Question au Gouvernement n° 2224 :
DROITS VOISINS DES DROITS D'AUTEUR

15e Législature

Question de : M. Patrick Mignola
Savoie (4e circonscription) - Mouvement Démocrate et apparentés

Question posée en séance, et publiée le 2 octobre 2019


DROITS VOISINS DES DROITS D'AUTEUR

M. le président. La parole est à M. Patrick Mignola.

M. Patrick Mignola. Monsieur le Premier ministre, la semaine dernière, un vice-président mondial de Google est venu nous expliquer que sa société comptait s'exonérer de l'application de la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, que nous venons de voter. Il le fit dans l'onctuosité et parfois la rudesse d'une langue qui fut celle de Shakespeare, mais aussi celle des bras de fer que nous imposent parfois les États-Unis. En substance, la société Google nous indique qu'elle est prête à reconnaître le droit voisin du droit d'auteur, si et seulement si la presse renonce à l'exercer. Comme si un employeur faisait signer un contrat de travail si et seulement si le salarié renonçait à sa rémunération ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM ainsi que sur quelques bancs du groupe UDI-Agir.)

Monsieur le Premier ministre, force doit rester à la loi. D'abord, parce qu'il s'agit de la presse et donc d'un pilier de la démocratie. Ensuite, parce qu'il s'agit d'un principe : en France, la loi est faite pour tous, que l'on soit puissant ou misérable. Et même si l'on se considère comme tout-puissant, il n'est pas possible de s'exonérer de son application. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs des groupes LaREM et UDI-Agir.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Comme vous le savez, le Parlement européen a voté en mars dernier une directive historique sur le droit d'auteur, qui vise à reconnaître et à défendre dans toute l'Europe le rôle et la valeur de la création, intellectuelle ou artistique, dans l'univers numérique. En pratique, elle reconnaît aux auteurs, mais aussi aux éditeurs et agences de presse, le droit à une juste rémunération pour leurs articles. Ces derniers sont bien souvent utilisés par les plateformes, auxquelles ils rapportent des revenus importants.

La France a été le premier État à transposer cette directive. Grâce à votre appui notamment, et sous l'impulsion conjointe des députés et des sénateurs, la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse est entrée en vigueur le 25 juillet dernier.

Après s'être mobilisée activement contre le projet de directive, la société Google a lancé la semaine dernière un nouvel outil de publication pour les éditeurs. Or cet outil a été configuré de telle sorte qu'il ne donne lieu à aucune rémunération des éditeurs et agences de presse. Cette position n'est pas acceptable.

Sur le principe, d'abord, car l'objectif politique poursuivi par la création du droit voisin et sa traduction dans la loi sont très clairs : permettre un juste partage de la valeur produite, au bénéfice des plateformes, par les contenus de presse.

Sur la forme, ensuite, car la démarche retenue par la directive et la loi consiste à renvoyer à la négociation entre les acteurs la fixation des modalités de rémunération des éditeurs et des agences de presse. Imposer ainsi les règles du jeu de façon unilatérale et ne laisser aucune place à la négociation est contraire à l'esprit et à la lettre de la directive.

Plus largement, et au-delà de la question du droit voisin, il n'est pas compréhensible pour nos concitoyens qu'un acteur, aussi puissant soit-il – en l'occurrence, il est très puissant –, puisse modifier les règles d'utilisation pour contourner une obligation légale. Ce comportement soulève une question juridique, mais aussi une question éthique grave.

Peut-être faut-il espérer, monsieur le député, que cette démarche de Google traduit une erreur d'appréciation et non une volonté d'engager une épreuve de force avec la France et l'Europe. Peut-être faut-il espérer que Google entame une négociation avec les éditeurs et les agences de presse, comme M. le ministre de la culture l'y a invitée aujourd'hui. Quant à la presse, elle doit s'unir pour faire reconnaître ses droits dans cette discussion.

Nous savons tous que c'est une réponse européenne qui doit s'imposer. C'est à l'Europe d'engager un bras de fer, le cas échéant. Étant les premiers à avoir transposé la directive, nous sommes les premiers confrontés à cette question, mais celle-ci se posera à l'ensemble des pays européens. L'espace de droit et de liberté que nous souhaitons bâtir ensemble est menacé dans ce domaine. Nous ne souhaitons pas agir dans un esprit de frilosité mais de promotion de la diversité culturelle et du pluralisme. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Mignola.

M. Patrick Mignola. Merci, monsieur le Premier ministre. Je salue votre position, qui ne m'étonne guère car, en tant qu'auteur vous-même, vous connaissez le droit voisin ! (Sourires.) Ne vous semblerait-il pas utile que le Gouvernement, autour de M. le ministre de la culture, réunisse les GAFA et l'ensemble des acteurs de la presse en France afin que la négociation que vous évoquiez commence enfin ? Chaque jour qui passe représente en effet une perte de chiffre d'affaires pour la presse et, nécessairement, un jour de rémunération en moins pour les journalistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Il en sera ainsi, monsieur le député : le ministre de la culture a bien l'intention de rencontrer l'ensemble des éditeurs, ainsi que l'entreprise Google. Il doit aussi se concerter avec ses collègues au niveau européen afin de mettre en place les premiers éléments de la réplique. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Données clés

Auteur : M. Patrick Mignola

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique :

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 2 octobre 2019

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