Attitude de la France vis à vis de l'offensive turque en Syrie
Question de :
M. Jean-Luc Mélenchon
Bouches-du-Rhône (4e circonscription) - La France insoumise
Question posée en séance, et publiée le 16 octobre 2019
ATTITUDE DE LA FRANCE VIS À VIS DE L'OFFENSIVE TURQUE EN SYRIE
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. La France comme cette Assemblée toute entière, monsieur le Premier ministre, dénoncent et condamnent l'agression criminelle à laquelle la Turquie s'est livrée en entrant en Syrie pour y massacrer les Kurdes, défaire les Forces démocratiques syriennes et libérer les prisonniers de ses amis de Daech.
Je vous interrogerai sans polémiquer sur la situation dans laquelle se trouve notre pays à cet instant. Pour votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, la Syrie est-elle toujours un État souverain ? L'inviolabilité de ses frontières est-elle toujours sous protection internationale, comme c'est le cas de tous les membres de l'Organisation des Nations unies ? Dans ce cas, que faisons-nous pour rendre cette protection effective ?
M. Thibault Bazin. Bonne question !
M. Jean-Luc Mélenchon. La France approuve-t-elle l'accord passé entre les Kurdes syriens et l'armée nationale syrienne pour repousser l'invasion ? Votre Gouvernement compte-t-il aider cette riposte, notamment en utilisant les forces spéciales françaises dont nous avons appris la présence sur place ? Pourquoi la France retirerait-elle ces forces spéciales au lieu d'obtenir, fût-ce militairement, que l'armée turque nous respecte et cesse de nous agresser ?
Avez-vous convoqué l'ambassadeur de Turquie en France et que vous a-t-il dit pour expliquer l'agression contre nos forces spéciales, qui sont pourtant parfaitement localisées par l'armée turque ?
Quel sens la France donne-t-elle à sa participation au commandement militaire intégré de l'OTAN quand l'un de ses prétendus alliés frappe nos positions militaires en Syrie ?
Notre pays, monsieur le Premier ministre, veut que sa parole et ses armes soient respectées. Il veut que les Kurdes, qui sont nos alliés, soient sains et saufs. C'est pourquoi le moment n'est-il pas venu d'exiger qu'à l'avenir, en guise de garantie, les Kurdes soient associés à toutes les discussions internationales concernant le futur de la région ? (Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR et SOC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Thibault Bazin. Des réponses, pas du blabla !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Comme vous, monsieur le président Mélenchon, j'ai fait part tout à l'heure de la condamnation – qui n'est pas seulement la mienne ni la vôtre mais celle de la France – de cette attaque et de l'incursion turque en Syrie. Comme vous et comme d'autres l'ont déjà dit sur ces bancs, je partage l'indignation suscitée par le sort réservé à nos amis et alliés, qui ont participé – et de quelle façon ! – à la lutte contre Daech pendant toutes ces années où nous faisions partie d'une coalition internationale.
Vous m'avez posé plusieurs questions. Avons-nous convoqué l'Ambassadeur de Turquie pour faire état de notre position et lui demander des explications ? Oui, l'Ambassadeur de Turquie a été convoqué par le Quai d'Orsay ; il appartiendra au ministre de vous rendre compte de la teneur de ces échanges et je ne doute pas qu'il le fera à ce micro dès que possible.
J'ai également dit à l'instant, dans cette enceinte, que le Président de la République lui-même avait eu un contact téléphonique avec le président Erdogan et qu'il avait fait état de la position de la France. Il va de soi qu'il ne m'appartient pas, monsieur le président Mélenchon, de faire part des détails de cette discussion mais, en évoquant ces deux faits, je veux dire que la France ne se contente pas de déplorer ou de condamner dans son coin ; elle dit à la Turquie et à son président son désaccord fondamental avec sa décision d'entrer en Syrie, de déstabiliser le combat mené depuis cinq ans contre Daech ainsi que ceux qui ont été nos alliés dans cette lutte, et de faire peser sur l'ensemble de la région une menace sécuritaire et terroriste tout à fait considérable.
Vous avez soulevé la question des conseillers civils et militaires français présents dans le nord-est syrien. Je vous confirme en effet qu'il se trouve quelques conseillers civils et militaires dans le nord-est syrien, mais leur nombre ne permettait pas – et n'a jamais été pensé pour permettre – de résister à un tel mouvement militaire turc déployant tant de moyens vers le sud, à destination de la Syrie. Je commencerai par les remercier pour la qualité du travail qu'ils ont effectué. Surtout, nous devons garantir leur sécurité dans une phase militaire, alors qu'ils sont proches de la frontière. C'est ce à quoi nous nous attelons, et je peux attester du fait que c'est la politique du pays.
Votre troisième question porte sur l'attitude éventuelle que nous devrions avoir vis-à-vis du régime syrien, voire – mais peut-être ai-je mal compris le sens de votre question – l'éventuel soutien que nous pourrions lui apporter dès lors que des accords auraient été conclus avec les Kurdes. Il n'en est rien. Nous ne voulons pas – et je ne crois pas que vous le vouliez davantage – entrer en guerre avec la Turquie. Nous ne voulons pas mener une opération militaire qui exigerait le déploiement de milliers de personnes au sol pour faire face à cette agression.
M. Fabien Di Filippo. Pourquoi évitez-vous la question ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous souhaitons que la Turquie prenne ses responsabilités, et que les Américains soient à la hauteur des leurs, et nous le disons – calmement, mais fermement. Il nous appartiendra – et ce ne sera pas tâche facile – de travailler avec nos alliés kurdes, avec lesquels je répète que nous restons en contact, comme vient de l'indiquer le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, afin de limiter les désordres et les dommages qu'ils vont subir, dommages qui seront considérables car il s'agit d'une offensive militaire et nous savons bien ce que cela produit. Nous voulons éviter avec eux le pire. Ce sera le sens de nos contacts, et le sens de nos échanges avec l'ensemble des puissances régionales ainsi qu'avec l'ensemble des acteurs qui interviennent sur ce théâtre. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Auteur : M. Jean-Luc Mélenchon
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 octobre 2019