Décisions du Conseil constitutionnel au sujet d'Aéroports de Paris
Question de :
M. Jean-Louis Bourlanges
Hauts-de-Seine (12e circonscription) - Mouvement Démocrate et apparentés
Question posée en séance, et publiée le 6 juin 2019
DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL AU SUJET D'AÉROPORTS DE PARIS
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges.
M. Jean-Louis Bourlanges. Madame la garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur les conséquences que le Gouvernement entend tirer de deux décisions récentes du Conseil constitutionnel : la première autorise l'engagement, sur la base de l'article 11 de la Constitution, d'une procédure référendaire visant à déclarer inconstitutionnelle la privatisation d'Aéroports de Paris... (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Christian Hutin. Bravo !
M. Jean-Louis Bourlanges. …quand la seconde reconnaît la conformité à la Constitution de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, autorisant cette privatisation tout en s'interdisant de remettre en cause la procédure engagée.
Si respectueux que l'on se veuille de l'autorité du Conseil, on ne peut qu'être déconcerté par son interprétation du texte constitutionnel dont il a la garde.
M. Gilles Carrez. Non, pas du tout !
M. Jean-Louis Bourlanges. En validant l'engagement de la procédure, il fait figure d'ignorer que la proposition de loi référendaire est en vérité un recours constitutionnel qui se serait trompé d'adresse.
M. Christian Hutin. Oh !
M. Jean-Louis Bourlanges. Elle porte sur l'interprétation du préambule de la Constitution de 1946 et elle est donc sans conteste, absolument sans conteste, d'ordre constitutionnel et non législatif ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.)
M. Sébastien Jumel. Il blasphème ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Bourlanges. Or ce qui relève de cet ordre est clairement exclu du champ d'application de l'article 11.
Le Conseil ignore, de plus, la volonté des auteurs de la révision de 2008, puisqu'il érige le peuple français en censeur potentiel des lois votées par ses représentants, et installe entre eux une concurrence de légitimité que la révision, et son rapporteur le président Warsmann, avaient formellement exclue ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Olivia Gregoire et Mme Patricia Mirallès . Bravo !
M. Stéphane Peu. Vous n'êtes plus à Bruxelles !
M. Jean-Louis Bourlanges. C'est le principe même de la démocratie représentative qui est ainsi mis en cause.
M. Sébastien Jumel. En démocratie, c'est le peuple qui est souverain !
M. Christian Hutin. Triste fin de carrière, monsieur Bourlanges !
M. Jean-Louis Bourlanges. Le Gouvernement peut-il nous éclairer sur les initiatives qu'il entend prendre, par exemple en modifiant la loi organique de 2013, pour empêcher qu'une procédure destinée à permettre au peuple de contraindre le Parlement à l'initiative puisse prospérer dans le but opposé, celui d'en paralyser l'action et d'en déconsidérer les votes ? (Mmes et MM. les députés des groupes LaREM et MODEM se lèvent et applaudissent vivement. – Vives exclamations sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR, dont les membres montrent le chronomètre. – Protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe LR.)
M. Maxime Minot. Il a eu droit à douze secondes de plus !
M. François Ruffin. Vous avez peur du peuple !
M. le président. S'il vous plaît, mes chers collègues, s'il vous plaît.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Il ne m'appartient pas, vous le comprenez bien, de commenter les décisions du Conseil constitutionnel. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
M. Stéphane Peu. Ah, quand même !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Néanmoins, le Gouvernement entend résoudre la difficulté que vous relevez. C'est de l'avenir que je me préoccupe ici : nos procédures constitutionnelles doivent, je crois, être d'une absolue clarté, car la confusion des pouvoirs joue toujours contre la démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Fabien Di Filippo. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le député, vous le savez mieux que quiconque : le constituant de 2008 n'a pas entendu organiser une concurrence des légitimités, avec une voix d'appel populaire contre les décisions du Parlement.
M. Claude Goasguen. Évidemment !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Au contraire, il a voulu créer une complémentarité entre les voix parlementaires et les voix citoyennes pour traiter des questions essentielles.
M. Fabien Roussel. Tout à fait !
M. Christian Hutin. Très bien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La procédure engagée il y a quelques semaines méconnaît à mon sens manifestement cet esprit. Le référendum d'initiative partagée - RIP - n'est pas une procédure d'obstruction citoyenne, mais un instrument de proposition citoyenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, LR, SOC et GDR.)
M. Aurélien Pradié. Depuis quand la démocratie est-elle de l'obstruction ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . C'est pourquoi le Gouvernement entend d'abord s'attaquer à un angle mort de la loi organique de 2013 relative au RIP. À droit constitutionnel constant, le texte sera modifié pour permettre au Conseil constitutionnel de déclarer caduque une initiative si elle porte sur un texte voté par le Parlement et ayant un objet contraire ou identique à cette initiative citoyenne.
Au-delà, le Président de la République a annoncé à la sortie du grand débat un élargissement de la procédure du RIP, afin de favoriser la participation citoyenne. C'est ce que prévoit le projet de loi de révision de la Constitution, sur lequel je crois sincèrement qu'un accord républicain est à notre portée : les seuils seront abaissés à 1 million de citoyens et à un dixième des parlementaires ; l'initiative pourra venir directement des citoyens, et le champ du RIP sera étendu. Le cadre constitutionnel sera ainsi éclairci, afin d'éviter tout dévoiement de la procédure. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Nous répondrons ainsi, je crois, à votre préoccupation. (Mêmes mouvements.)
Auteur : M. Jean-Louis Bourlanges
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Lois
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 6 juin 2019