tentative de perquisition au journal Mediapart
Question de :
M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise
Question posée en séance, et publiée le 6 février 2019
TENTATIVE DE PERQUISITION AU JOURNAL MEDIAPART
M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis. On sait, madame la ministre de la justice, que la loi vous interdit de donner des instructions dans des affaires individuelles. Mais qui peut encore vous croire, après la tentative de perquisition dont vient de faire l'objet le journal Mediapart ? (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Nous condamnons l'instrumentalisation politique des forces de polices et du parquet par le Gouvernement.
M. Guy Teissier. Il n'y a pas d'instrumentalisation !
M. Ugo Bernalicis. Et vous êtes bien les responsables ! Rappelons que le parquet de Paris est dirigé par le procureur Rémy Heitz, personnellement choisi par Macron ; cet ancien directeur d'administration centrale du ministère de la justice a conduit la réforme pénale du projet de loi de réforme de la justice tant décrié. (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Ce même procureur, la voix de son maître, a freiné les perquisitions chez Benalla et se précipite désormais au siège de Mediapart pour attenter au secret des sources, sacro-saint fondement de la liberté de la presse.
Face à la panique qui gagne le Gouvernement et le monarque, votre réflexe sécuritaire se transforme en dérive autoritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.) Désormais il n'est pas bon en France être opposant politique, organe de presse indépendant, ou manifestant en gilet jaune...
M. Erwan Balanant. Au Venezuela non plus !
M. Ugo Bernalicis. Rendez-vous compte ! Multiplication des interpellations préventives, gardes à vues sans fondement, usage vicié des comparutions immédiates, perquisitions disproportionnées dans le cadre d'enquêtes préliminaires, et bientôt interdictions de manifester préventives prononcées par le ministre de l'intérieur : tout cela installe une ambiance malsaine de concentration des pouvoirs entre les mains de l'exécutif.
Vous assumez tellement cette dérive que vous êtes vous-même allée au tribunal de grande instance de Paris pour imposer un impératif de sévérité à l'égard des gilets jaunes : une première en France qui a scandalisé les magistrats du parquet et du siège, attachés, eux, à l'indépendance de la justice ! Vous donnez des leçons de républicanisme et de respect de l'État de droit, mais votre dérive autoritaire est inexorable... À croire que l'ultralibéralisme s'accomplit dans cette forme de démocrature !
La justice jupitérienne vient de porter la plus grave atteinte à la liberté de la presse et à la protection des sources depuis des décennies. La monarchie républicaine doit cesser. Rendez son indépendance à la justice ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.) Allez-vous cesser d'intimider les journalistes et les politiques, de juger plus sévèrement les gilets jaunes que tout autre citoyen – en un mot, allez-vous cesser d'utiliser la justice et la police à des fins personnelles et politiciennes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI ainsi que sur de nombreux bancs des groupes GDR et SOC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Non, monsieur le député, il n'y a pas d'instrumentalisation de la justice. Je n'utilise pas la justice à des fins personnelles.
M. Fabien Di Filippo. Il ne suffit pas de le dire !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . En tant que garde des sceaux, il ne m'appartient évidemment en aucune manière de commenter les procédures judiciaires ; c'est une discipline à laquelle je m'astreins, précisément parce que je suis attachée à l'indépendance de la justice et au respect de la loi. Vous l'avez rappelé vous-même : la loi m'interdit de donner une quelconque instruction individuelle. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
M. Erwan Balanant. Ce sont les fantasmes de la France insoumise !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . Je vais donc me limiter ici à rappeler quelques éléments qui ont été rendus publics. Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire portant sur des infractions d'atteinte à la vie privée.
Mme Mathilde Panot et M. Adrien Quatennens . La vie privée d'Alexandre Benalla !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Deux magistrats du parquet de Paris se sont rendus au journal Mediapart pour se faire remettre des enregistrements sonores de conversations qui seraient intervenues entre M. Benalla et M. Crase. Les magistrats ont précisé que, dans le cadre non coercitif de l'enquête préliminaire, ils ne pouvaient pas agir sans l'assentiment du représentant légal de l'entreprise de presse. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Et chez moi ? Et chez moi ? (Vives protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Guy Teissier. Maduro !
M. le président. Mes chers collègues, écoutons Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mediapart a, dans un premier temps, refusé la demande des magistrats ; mais, comme la presse s'en est fait l'écho, les bandes sonores ont depuis été remises à la justice, ce qui est à mon sens une très bonne chose pour que toute la vérité soit faite dans cette affaire.
Monsieur le député, je suis attachée au principe de la liberté de la presse et à la protection du secret des sources. Ce sont les pierres angulaires de notre démocratie. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.) J'insiste également sur la nécessité pour notre justice de travailler dans la sérénité, sans faire l'objet des dénigrements systématiques auxquels vous vous livrez. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme Nadia Hai. Exactement !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C'est la conception de la justice que défend ce Gouvernement ; et, monsieur le député, ne vous en déplaise, Paris n'est pas Caracas ! (Mmes et MM. les députés du groupe LaREM se lèvent et applaudissent. – Vifs applaudissements sur les bancs du groupe MODEM – Protestations sur les bancs du groupe FI.)
Auteur : M. Ugo Bernalicis
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 6 février 2019