Question écrite n° 9876 :
Circulaire pour interdire les manifestations contestant le génocide arménien

15e Législature

Question de : M. Jacques Marilossian
Hauts-de-Seine (7e circonscription) - La République en Marche

M. Jacques Marilossian alerte M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur les manifestations publiques sur le territoire français remettant en cause l'existence du génocide arménien, ainsi que ses symboles mémoriels. Si la liberté d'expression est un principe constitutionnel, ces manifestations, souvent soutenues par des puissances étrangères, tendent à contester des événements reconnus par la loi française du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien de 1915. Ces manifestations sont susceptibles de provoquer des troubles à l'ordre public, car la France a été un des principaux pays à avoir accueilli des réfugiés arméniens, victimes du génocide. Sa contestation publique sur le territoire français constitue un acte de provocation et peut potentiellement entraîner un trouble à l'ordre public. De même, nier le génocide, c'est porter atteinte à la mémoire et à la dignité des parents et des grands-parents des citoyens d'origine arménienne. Il faut citer plusieurs incidents récents qui risquent d'ailleurs de se multiplier : en avril 2018, dix jours avant la célébration en France du 24 avril, date historique marquant le début du génocide arménien, une association franco-turque a programmé une réunion publique à Dreux avec pour intitulé un texte en turc « Ermeni Soykirimi Yoktur » (« le génocide arménien n'existe pas ». Alors que le député Guillaume Kasbarian et le Conseil Consultatif des organisations arméniennes de France (CCAF) ont demandé son interdiction, il a fallu attendre une décision du maire de Dreux pour refuser de signer la convention de location de la salle pour l'organisation de cette réunion publique. En mai 2018, à Evreux, une autre association franco-turque a protesté devant la stèle inaugurée le 21 avril 2018 dédiée aux victimes arméniennes du génocide de 1915. Le secrétaire général de cette association a osé affirmer : « Jusqu'à présent, personne n'a reconnu le génocide arménien, à part la France. Mais c'est normal que la France soutienne ses colonies .» Face à ces provocations verbales et ces démonstrations collectives, l'ordre public n'est pas garanti tant que les préfets n'interviennent pas. Il s'avère nécessaire de prendre des mesures de sécurité. Une circulaire du ministère de l'intérieur qui recommanderait aux préfets d'interdire ce type de manifestations au nom du maintien de l'ordre public serait une solution efficace. Il souhaite ainsi connaître les intentions du Gouvernement sur la possibilité d'émettre une circulaire, ainsi que les éventuelles mesures qu'il pourrait prendre face à ces manifestations qui se multiplient sur le territoire français.

Réponse publiée le 5 février 2019

Dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle à la liberté de manifestation, en se référant au « droit d'expression collective des idées et des opinions ». De même, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales protège les libertés d'expression et de réunion (articles 10 et 11). Dès lors, l'encadrement de ces libertés doit être strictement proportionné aux nécessités de l'ordre public, dont la sauvegarde constitue également un objectif de valeur constitutionnelle. C'est dans le respect de ces principes que les articles L. 211-1 à L. 211-4 du code de la sécurité intérieure prévoient que toute manifestation sur la voie publique est soumise à l'obligation d'une déclaration préalable auprès du maire de la commune ou du préfet du département. Si elle estime que des troubles graves à l'ordre public peuvent survenir lors de la manifestation, l'autorité compétente peut prendre une mesure d'interdiction. En outre, si l'expression collective des opinions est libre, l'objet même de la manifestation constitue dans certains cas une atteinte à la dignité humaine, composante à part entière de l'ordre public. Dans de tels cas, seule une mesure d'interdiction de la manifestation en cause est susceptible de prévenir un trouble à l'ordre public. C'est ce qu'a jugé le Conseil d'Etat s'agissant de manifestations pouvant être perçues comme une provocation (Conseil d'Etat, ref., ordonnance n° 300311 du 5 janvier 2007, Ministre de l'intérieur c/association Solidarité des Français). En tout état de cause, la mesure d'interdiction de manifestation n'est légalement admise que si elle est nécessaire et proportionnée, compte tenu notamment des autres moyens à la disposition de l'autorité de police. Elle ne peut, en outre, revêtir un caractère général et absolu, les circonstances de droit et de fait devant être appréciées par l'autorité compétente au cas par cas, après évaluation des risques de troubles à l'ordre public. Les manifestations qui remettent en cause l'existence du génocide arménien ainsi que ses symboles mémoriels, alors que la France a reconnu publiquement ce génocide par la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, peuvent constituer des actes de provocation à l'endroit des personnes arméniennes ou d'origine arménienne. Elles sont en ce sens susceptibles d'entrainer des troubles à l'ordre public. Toutefois, il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police, à l'occasion de chaque déclaration de manifestation, d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public, sous le contrôle du juge administratif, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce. Dans ces conditions, une circulaire ministérielle qui recommanderait aux préfets d'interdire toute manifestation remettant en cause l'existence du génocide arménien, ainsi que ses symboles mémoriels, reviendrait à instaurer une politique d'interdiction générale et absolue de ce type de manifestation, ce qui méconnaîtrait le cadre législatif, constitutionnel et conventionnel applicable aux manifestations. Il convient en outre de noter que la législation actuelle permet d'interdire de telles manifestations lorsque les circonstances de l'espèce en justifient le caractère nécessaire et proportionné. Par ailleurs, sur le plan pénal et depuis la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, le deuxième alinéa de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende les personnes ayant nié, minoré ou banalisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés à l'article 23 de la même loi, l'existence d'un crime de génocide à la condition que ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale.

Données clés

Auteur : M. Jacques Marilossian

Type de question : Question écrite

Rubrique : Ordre public

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 26 juin 2018
Réponse publiée le 5 février 2019

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