Question au Gouvernement n° 1357 :
droit à la différenciation

15e Législature

Question de : M. Jean-Félix Acquaviva
Haute-Corse (2e circonscription) - Libertés et Territoires

Question posée en séance, et publiée le 8 novembre 2018


DROIT À LA DIFFÉRENCIATION

M. le président. La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour le groupe Libertés et territoires.

M. Jean-Félix Acquaviva. Monsieur le Premier ministre, le groupe Libertés et territoires a noté avec un grand intérêt le fait que le Gouvernement ait compris et entendu le « désir d'Alsace » fortement exprimé par les élus de ce territoire.

Jacques Lacan écrit que, pour avoir un sens, le désir doit forcément être désir de l'autre. C'est donc bien le Gouvernement qui a fortement désiré l'Alsace, au point de ratifier une déclaration d'amour solennelle avec ses élus.

Je félicite les élus alsaciens d'avoir réussi à faire succomber ce gouvernement jusqu'à ce jour un peu vertical et jacobin,…

M. Patrick Hetzel. Bravo ! Bon début !

M. Jean-Félix Acquaviva. …qui n'a pas encore éprouvé semblable « désir de Corse », malgré les majorités absolues issues des urnes en faveur de l'autonomie.

Mais attention, chers collègues alsaciens, Nietzsche disait aussi que l'homme « en vient à aimer son désir et non plus l'objet de son désir ». Soyons vigilants quant à la mise en œuvre, notamment en termes de transferts de ressources fiscales.

Qu'est ce qui interpelle dans le cas alsacien ? Sur le fond : la reconnaissance de la dimension transfrontalière, la reconnaissance du bilinguisme et du plurilinguisme comme atouts dans ce cadre, la reconnaissance de la dimension historique de ce territoire, trait d'union entre la France et l'Allemagne. Autant d'éléments confirmant une approche politique globale de la question. C'est un fait incontestable.

Sur la forme : une déclaration préalable, produit d'un compromis politique élaboré en négociation avec les élus du territoire.

Monsieur le Premier ministre, prenant note de ce « cousu main » opéré en Alsace, ainsi que des résultats du scrutin d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie, qui engagent la République française à définir par le dialogue un statut sur mesure au sein de la Constitution, nous vous demandons : êtes-vous enfin prêt à coconstruire avec les élus légitimes de la Corse, avec le même respect et dans le même état d'esprit qu'en Alsace, une véritable solution intégrant les dimensions historiques, linguistiques et culturelles, économiques et sociales de l'île, au travers d'un vrai statut d'autonomie, de plein droit et de plein exercice, en Méditerranée ? Êtes-vous enfin prêt aussi à c-construire un compromis politique avec l'ensemble des collectivités territoriales, y compris les pays d'outre-mer, autour d'une réelle autonomie financière et fiscale, et du contenu – à clarifier – du droit à la différenciation ?

Pour notre part, prenant acte du changement de paradigme en Alsace, nous le souhaitons fortement et nous y sommes toujours prêts. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT et parmi les députés non inscrits.– M. Claude Goasguen applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le député, vous m'interrogez d'abord sur le travail mené par les collectivités territoriales et le Gouvernement concernant la création, ou la perspective de création, d'une collectivité européenne d'Alsace.

À l'écoute des élus, qu'ils soient parlementaires ou élus locaux, nous avons entendu, vous l'avez dit, le « désir d'Alsace », pour reprendre la formule par laquelle le préfet Marx a désigné cette appétence particulière qui vise à traduire dans le fonctionnement institutionnel l'identité et la particularité de l'Alsace et de son histoire.

M. Patrick Hetzel. Ça change de Valls !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Nous l'avons fait en partant d'un constat simple. À l'occasion du dernier quinquennat, les grandes régions ont été créées et les périmètres des intercommunalités modifiés. On peut dire qu'un big bang de l'organisation territoriale a été conduit. Certains l'ont promu et approuvé ; d'autres l'ont contesté et s'en sont écartés. Néanmoins, c'est aujourd'hui la loi.

M. Claude Goasguen. Hélas !

M. Edouard Philippe, Premier ministre. Le Président de la République avait indiqué pendant la campagne, puis a rappelé au lendemain de son élection, que notre objectif, notre façon de faire consisteraient à ne pas remettre en cause les grands équilibres issus de ce big bang pour laisser à chacune des collectivités, qu'elle soit régionale ou intercommunale, le soin de digérer ces transformations,…

M. Frédéric Reiss. Elles les digèrent mal !

M. Edouard Philippe, Premier ministre. …et de mettre en œuvre des politiques adaptées aux nouveaux périmètres qui leur sont confiés. Tel est le principe sur lequel nous avons bâti notre politique à destination des collectivités territoriales. Mais nous avons immédiatement ajouté que, si les élus locaux étaient prêts à proposer un certain nombre d'évolutions et s'entendaient sur le sens qu'elles pouvaient avoir, sans remettre fondamentalement en cause les grands principes que nous avions évoqués, nous travaillerions avec elles pour essayer de trouver au cas par cas la bonne organisation.

C'est exactement ce qui a été fait pour la collectivité européenne d'Alsace : ne pas remettre en cause les grands éléments de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe –, ne pas remettre en cause la région Grand Est.

Notre politique passe aussi par une contractualisation avec des territoires, lorsque ceux-ci s'inscrivent dans une logique de contractualisation. C'est ce qui interviendra avant la fin de l'année avec le département des Ardennes. Cette logique nous a conduits à faire nôtres les engagements pris par le Gouvernement précédent concernant le bassin minier. C'est la même logique qui s'appliquera à tous les ensembles du territoire lorsque des propositions seront faites et que nous pourrons travailler avec les élus à l'intérieur du cadre que nous avons fixé.

Monsieur le député, vous m'interrogez ensuite – et je le comprends aisément – sur le cas de la Corse. Je pourrais vous répondre facilement que celle-ci bénéficie déjà – et tant mieux ! – d'un statut très particulier qui lui confère bien plus de compétences qu'il n'en est confié à d'autres collectivités, notamment aux régions. C'est sans doute très bien. Il est assez naturel que la loi ait pris en considération la spécificité d'un territoire insulaire, dont chacun sait qu'il est marqué non seulement par une histoire, mais aussi et surtout par une géographie très particulière, étant donné son caractère insulaire et montagneux.

Il ne vous a pas échappé que, dans le projet de révision constitutionnelle présenté par le Gouvernement, figurait un article qui tenait compte de cette situation. Celui-ci allait encore un peu plus loin dans la prise en considération des spécificités non seulement du cas corse mais de l'ensemble des collectivités territoriales, puisqu'il visait à inscrire dans la Constitution le pouvoir de différenciation. Cet article permettrait de répondre assez complètement aux aspirations et aux demandes formulées par tous les élus.

Nous aurons l'occasion de discuter, comme nous l'avons fait depuis le début, avec les élus corses. Les membres de mon gouvernement se rendent régulièrement en Corse et entretiennent cette discussion. J'aurai moi-même l'occasion de m'y rendre avant la fin de l'année, comme je m'y suis engagé auprès des élus de l'exécutif corse.

Nous pourrons alors discuter de ces évolutions en ayant à l'esprit – je ne reviendrai pas sur ce point, monsieur le député, et vous seriez surpris si je faisais l'inverse – le cadre initial que nous avons fixé, tout en espérant que l'examen de la révision constitutionnelle permette de mettre en œuvre ce que nous avons appelé le « droit à la différenciation ». (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, LT et UDI-Agir.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Félix Acquaviva

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 novembre 2018

partager