouvrage en cas de retard de chantier, ce n'était toutefois que lorsque ce retard était imputable à un défaut de coordination. En revanche, en l'absence de toute faute contractuelle de sa part, il ne saurait supporter, au titre d'une supposée responsabilité sans faute, les conséquences des agissements des différents constructeurs, et il ne lui appartient pas davantage de jouer par principe le rôle de guichet unique pour la ou les victimes. Cette clarification apportée par la jurisprudence « Haute Normandie » constitue une garantie du bon usage des deniers publics, et participe à la bonne application du principe dégagé par le Conseil d'État dans sa décision du 19 mars 1971, Mergui, req. n° 79962 selon lequel les personnes publiques ne peuvent être condamnées à payer des sommes dont elles ne sont pas redevables. Il demeure que toute faute commise par le maître d'ouvrage, notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics, peut ouvrir droit à indemnisation (CE, 12 novembre 2015, Société Tonin, req. n° 384716). En dehors de ces hypothèses, le titulaire d'un marché public peut, dans le cadre de tout litige né de l'exécution de travaux publics, rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres intervenants sur le chantier avec lesquels il n'est lié par aucun contrat (CE, 5 juillet 2017, Société Eurovia Champagne-Ardennes, req. n° 396430). Ainsi, afin de ne pas multiplier les instances, le juge administratif permet au titulaire, à l'occasion d'un litige contractuel avec le maître d'ouvrage, de rechercher la responsabilité des autres participants à la même opération, notamment en se prévalant d'un manquement aux stipulations des contrats conclus par ces autres participants avec le maître d'ouvrage (CE, 11 octobre 2021, Société coopérative métropolitaine d'entreprise générale, req. n° 438872).
Auteur : Mme Typhanie Degois
Type de question : Question écrite
Rubrique : Marchés publics
Ministère interrogé : Économie, finances et relance
Ministère répondant : Économie, finances et relance
Dates :
Question publiée le 22 mars 2022
Réponse publiée le 17 mai 2022